A Jean-Marie Berthier 

 

    Ma ten­dre mon attente, ma com­plice, aucune voix ne saurait suiv­re loin les spi­rales accom­plies de ton effort ; mon attente, vive au-delà du désir, bru­tale à l’envie de la langue, ma furtive, volée aux val­lons du verbe comme une herbe coupante coupant par les vents et par les vagues, prédi­cante de ton apparence sauve sous les velours vieil­lis­sant de ma volon­té ; ma ten­dre à peine née qui s’élève, à l’étude, archi­tecte de mes plus espérantes détress­es, lente volup­té, épave lèvres trem­blantes invi­tant le mar­bre de mes yeux délavés à la divine inquié­tude; lou­ve dévorée d’innocence, sus­pecte pour­tant, autant que les rêves d’arbres d’un feu.
 

    Et je m’invente pour toi des éton­nements liturgiques, des sur­pris­es rit­uelles, des armes d’obéissantes magies. Et je tente pour toi, sec­oué de soli­tudes, au sec­ours de ce sec­ours qui ne vient pas, d’y redescen­dre en pro­por­tions insectes les veil­lées vio­lentes, les écorchures, les obsé­dantes, et ce som­meil de verre d’une mort en larmes.
 

    L’espoir est sor­ti de mon esprit, la crainte a quit­té mon cœur. Tant qu’il m’appartient encore, capa­ble colombe, de me sou­venir l’entière mémoire de la mer.
 

    Nul ne m’attend, sauf toi qui m’acceptes, seule­ment toi qui me par­donnes de ne pas t’entendre.
 

    Je n’attends pas grand-chose de quiconque, presque rien de per­son­ne, sim­ple­ment je me donne à ce je ne sais qui de moi, m’abandonne à ce je ne sais quand de toi, libre pris­on­nier à la fois de l’infime et du grandiose.

   J’attends, disponible, à la dis­po­si­tion de tout, parachevant  dans l’épreuve du miroir mon refus du néant à son œuvre, achevant de croire ain­si — et com­ment — ce que de toute infir­mité j’aurai su, finis­sant de percevoir tou­jours ce que sans doute je ne con­naî­trai jamais.
 

    Ce que j’attends, ma ten­dre mon attente, est la phrase pour com­mencer l’exil, l’extase pour ter­min­er le ciel, l’enfant pour enfan­ter le cer­cle, et son tour­ment peut-être pour retourn­er au centre.
 

    J’attends l’inexistant. Ce que je sens. La messe cri­tique d’une aurore blessée. La caresse ironique d’une ruine à venir. Cette attente entre nous, l’infatigable silence qui nous sup­porte, cette lampe dénudée où quelque ténèbre brûle encore de mon­tr­er le jour.
 

    Ce que j’attends, ma ten­dre mon attente, ce que j’attends ce ne sont Rien que les hommes, seule­ment des hommes pour aimer les hommes, Rien que des hommes, telle­ment plus que les hommes, des hommes qui aimeront l’amour.
 

 

Les Cahiers de la rue Ven­tu­ra N°14

(novem­bre 2011)

 

 

 

 

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