Sylvie Durbec : 6 poèmes inédits

2018-01-03T22:47:19+01:00

POÈME DES ÉLÉPHANTES ET DES VIEILLES DAMES

on lit dans le jour­nal que des éléphantes sont dev­enues des vieilles dames
on lit aus­si que de vieilles dames sont dev­enues des éléphantes
on regarde les cheveux blancs des unes et la peau ridée des autres
il y a une pho­togra­phie c’est bien la preuve dit le journal
que les vieilles dames ont rai­son de défendre les éléphantes
que tout ça est un peu ridicule mais assez gentil
la vieille peau grise est douce à caresser
les poils blancs du men­ton aussi
et on ne sait pas qui est le plus malade
qui a la tuber­cu­lose qui con­t­a­mine et tue les humains
qui a la vieil­lesse qui s’épidémie et  nous effraie
qui est ridicule et qui ne l’est pas
on ne sait pas quoi faire avec ça s’indigner rire et aller ailleurs
loin du zoo loin de ces regards de vieilles ani­males humaines
je sais que je suis à mi-chemin
pas très loin de l’éléphante
pas très loin de la vieille dame
pas très loin d’en rire
pas très loin de me dire
courons en Mon­golie cacher notre ennui au sens clas­sique du mot chères amies

 

***

 

LA FIN DU MONDE N’ARRIVE PAS

après la peur la radio dit la vie c’est un flux con­tinu ça n’arrête jamais
alors on lit dans le journal
qu’avant la fin du monde les gens font des pro­vi­sions de robinsons
les vieilles dames et les jeunes
et aus­si ceux qui ont des sourires éclatants
et sont intelligents
mon fils me dit  qu’il a des angoiss­es de plus en plus fréquentes
nous les parta­geons un moment comme on boit ensemble
tous vivants
tous à dire la vie
tous à par­ler de tout de ce que nous ne savons pas
si dif­fi­cile de par­ler de ce que nous savons de nous-mêmes
si peu pour résis­ter quand la mort tombe du ciel ou des radios
ou des médecins
au loin cor­beaux et voix radiophoniques
dehors et dedans
on se demande le monde
oublierait-il sa pro­pre fin du monde

 

***

POUR LE SANS PATRIE

il faudrait un chat sur le papier
un pas d’oiseau sous le palmier
quelques fris­sons fous sur l’eau
l’odeur de la terre pourrissante
la haie coupée en feu un peu
de ciel bleu sur la colline
il faudrait les mains liées
par un ser­ment d’amour
et non pas ce saccage du temps
il faudrait la rumeur ailée des insectes en été
le vol­can noir sous les pieds la mer
ce que nous n’avons pas ce que nous avons
il faudrait ce qui fait danser le désir
sur le mur à ais­er tan­dis que je dors
et que tout va son cours
dans le dehors
des jours

 

***

 

LE GOÛT DU POÈME DE PAPIER

la vie dans le ciel file en deux traits brillants
la feuille s’é­claire /enfin le matin très blanc
l’avion là-haut emporte plusieurs histoires
cousues de fil blanc et de papi­er d’argent
rien n’a changé depuis hier c’est demain
le chat se moque de toute fièvre il est bien
la vie là-haut a déjà fini sa course éclair

on ne voit presque plus rien de son passage
sa trace ressem­ble à un petit nuage fin et doux

dans ma bouche tou­jours ce goût de papier
quand on lèche une enveloppe pour coller
tous les voeux qu’on envoie au nou­v­el an
mon fils a dit les par­ents c’est important
en nous remet­tant ses cadeaux et a souri
c’est juste une his­toire de noël un conte
où tout s’a­joute et rien ne s’en­lève a‑t-il
pré­cisé et l’écureuil bril­lant de son frère
sur la table a son tour a dit oui oui oui

plus rien dans le ciel à présent que vide
bleu hiv­er d’une journée de décembre
entasse­ment de papiers cadeaux en feu
prêts à s’emballer de rouge et de bleu
papi­er d’Arménie bateau sur Ararat
revenir à Mar­seille et flot­ter sur l’O

 

***

 

DEUX ÉTOILES S’EMBRASSENT CE MATIN

comme si le ciel au-dessus de la colline
était le ciel au-dessus de la Mongolie
tout est joyeux à la bonne place ici
même celui le sans patrie qui le dit
aucune vio­lence du monde et là-haut
deux étoiles col­lées l’une à l’autre
je vais chercher mes lunettes
je n’y vois plus très bien je le sais
alors cette réu­nion de deux étoiles
une illu­sion une explo­sion une folie
deux étoiles s’embrassent ce matin
c’est tout les chas­seurs con­tin­u­ent de tirer
sur le pigeon blanc tant aimé
sur la chat­te noire
et l’écureuil
le vacarme du monde est en attente
seuls quelques coups de fusil
mais surtout ces deux-là deux amies
qui se ser­rent au ciel l’une à l’autre
une dirait font bêchevette
et bril­lent encore tan­dis que le soleil
au-dessus de la colline
jusqu’à la fin du poème

