ODE

extraits

1

Tout au fond
du corps & de la langue :
le silence d’une braise sans fin
qui retombe dans le vide
comme des pétales
sur la nuit
et sous cette voûte blanche :
une ombre crevassée
par le gel
remonte à la sur­face du gouffre.

Le temps cristallisé
comme du gypse

sur des moraines
de chaux vive

dans l’estuaire
du néant .

 

Celà est au bord du fleuve
où l’on ne pénètre qu’une fois
au-dessus des por­teurs de torches
l’aurore lente­ment déshabille
le cadavre du monde
sur la bar­que qui dérive
Celà
est hap­pé dans les voiles
du feu
par un cristal
au som­met du crâne
et au cen­tre de l’univers
échoué
sur la rive .

 

De quel côté de la berge
et de ses jardins

qui descen­dent vers les eaux pourpres

sig­naler
la dis­pari­tion du réel ?

 

Je marche dans le feu de cette aurore boréale
où le verbe prend la chair
et l’inonde de sa semence
comme un cri qui se retourne et dévore
toute la substance
toutes les offrandes
je marche de l’autre côté d’un monde
où le silence plante ses griffes
de soif et de faim
sur l’illusion et le mensonge .

 

Là ‑bas
dans la con­ti­nu­ité loin­taine de l’univers
où mille yeux apparaissent
dans la vue
se per­dent & se retrouvent
comme une étoile
qui garde sa lumière
dans la pupille incrustée
par un soleil noir :
on trou­ve l’eau pure
dans les sables d’une molécule décharnée
dans un rêve qui tourne mal
au fond d’une citerne
rem­plie de fleurs pourrissantes
on trou­ve des mem­bres disloqués
et d’oranges luminescences
dans une forêt de san­tal incendiée
qui marche vers la nuit
Là-bas
quand l’incarnation se réalise
dans la fécondation

 

arbres,cristaux,images & pail­lettes de sperm,nuée du coma

ce qu’il reste du voyage
& du com­mun des mortels

des mots,du sang séché,l’ardoise des os,des ravines vides.

 

ET DES CORPS REMONTENT DANS DES DRAPS DE LANGUE ET DE CRUAUTE BRÛLANTE CALCINES ET BEANTS SUR DES FATRAS DE SUIF ET DE LIES QUI VOMISSENT LEUR FUMEE AU-DESSUS DES CADAVRES & DES EMBOUCHURES.….…..

 

2

Je te cherche dans la nuit des lépreux
dans la nuit
des malades survivent
des têtes de mort clignotent
dans la chaleur
Des linges mys­tiques maculés
d’humeurs
de sang
de boue
d’urine
recou­vrent des fœtus
on les emporte dans des taxis défoncés
je te cherche dans la ville suintante
où les dieux ricanent
et se multiplient
dans les miroirs brisés
il n’y a plus d’air
des bras coupés salu­ent les trains
j’ai un ven­tre jaune
dans ma valise en fer
et des médica­ments périmés
con­tre la fièvre
j’ai vu la petite mendiante
dans la jungle
avec le vis­age de la variole
elle tenait un singe dans ses bras
et por­tait une fleur sur le front
je remonte le fleuve des migrations
la mous­son des âmes
dans les rues mal éclairées
et malfamées
les villes affamées
où le corps est une viande
où la langue s’allonge
se déroule
se heurte au trafic
et se cabre dans un bordel
Des chevaux éven­trés puis recousus
s’endorment épuisés
devant les gares
je te cherche dans l’explosion d’une cellule
dans l’état d’un nerf
dans le soleil se lev­ant sur le fleuve
avant l’apparition d’une image
avant et après les mots
dans un lotus
et entre les mains des sages
le jour lave les saris et les morts
le jour fait saign­er l’orange
dans mes gencives
mes dents se brisent à trop mor­dre le réel
jusqu’au sang
j’ai cher­ché jusqu’à l’aube un signe
une lumière fragile
dans tous les lieux de la ville
les recoins de l’âme
et de l’être
je me suis brisé à toutes les vitres
à toutes les rencontres
je brûle quelque part
au bout d’une route
dans un linge blanc
sur un brasi­er de fleurs …

 

3

Dans un car­ré mental
deux cannes blanches

dans un soleil dévasté
quelques bouts du monde

dans une fos­se dans la roche
les osse­ments d’Ulysse

le vis­age de personne
des sil­hou­ettes d’hommes

errant à contre-jour

& dans un tem­ple une lampe
au milieu d’une roue

immo­bile.

