La sit­u­a­tion de la poésie et de ses acteurs est loin d’être par­a­disi­aque, et sa survie en tant qu’ac­tiv­ité cul­turelle et sociale est une ques­tion récur­rente, qu’on peut de nou­veau se pos­er en lisant, sur le site de Sitaud­is,  la let­tre “Poètes en grève!” à l’at­ten­tion des organ­isa­teurs de la Bien­nale Inter­na­tionale des Poètes en Val-de-Marne, trans­mise à titre d’ex­em­ple de la sit­u­a­tion déplorable faite aux poètes invités. Ou bien en retrou­vant, sur le site de la revue Décharge la men­ace (elle plane depuis plusieurs années déjà) sur le tra­di­tion­nel marché de la poésie, place Saint-Sulpice, à Paris, (man­i­fes­ta­tion annuelle où poètes, édi­teurs et lecteurs de toute la France et d’ailleurs, se retrou­vent en juin), qui ris­querait bien d’être sup­primé pour des raisons autant admin­is­tra­tives qu’économiques. 

Marc Chagall, Le Paradis (détail), Musée Marc Chagall, Nice - photo mbp

Marc Cha­gall, Le Par­adis (détail), Musée Marc Cha­gall, Nice — pho­to mbp

En 2018, le 36e Marché de la Poésie recevra le Québec en invité d’hon­neur et con­sacr­era une par­tie de ses activ­ités aux deux­ième volet des États généraux de la Poésie #02 : le devenir du poème. En 2017, ces Etats Généraux avaient inter­rogé les enjeux artis­tiques, la place dans notre société et l’univers économique de la poésie », dres­sant un bilan assez som­bre : mal­gré la mul­ti­plic­ité des nou­velles formes liées à inter­net (tweets, blogs, poésie sonore et visuelle…) il reste que dans beau­coup de librairies, le ray­on dédié à la poésie est anémié au point d’en être inex­is­tant, que les ventes de recueils ne représen­tent que 0,1 pour cent du marché, et que de nom­breux édi­teurs, exangues, ont de moins en moins de vis­i­bil­ité. Trop sou­vent, la seule occa­sion insti­tu­tion­nelle de ren­con­tre, notam­ment avec le pub­lic, sont les marchés et fêtes de la Poésie qui se tien­nent autant à Paris qu’en province – pour mémoire, le Fes­ti­val Voix Vives de Sète, qu’anime Patri­cio Sanchez-Rojas, pub­lié dans ce numéro de novem­bre, le fes­ti­val Poésie dans la rue, à Rouen, dont nous avons relayé il y a peu l’in­for­ma­tion dans notre fil d’ac­tu (qui fait régulière­ment écho aux très nom­breuses man­i­fes­ta­tions, lec­tures, ren­con­tres… pro­mou­vant la poésie).

Peut-on espér­er de la nou­velle min­istre de la cul­ture, éditrice par ailleurs, qu’elle aide à sor­tir la poésie de son rôle de par­ent pau­vre de la cul­ture ? Pour­ra-t-elle tenir compte des propo­si­tions faites par ces Etats Généraux: allège­ment des tax­es pour les micro édi­tions, ray­on de poésie con­tem­po­raine dans les bib­lio­thèques, aides aux maisons d’édition qui souhait­ent dévelop­per le secteur de l’édition numérique… Un bilan des amélio­ra­tions amenées par ce dis­posi­tif devrait être dressé en 2018 – mais qu’en sera-t-il dans un con­texte où la man­i­fes­ta­tion même qui les a sus­cités a un avenir précaire ?

 Et pour­tant ! La poésie ne cesse d’être lue.