 

***

 

NOUVELLES DU MONDE

 

Six éléphants meurent dans un accident
un acci­dent avec un train en Inde
pas ici ni à Rennes ni même en Mongolie
on ne sait pas si tous étaient masculins
si par­mi eux des éléphants au féminin
en tout cas six cadavres au bord du remblai
à la peau grise de vieilles dames fatiguées
et plus loin c’é­taient des gens
cer­tains peau douce d’en­fants d’autres on ne dit rien
dans le jour­nal ils sont portés disparus
pour regarder l’an­née nou­velle dans les yeux
sous un déluge de feux d’ar­ti­fice et de cris
cer­tains sont morts écrasés piétinés
mais pas par des éléphants
sur les images on voit des chaus­sures perdues
comme les chaus­settes célibataires
après la lessive
mais là défini­tive­ment égarées
ça se pas­sait à Abid­jan pas à Marseille
ni à Rennes on ne sait pas très bien quoi faire
avec ça mais ça reste c’est là dans un coin
de la mémoire en miettes oui ça reste
et on dit dans le journal
que tout s’ou­blie aussi
comme le reste

 

 

 

Présentation de l’auteur

Sylvie Durbec

Sylvie Durbec est née à Marseille.

Poète, plas­ti­ci­enne, traductrice.

2008 Prix Jean Fol­lain pour Mar­seille, éclats et quartiers, édi­tion Jacques Bré­mond, pub­lié en 2010.

2014, Prix Lau­rent Terzi­eff , texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court Smouroute va à la cuisine .

2017 

Bascoulard/Opalka, Propos2 éditions, 

L’ignorance des bêtes, La main qui écrit, 

 2018 

(bien dif­f­cile de) Trans­former la jalousie en bal­lon rond, édi­tions le Phare du Cous­seix, 2018

Com­ment faire, edi­tions Lan­sk­ine, col­lec­tion petit bric à brac, 

Poo­ki c’est ponk, texte Édith Azam, dessins Sylvie Durbec

Bouger les lignes avec la poète Flo­rence St Roch, édi­tions du Museur

Com­ment faire, avec le pein­tre Gérard Eppelé, édi­tions du Museur

 

Sylvie Durbec

Derniers livres publiés

  • Ter­ri­toires de la folie, deux réc­its con­sacrés à Robert Walser et Louis Sout­ter, éd. Cousumain, 2006
  • Mar­seille éclats et quartiers, éd. Jacques Bré­mond, 2009, prix Jean Follain
  • Chaus­sures vides, Car­nets du dessert de Lune, 2010 – traduit en ital­ien : Scarpe vuote, édizioni Jok­er, jan­vi­er 2014
  • Pren­dre place, édi­tions Col­lo­di­on, 2010
  • Ce rouge qui bril­lait, Sou­tine, Ate­lier du Han­neton, 2011
  • La lessive de la folie, remue.net, 2011
  • la Huppe de Vir­ginia, Ed. Bré­mond, 2011.
  • Le par­adis de l’oiseleur, Al Man­ar, 2013
  • Prix Lau­rent Terzi­eff 2014, texte Nathalie Guen, dessins Sylvie Durbec pour le court métrage Smouroute va à la cui­sine, pub­li­ca­tion du livre et du DVD chez Vaga­mun­do en  mars 2015.
  • SANPATRI, aux édi­tions Jacques Bré­mond, octo­bre 2014
  • Route d’avril, vif tam­bour, novem­bre 2014, l’Atelier du hanneton
  • Fugues, édi­tions Propos2 cam­pagne, 2015
  • L’idiot(e) devant la pein­ture, édi­tions Propos2 cam­pagne, 2015

Autres lec­tures

Sylvie Durbec, Autobiographies de la faim

À qui appar­tient cette robe d’enfant sans corps, sans vis­age qui par­court le texte ? On sent tout au long du réc­it un drame, une douleur, une his­toire lourde de vie et de […]

Sylvie Durbec, Carrés

Couleur orange et gra­phie très sobre pour la cou­ver­ture de ce livre, qui s’ouvre sur une cita­tion de Peter Hand­ke. Cet auteur autrichien est le per­son­nage tutélaire de ce recueil, (qui de Sylvie […]

image_pdfimage_print
Aller en haut