Ali des colonies
jamais tu n’oublieras le salon rouge
de la villa des roses
la cave aux portes de l’enfer
où trois sous-officiers dirigent les chorales
trois cuisiniers français dont le maître est chinois
Ali aimes-tu la cuisine française
disent-ils en aiguisant leurs yeux sadiques
et leur rire
énorme
résonne
pendant plus de sept ans
Ils t’ont mis nu comme un enfant
ils te montrent leur serviteurs
anneaux de fer cordes et chaînes
un fauteuil mécanique
la baignoire
un casque spécial
et tout un appareillage électrique
Faut-il donc tant souffrir pour mourir
Parle Ali raconte nous
passé présent futur de ton groupe assassin
où sont tes camarades
et que devient ton frère
nous avons pris ton père il est mort l’imbécile
ta mère est avec nous veux-tu son sacrifice
parle-nous de ton frère Ali
nous saurons l’apprécier
et l’armement de tes copains
quel est leur objectif prochain
Tu n’aimes plus ta mère
Ali mon tout petit
jamais tu n’oublieras le cuisinier chinois
ses marmitons lubriques
les instruments de haine et de plaisir
oui
tu reconnais leurs rires
dans les coins épargnés de ton cerveau brisé
Qui ose
parler de Gestapo d’Inquisition
nous sommes en 1961
en Algérie
dans la villa des roses
Ce couteau dessinant sur ta peau
et ces yeux de père de famille
qui cernent ton silence
ces poings réglés sur ton visage
ces pieds cloutés bondissant sur ton ventre
ces cannes tes palmiers zébrant ton dos
et leur baignoire et leur fauteuil
et leurs anneaux leurs cordes
mariages brutaux sur ton corps impuissant
Ali mon tout petit
jamais tu n’oublieras
les boxeurs intrépides
sans peur
et sans reproche
qui t’ont appris la vie dans la villa des roses
Maintenant
c’est fini
dis merci
Embrasse-les
Ali
Dommage
ils sont partis vers d’autres devoirs
ton baiser
est trop dangereux.
Extrait de La Villa des Roses (éditions Librairie-Galerie Racine, 1999).