1)    Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action poli­tique et méta-poé­tique révo­lu­tion­naire : et vous ? (vous pou­vez, naturelle­ment, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamé­trale­ment opposé au nôtre)

Le poète écrit à l’abri de la page blanche, il prend le pou­voir sur les mots. Il n’est pas à l’écart de lui-même. Il est lui-même dans sa poésie. Jusqu’à la limite.

La poésie brûle. Elle est faite de feu. Elle est braise qui ne devient jamais cendre. 

Par­fois le poète s’ouvre au monde, par­fois il est habité par un sen­ti­ment de révolte. La révolte et la lutte inspirent la démarche poé­tique et artis­tique. Il peut pouss­er l’ivresse des mots jusqu’à  l’ivresse révolutionnaire.

Mais la révo­lu­tion unique­ment par les mots me paraît illu­soire. Je ne pense pas que la poésie puisse démolir et recréer un monde.

La con­tes­ta­tion poé­tique doit se rap­procher de la con­tes­ta­tion poli­tique, si elle veut être effi­cace. Comme par exem­ple le mou­ve­ment Dada à Berlin, en prise avec un véri­ta­ble souf­fle révolutionnaire.

Celui de Munich, par con­tre, se con­cen­tre unique­ment sur le désir de destruc­tion, sans engage­ment révolutionnaire.

De même les sur­réal­istes. Ils appa­rais­sent comme un groupe de petits bour­geois, affil­iés au par­ti com­mu­niste stal­in­ien d’alors, qui veu­lent bris­er les car­cans artis­tiques sans dévelop­per aucune cri­tique sociale, mais unique­ment celle de la reli­gion, du con­formisme, de l’ordre moral. Ils priv­ilégient les incan­ta­tions ver­bales au détri­ment des analy­ses poli­tiques et sociales. Leurs œuvres, poésie, pein­ture, ciné­ma, devi­en­nent des marchan­dis­es, et sont récupérées par l’industrie culturelle.

Ce qui n’enlève rien à la valeur de leurs œuvres, évidem­ment. Mais peut-on par­ler de mou­ve­ment révolutionnaire ?

Le poète ne peut pas se sépar­er du social s’il veut trans­former le monde, s’il veut essay­er de don­ner un autre sens à la vie.

On tra­vaille en soli­taire, certes, mais il ne faut pas oubli­er les autres. « Mon corps est fait du bruit des autres. » Antoine Vitez.

 

 

2)   « Là où croît le péril croît aus­si ce qui sauve ». Cette affir­ma­tion de Hölder­lin paraît-elle d’actualité ?

Écrire est un acte laborieux, brûlant. Si lire c’est se laiss­er porter par le courant d’un fleuve, écrire c’est le remon­ter. Rechercher quelque chose qui voudrait naître, le sor­tir du sil­lon qu’on a finale­ment réus­si à trac­er, et l’intégrer dans ses mots. Avec pru­dence. La poésie est telle­ment fragile.

Pour écrire, il faut simuler sa mort. Il faut se laiss­er tuer par le livre en chantier. La résur­rec­tion arrive avec le point final. S’abandonner à ses mots dans un sim­u­lacre de mise à mort.

Mais est-on sauvé ?

 

3)     « Vous pou­vez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui dis­ent le con­traire se trompent : ils ne se con­nais­sent pas ». Placez-vous la poésie à la hau­teur de cette pen­sée de Baudelaire ?

La poésie est le vivre, aus­si bien que l’origine.

Je retrou­ve tout au fond de moi les mots d’où je sors.

C’est ma respiration.

La poésie est la seule porte de sor­tie. La seule issue possible.

 

 

4)    Dans Pré­face, texte com­muné­ment con­nu sous le titre La leçon de poésie, Léo Fer­ré chante : « La poésie con­tem­po­raine ne chante plus, elle rampe (…) A l’é­cole de la poésie, on n’ap­prend pas. ON SE BAT ! ». Ram­pez-vous, ou vous battez-vous ?

« À quoi sert d’écrire ? à ne pas vivre mort. » Pas­cal Quignard.

Écrire la poésie est une bataille qui ne peut finir. C’est une évi­dence. Il ne peut en être autrement. Si on ne se bat pas, la mort n’est pas loin. Il faut con­tin­uer. Il faut souf­frir. Jusqu’au bout.

Un poète, avec ses moyens de poète, se doit de coller à la vie, de descen­dre et de demeur­er dans l’arène.

Un com­bat à men­er. Près des hommes. Avec les hommes.

« Ceux qui vivent sont ceux qui lut­tent », dis­ait Hugo.

 

5)    Une ques­tion dou­ble, pour ter­min­er : Pourquoi des poètes (Hei­deg­ger) ?  En pro­longe­ment de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?

À vingt ans, à la paru­tion de ses Odes, Vic­tor Hugo avait affir­mé que « tout écrivain, dans quelque sphère que s’exerce son esprit, doit avoir pour objet prin­ci­pal d’être utile. » Et dans la pré­face de ce même ouvrage, il écrit « Le domaine de la poésie est illimité. »

Baude­laire :

« C’est une grande des­tinée que celle de la poésie ! Joyeuse ou lam­en­ta­ble, elle porte tou­jours en soi le divin car­ac­tère utopique. Elle con­tred­it sans cesse le fait, à peine de ne plus être. Dans le cachot, elle se fait révolte ; à la fenêtre de l’hôpital, elle est ardente espérance de guéri­son ; dans la mansarde déchirée et mal­pro­pre, elle se pare comme une fée du luxe et de l’élégance ; non seule­ment elle con­state mais elle répare. Partout elle se fait néga­tion de l’iniquité. »

Que dire de plus ?

 

 

image_pdfimage_print