j’ai vu un ange sur la place 
il était assis sur le toit en tôle d’un stand 
en dessous-de lui dans des cagettes de bois 
s’alignaient poivrons, tomates, pommes de terre nouvelles,
oignons, choux blancs et choux cabus 
ses pieds pendaient du toit 
molle­ment il en frôlait les cheveux des passants 
il fit ain­si tomber le cha­peau d’un client 
il souf­flait un vent léger qui bras­sait les odeurs 
de fruits frais, de légumes, de fleurs et de poissons
il dévis­ageait les passants 
il ne quit­tait pas des yeux les vendeurs à leur balance 
il fix­ait leurs paumes gon­flées et gercées 
il fon­dit en larmes à la vue d’une vieille femme 
qui ramas­sait sous les stands des légumes pourris 
une pluie fine se mit à tomber 
des pétales d’une mar­guerite peinte 
coulait une encre bleu pâle 
on aurait dit une pute avec un kilo de maquillage 
qui se serait mise à pleurer 
l’ange ouvrit les ailes et s’élança vers le ciel 
je me suis dit que s’il y avait une jus­tice en poésie 
l’ange sous le cou­vert de la nuit 
irait  arracher le cœur du vendeur qui trafique sa balance 
cepen­dant, je ne le crois pas 
car les anges en général pren­nent des poses 
et gèlent tout nus sur les fresques

 

extrait de HIT DEPO
Tra­duc­tion Janine Matillon
 

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