« Se met­tre en avance ; se met­tre en retard : quelles inexactitudes !
 Être à l’heure : la seule exactitude. »

                                                                                               Charles Péguy

 

    Que me mon­tre le plus clair du temps l’aiguille ?

    Que sonne le jour dehors, que résonne la nuit dedans ?

    Quel donc ressort autant me relâche, quelle donc machine autant me resserre ?

 

    C’est lorsque je n’écris pas — par manque de temps, pour de mau­vais­es raisons d’esprit, ou pour caus­es de mau­vaise humeur — que je me sens le plus entière­ment, le plus totale­ment écrivain.

    Pour le dire autrement, quand je n’écris pas je trem­ble à l’idée d’écrire encore, et quand j’écris il me sem­ble écrire de surcroît…

 

    Au « gros chêne » j’ai chu­choté mes prières d’enfant.

    Là, dans le fol enlace­ment de l’écorce vénérable, dans l’étreinte de nos sem­blables corps, se sont dans le même temps mêlés, sal­va­teurs, nos essences, nos souf­fles et nos sueurs.

    Là fut en moi pré­cip­ité, à cette époque en principe des­tinée à la pure incon­science, le sens pré­cis et par­faite­ment inat­ten­du, le ressen­ti le plus aigu et sans doute le plus pré­cieux de l’existence.

    Là, sous des soleils de sep­tem­bre, j’ai su, trop soudaine­ment peut-être, l’immensité périlleuse de ce pos­si­ble lan­gage exigeant de soi sans cesse plus de silence et plus de tempête.

    Je suis le dés­espoir éclair dans ce temps si lent, ban­dit sur­pris hors champ pour­suiv­ant de part en part son grand chemin.

    Je ne crains pas les répéti­tions du futur car je sais les soli­tudes passées, rem­plies d’incomparables promesses.

 

    D’autres ont vu ces lueurs, d’autres les ver­ront, mais je suis le pre­mier qui ne les ver­ra plus, et je serai le dernier qui les a vues, m’a dit le poète main­tenant à mon envers qui fut en d’autres temps à mon endroit.

 

    L’œuf a crevé sous le vio­lent effort, l’œuvre a éclaté sous la douce épreuve, et le temps de tout com­pren­dre s’est enfui comme il ne vient à per­son­ne la force de s’en souvenir.

 

    Tant de temps me prend, me sur­prend, si loin de mourir ailleurs, tout près ici de vivre.

    Tant de ter­res me remuent, tant de ciels me regar­dent, tant d’yeux me touchent, tant de mains me respirent.

    Tant d’histoires me dévorent, tant de langues me parlent.

    De ces choses, qui soula­gent ma mort.

    De tous ces vis­ages, qui reposent ma vie.

 

 

Les Archers N°14 

(mai 2008)

 

 

 

 

 

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