Mys­teri­um iniquitatis

Thrène.

 

     Le vent longtemps tour­na entre les chênes
Avant d’être emporté par le cœur de la nuit.
     On dev­inait une présence humaine.
– Un homme marche vite, une femme le suit,
      Le rejoint presque. Elle le touche à peine
Qu’il la repousse, crie, l’insulte, rit et fuit.
      Une stu­peur telle à l’ordre l’enchaîne
Qu’elle s’arrête et pleure. Avant qu’il ait détruit
      En quelques mots une con­fi­ance pleine,
L’amant lui avait pris sans joie ses pre­miers fruits.
      Il eut plaisir à la rup­ture obscène
Qui à jamais la nie, brûle, mar­que – réduit.
      Il eut plaisir, en sa pas­sade vaine,
À cet amour puis­sant par des coups éconduit.
      Le vent trou­blait la lisière incertaine
Des chênes que la rue bor­de jusqu’au vieux puits,
      Puis retom­ba. L’aube est encor lointaine.
– Elle quit­ta la rue dont le halo d’or luit
      Et s’enfonça dans les ombres sereines.
Sous les ramées où cette enfant s’assied sans bruit,
      À peine on sent une présence humaine.
Avant d’être emporté par le cœur de la nuit,
      Le vent longtemps tour­na entre les chênes.

 

 

 

                                                             Psaume 21 

 

Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
              Entends rugir mon cœur détruit :
J’appelle tout le jour, et de ma voix ruinée,
             Je peu­ple les déserts des nuits.

 

Toi le saint d’Israël, le Dieu de ses louanges,
              En qui nos pères se confiaient,
Quand ils cri­aient vers toi dans un dan­ger étrange,
             Tu entendais et les déliais.

 

Moi, ver et non pas homme, on passe et me bafoue.
       Le peu­ple rit, hoche la tête :
« Que fait pour toi ton Dieu ? S’il t’aime, pau­vre fou,
       Pourquoi ces rires qu’on te jette ? »

 

C’est toi qui m’as tiré du ven­tre de ma mère,
       Et tu m’as mis sur ta poitrine.
Ne sois pas loin :  proche est l’angoisse. Elle est amère,
       Sans nul sec­ours que je devine.

     

Je suis cerné par des tau­reaux qui me menacent.
       Des bêtes de Bashan m’entourent,
Ouvrant leurs crocs puis­sants con­tre ma force lasse,
       Lions lacérant au regard lourd.

 

Comme l’eau je m’écoule, et mes os se disloquent.
       Mon cœur fond comme de la cire.
Ma gorge est un tes­son et ma langue est  un soc
       Que la pous­sière vient couvrir.

 

Tu m’as couché dans la pous­sière et dans la mort.
       Des chiens me cer­nent sans pitié.
Un trou­peau de vau­riens tourne autour de mon corps,
       Déchi­rant mes mains et mes pieds.

 

Je peux compter mes os sous les murs de la ville.
       La foule raille avidement.
Ils se sont divisé mes habits. On me pille ;
       On tire au sort mon vêtement.

 

Seigneur, ne sois pas loin. Toi, ma force, à mon aide !
       Délivre du glaive mon cœur,
De la gueule du lion ma chair aux mus­cles raides
       Et des crocs des chiens ma douleur.

 

_Seigneur, j’annoncerai ton nom par­mi mes frères.
       Dans l’assemblée, je te louerai.
Et vous qui craignez Dieu, que votre cœur espère :
       Louez-le. Tenez vos cœurs prêts.

 

Dieu n’a pas rejeté aux puits la pauvreté.
        Il vient, et le pau­vre le voit.
Il a mon­tré sa face et il m’a écouté
       Quand je l’invoquais dans l’effroi.

 

C’est pourquoi je le loue dans la grande assemblée ;
       Il se donne à ceux qui ont faim.
Ils loueront le Seigneur, les cœurs qui ont brûlé
       Pour lui et le cherchent sans fin.

 

Ils vivront à jamais. Les loin­tains de la terre
       Se sou­vien­dront de ses actions.
On ver­ra devant lui comme auprès de leur père
       Toute famille des nations.

 

 

 

                                          Avent en Syrie.

 

Sous ton vis­age est la lumière.
Comme tout abri est détruit,
Et comme, en des froideurs de pierre,
Autour de moi s’étend la nuit,
Je veux rester dans la prière
          Sous ton visage.

 

Quand l’espoir porte pour tout fruit
Des bombes, vois cette misère
          Sous ton visage.

 

Si ta demeure s’ouvre et luit
Au bout de cette nuit guerrière,
Je viendrai dans tes bras, sans bruit,
          Sous ton visage.

 

Lorsqu’aura passé cette terre,
Lorsque la clarté qui la suit
Comme dans un clin de paupière
Aura jail­li, car l’horreur fuit,
Le monde enfin grandi­ra, Père,
          Sous ton visage.

 

 

 

 

 

 

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