A force
de jouer à vivre

on n’écoute plus
le temps venir à soi

… « et le temps s’enfuit sans tourn­er la tête ».

Voici un recueil de quinze pages à peine qui tien­dra lieu de com­pagnon de route à beau­coup d’entre nous.

Le vers à l’amble calme, par­faite­ment, abor­de le grand âge, le « bord de l’abîme ». Par­faite­ment, mais que veut-on dire par per­fec­tion ? sinon une adéqua­tion entre le sujet et la langue pour le dire. Et ce rien en plus, le génie.

Les fêlures et le reflux
vous entraî­nent vers
les sources d’une existence
aux trois-quarts parcourue

Se pencher sur sa jeunesse est un exer­ci­ce courant, sou­vent dans le but de trans­met­tre aux jeunes gens quelques recettes d’agitation. Là, c’est une autre offrande. Le poète veut-il retrou­ver quelque désert intact, une belle ruine ? non, un réel que  vien­nent mas­quer d’ordinaire les ramures généalogiques. Lisons la suite :

en leur creux et reliefs
l’ossuaire natal
son silence
solaire.

 

Plus que jamais solaire, en effet, Louis Dubost n’est pas ingrat, ne reproche rien à cette longue vie qui lui a appris à vieil­lir. Ni recon­nais­sant, il regarde juste, d’un regard aigu­isé, jamais blessant.

Et puis, il y a mieux à faire que d’imiter Sénèque. Com­mencer par ne plus espér­er don­ner un vis­age à ce qui n’en peut avoir et demeur­er là « embrumé de lumière ».
Mais surtout « atten­dre / intran­si­tif ».
Libéré des objets (directs ou indirects)

en peau de chagrin
un peu plus recroquevillée
sous le soleil tou­jours plus haut.

Chaque nou­veau jour est comme le dernier mot du poème, il vient à point.

Éviter de dis­sert­er trop pesam­ment sur ces pages si belle­ment et sim­ple­ment imprimées au plomb, et libres d’être cousues par leur lecteur en cas de grand vent. Il vaut mieux revenir aux poèmes, directe­ment, là, dans le soleil.

 

Trois questions à Louis Dubost :

 

— À la lec­ture de Fin de sai­son, je me demande où vont vos pen­sées, dans l’abîme ? vers le soleil ?

         Fin de sai­son rassem­ble une bonne douzaine de poèmes tirés d’un ensem­ble en cours d’écriture sur le thème du « vieil­lir / mourir », ce qui n’est pas très orig­i­nal compte-tenu de mon âge — cette année, j’arrive à l’âge de mon père lorsqu’il est décédé. Me voici donc au bord de l’abîme (la mort) mais encore debout sous le soleil (la vie). Plutôt que ressass­er avec regret et angoisse le passé (qui n’est plus), j’essaie d’envisager avec une sérénité min­i­male ce qui « est » à venir, le restant à vivre. Certes, la fin est inéluctable mais cette con­trainte « méta­physique » ouvre un espace de lib­erté au poème : non pas un assem­blage de mots (inno­cents), mais un lan­gage qui ait du sens, qui pré­cise le sens de tout ce qui est la vie. Ce qui me préoc­cupe, ce n’est pas tant mourir que « cess­er » de vivre : : tant qu’on peut par­ler ou écrire, on n’est pas mort. En ce sens, j’espère, comme tout jar­dinier, une « belle » fin de sai­son ! Là aus­si, je n’invente rien, je m’inspire de quelques « éveilleurs de pen­sée » qui m’ont mar­qué, tel par exem­ple Épicure.

 

— Un petit tirage, soigné, pour qui écrivez-vous ?

         Oui, c’est un sobre et beau petit livre, typographié à l’ancienne et avec des pages non coupées. Il faut en féliciter le jeune édi­teur, Julien Bosc, dont le choix de la fab­ri­ca­tion des livres est à rebours des tech­nolo­gies nou­velles, apparem­ment. Certes, un petit tirage (200 ex.), pas seule­ment mod­este mais « hon­nête » : l’éditeur promet ain­si de trou­ver 200 lecteurs, ce qui tout de même rend l’auteur un peu moins seul ! Dans ma vie antérieure d’éditeur, lorsqu’on me posait ce genre de ques­tion, je répondais que je savais faire 100 livres à 1000 ex., mais pas 1 seul livre à 100 000 ex. ! Au Phare du Cous­seix, j’écris pour 200 lecteurs, puisque telle est l’offre ; si la demande aug­mente, on peut tou­jours opér­er un retirage !

 

— En tant qu’éditeur, vous recom­mandiez aux jeunes impétueux qui voulaient à tout prix se faire imprimer de com­mencer par lire les autres poètes. Sans doute vendiez-vous moins de livres « Au dé bleu » que vous ne rece­viez de man­u­scrits. Que vous inspire le fait que main­tenant cha­cun puisse faire son livre sur internet ?

                  Lors de l’aventure du « Dé bleu », bon an mal an, je rece­vais env­i­ron 500 man­u­scrits… Dont des romans, des nou­velles, des thès­es de doc­tor­at, des recettes de cui­sine, etc. Et de la poésie dont les auteurs igno­raient mon cat­a­logue et les choix qui ori­en­taient ma pra­tique édi­to­ri­ale. Ça m’a agacé et j’ai écrit une Let­tre d’un édi­teur de poésie à un poète en quête d’éditeur (édi­tions Gink­go) : elle n’a rien per­du de sa per­ti­nence et elle est encore dis­tribuée en librairies : qu’on la lise ! Aujourd’hui, cha­cun peut pub­li­er un livre sur inter­net ce qui a des avan­tages : l’auteur a enfin son livre qui lui per­met d’exister ès-qual­ité ; et c’est autant de man­u­scrits inop­por­tuns qui n’atterrissent plus chez les édi­teurs. Mais aus­si des incon­vénients : com­ment trou­ver des lecteurs pour ce livre-bouteille jeté dans les océans de la web-planète ? Ques­tion récur­rente pour tous les « faiseurs » de livres. C’est tout de même quelque part « des » lecteurs qui « font » un écrivain.

image_pdfimage_print