Tout au fond du corps et du réel :

les illu­sions volent en éclats
sur les trottoirs
par­mi les mendiants
qui râlent
entre la gare
& le cen­tre ville
je marche dans un monde de mort et de maladie

où retombent dans le vide
des pétales de fleurs-

« n’entendez-vous pas cette clameur venue de tous les coins
de l’univers?N’entendez-vous pas cette clameur de la vie qui
appelle et cherche à s’incarner dans le monde ? »

LES DIEUX ERRANTS
 
              retombent dans le vide avec des pétales de fleurs
              et des col­liers de braises.

              Et des pier­res de foudre.
              Avec des tri­dents remon­tent vers le jour

LES DIEUX ERRANTS…

Comme les mots dans la langue

cette clameur au-dessus de la ville et dans la terre
où je marche
vient échouer comme un cadavre sur la berge
une offrande de fruits et de fleurs
au bord du fleuve .

Odeurs de cen­dres dans un car­ré men­tal bris du monde dans le soleil blanc dans l’oeil éven­tré du cheval mangé dans la fos­se d’Ulysse masques arrachés du kar­ma et dans le réel une
roue qui tourne sans fin comme une lampe allumée au-dessus
du coma .

 

 

4
Longue attente
un mot de plus
sur le parapet
des lèvres
à marcher
vers l’écho
dans un brouillard
matinal
atten­dre quoi
atten­dre qui
buvant du thé
brûlant
les mots
un pas de plus
et je tombe
sur les rails
avec ceux qui dorment

             sur la voie ferrée
                                                 traversée
par un train rempli
              de dieux errants
          
           K
           A
       R M A
       A M R
           A
           K

               l’ombre de la lumière
dans la lumière des dieux
qui marchent sans fin
dans la terre.….

J’attends une parole
un moin­dre geste
dans l’écart du vent
comme un animal
au bout des lèvres
traque les syllabes
sacrées
qui se volatilisent
dans l’air
ravalé
d’un mot expié
je troue la langue
pour qu’il fasse jour
dans l’ombre
de l’être
qui chute
dans le vide

                    au milieu d’une ville
                                                     hantée
                     par tant de revenances
                                             et de dieux gisants

           
                K
                A
              RMA
              AMR
                 A
                 K

                     L’ombre de la lumière
dans la lumière des dieux qui marchent
sans fin dans la terre…
atten­dre qui
atten­dre quoi
hors du temps
qu’elle se révèle
ou une fin
en soi
transfigurée
une lampe
sur le bord
d’une route
un matin
au milieu
des mendiants
ceux qui réclament
l’amour
en aumône
ceux que les trains
écrasent .

Ceux que les dieux n’ont pas voulu
                                                 sur terre
et qui ne verront
jamais le jour
                                                 ni la lumière
ceux qui marchent sans fin
dans la nuit polaire
des hommes
                                                 et les décombres
des dieux.….                             sur terre

 

broyés par la roue par les dents de la mal­adie et de la misère
par l’injustice du

                    K
                    A
                  RMA
                  AMR
                    A
                    K

ren­dus silen­cieux par la langue recrachés par le sang du corps comme du bétel comme du bétail.…

Ne plus attendre
et sans plus rien
de l’Etre
partir
ne plus rien
attendre
de quiconque
et de quoi
que ce soit
ni du monde
ni des trains
ni des dieux
sans plus
attendre
par­tir encore
sans personne
sans moi
SANS RETOUR.

image_pdfimage_print