 Sa place, non négligeable,dans le paysage lit­téraire, et dans la société, quoi qu’en pensent les pes­simistes, se lit entre autres à la mul­ti­pli­ca­tion, la péren­nité et la fréquen­ta­tion régulière et crois­sante des sites de poésie en ligne,  et des blogs et ten­ta­tives de néopoètes — par­fois mal­adroits (on le serait à moins dans un con­texte édu­catif où la lit­téra­ture la can­tonne à un bref chapitre, sou­vent évité par les enseignants talon­nés par des pro­grammes). On la mesure égale­ment au nom­bre de revues de qual­ité, papi­er ou sur le web qui don­nent à de nom­breux poètes, con­fir­més ou débu­tants, l’occasion de s’exprimer. C’est ain­si qu’en novem­bre, nous don­nons la parole à de jeunes auteurs — Pauline Mous­sours, Thier­ry Roquet et Hans Limon —  dont les poèmes côtoient les inédits que nous offre Tris­tan Félix, les poèmes engagés de Charles Akopi­an, et les forêts norvégi­en­nes d’Estelle Fenzy.

Avec la con­vic­tion qu’il n’est d’avenir que dans l’échange inter-cul­turel, à tra­vers l’e­space et le temps, Recours au Poème con­tin­ue d’œu­vr­er aus­si pour qu’ex­iste un réseau poé­tique inter­na­tion­al : ce mois-ci, nous don­nons la parole à Sev­gi Türk­er , qui nous présente sa con­cep­tion de la tra­duc­tion, et nous lit un poème de Fuzûlî en langue turque et en français (l’en­reg­istrement est à écouter sur notre nou­veau site Sound­cloud via le lien de l’article).

Nous citerons Claude Luezior poète suisse dont Nico­las Hardouin présente deux recueils, Nim­rod présen­té par Xavier Bor­des, ou Clau­dine Bertrand, poète, essay­iste et éditrice, qui vient d’être dis­tin­guée par le prix européen « Vir­gile 2017 », à l’hon­neur dans notre nou­velle rubrique sur la poésie du Québec, qu’elle inau­gure  avec des textes engagés et ouverts sur le monde, comme toute son œuvre…

Jean Migrenne, spé­cial­iste de la lit­téra­ture anglaise, nous pro­pose une déli­cieuse prom­e­nade à tra­vers les siè­cles, autour du dia­logue amoureux – et puisqu’on par­le de dia­logue, nous don­nons la parole ce mois-ci au dra­maturge Math­ieu Hil­figer, qui se con­fie à Anne-Sophie Le Bihan.

Nous n’ou­blions pas l’oeu­vre de dif­fu­sion des revuistes qui se lan­cent dans l’aven­ture ou qui pour­suiv­ent leurs pub­li­ca­tions papi­er : vous lirez ce mois-ci une présen­ta­tion de la revue Ver­so, dont il est le fon­da­teur et l’âme, par André Wexler lui-même, ain­si que la présen­ta­tion de la nou­velle et jeune revue Artichaut, avec l’in­ter­view de sa créa­trice, Jus­tine Gran­jard, mais aus­si des notes sur le Jour­nal des poètes, et les Cahiers du sens… on nous par­don­nera de ne pas toutes les citer ici, elles sont sou­vent à la une de notre page face­book. Nous n’ou­blions pas davan­tages les édi­teurs dont la résis­tance courageuse per­met la pub­li­ca­tion de nou­veautés et de textes ignorés par les « grandes maisons »  et dont notre rubrique « cri­tiques » se fait l’écho.

 Il faut espér­er que se réduise l’é­cart entre un marché économique en perte de vitesse, accom­pa­g­né des baiss­es et sup­pres­sions de sub­ven­tions qui main­te­naient à peu-près à flot ce secteur où sont de rigueur la bonne volon­té, le bénévolat, la prise de risque et l’in­so­lente incon­science de ceux qui sont libres et promeu­vent  coûte que coûte ce en quoi ils croient, et l’es­sor dont témoignent la fréquen­ta­tion des pages inter­net et des man­i­fes­ta­tions dédiées à la poésie. On peut sup­pos­er – on doit croire ! — qu’un revire­ment est à l’œuvre, et qu’elle peut repren­dre la place qui a été la sienne jusqu’au dix-neu­vième siè­cle : c’est tout le sens de notre action et ce que nous vous souhaitons, auteurs, édi­teurs, et fidèles lecteurs de poésie !

 

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