pour Alain Haller

 

 

A toi de déter­rer la nuit
dans l’infini du rêve !
à toi de préserv­er les vagues
de l’amour, afin que tout soit
pur et qu’en chaque destin
un peu de joie s’impose !

à toi de revenir
sur les pre­miers départs
qui furent cependant
de cru­els aban­dons ! à toi
de les revoir éclairés
par ta mémoire où chaque souvenir
est un ciel lumineux !

Rien de ce qui fut noir
ne le fut con­tre toi,
l’image du soleil persiste,
tu es fier de la voir s’étaler
sur la cam­pagne reposée.

À toi ! à ce qui, dans ton cœur,
se des­tine à l’ombre qui se veut
la petit sœur de la lumière,
de ses cas­cades dans le jour !

à toi, la suite des saisons,
leurs sourires, leurs éclats !
et si tu dois laisser
tes regrets der­rière toi,
pense aux ter­res mentales
où ils prirent racine,
sans que leur origine
t’ait ren­du l’esclave
des imper­fec­tions de la vie.

 

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La joie n’est pas chimérique,
même en ce jour plu­vieux de Toussaint,
la joie remonte à la surface,
tu la sens, tu l’écoutes
bat­tre avec ton sang,
dans une pro­fondeur qui ne ressemble
en rien à celle du temps,
mais à celle qui ne cesse,
avec le sec­ours lumineux
des sou­venirs, de t’inscrire
dans une aurore éblouissante
qui adoucit la mort
de ceux qui, avec toi,
rêvèrent d’un même horizon,

la joie pal­pite dans le silence
qui a la bon­té des mains tendues
vers toi, des regards que n’assombrit
aucun regret, puisque l’amour qui fut
est tou­jours celui qui revient,
puisque le présent joue
avec ce qu’on n’oublie pas
et que l’on porte en soi,
comme un flux de lumière
dont le jour ne peut se passer,

la joie, tu la cramponnes,
tes chers dis­parus te l’apportent,
ils veu­lent qu’elle soit incessante,
pure comme un ruis­seau, intense
comme un par­fum dans un soir d’été,
tu la cram­ponnes, la joie,
en ce jour de Tou­s­saint pluvieuse
où chaque sou­venir souligne le nou­v­el amour
qui redonne à ton corps le souf­fle qui t’avait quitté.

 

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J’aime les mots qui portent
en eux le vis­age des hommes,
la chaleur de leur sang, la longue
plainte de leurs espoirs vaincus,
leurs ent­hou­si­asmes, aussi,
quand le cré­pus­cule parfumé
se sou­vient des aubes rassurantes.

Les mots, ils sont ma main,
mes doigts, leurs empreintes,
ils gou­ver­nent l’espace,
ils pro­lon­gent le temps,
ils veil­lent pour moi,
sur les con­trées inexplorées
de mes poèmes à venir.

Je me régale d’un beau matin,
comme d’une phrase étonnée
qui s’éclaircit sur ma page.
Sans cesse, je me demande
qui dort en elle, qui est
ce per­son­nage qui me possède,

me pro­tège, me rassure,
parce qu’il est la chair des mots
qui sont, en même temps,
le vis­age des hommes,
leurs sou­venirs vécus,
leurs sou­venirs rêvés

et l’endroit mater­nel où éclosent
les pro­fondes légendes
où la vie se libère.

 

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Tu es mon feu sacré, mon recours,
ma lente mon­tée vers l’azur, tu es
l’espoir renou­velé, la fenêtre
ouverte sur la solid­ité du jour,
la stu­peur des ros­es éblouies
par un matin plus pur
que leur ray­on­nement, tu es

l’été changé en chant
couleur de vent, en cri d’oiseau
vain­queur, en lumière soulevée
par un regard soumis
à la ten­dre beauté d’un amour
qui revient, tu es aussi,

pour que je vive, une soif,
un éclair, une prochaine ivresse,
un de ces soirs puisés
dans le calme du jour. Je vois
venir à moi l’ombre
farouche des mon­tagnes, non
pour me désol­er, mais pour me dire
que ta voix est le cœur
ardent de ma parole,

qu’elle ne s’effacera pas,
que le moment précis
où elle cou­vre la mienne,
est le point de départ
de ma nou­velle vie, l’issue
que je réclame, afin que mon chemin
ne tourne plus sur soi
et ravive les traces
de tout ce qui m’enchante.

 

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Sous les caress­es du vent,
quel mes­sage t’émeut ? quelle
parole, sinon celle qui erre
entre le silence et ce que tu n’as
jamais dit ? que peut-être,
tu ne diras jamais, car aucun mot
ne peut vivre de ce qu’il veut dire
s’il n’a pas aban­don­né son écorce,

s’il n’oscille pas jusqu’au vertige
de l’absence, entre matin et soir,
entre heure pleine et heure vide,
là où ce que tu frôles
ne s’est pas encore changé
en évi­dence, en traces définitives,
en ces espèces de scories
qui arrachent au présent
son indéfiniss­able beauté,

surtout lorsqu’il porte en lui,
ce présent, l’image du passé
frémis­sante dans l’avenir,
et qu’il absorbe même ton souffle
pour laiss­er place au chatoiement
d’une feuille de tilleul
qui rivalise d’élégance
avec l’aile d’un papillon
où la lumière vient fer­mer ses yeux.

 

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