Quel beau titre choisi par Jean-Luc Wau­thi­er pour rassem­bler ses poèmes récents. Le silence ini­tial pré­side à la poésie et c’est ce man­teau là que le poète pro­pose de pos­er sur les épaules d’un monde où le bruit, le froid et la soli­tude règ­nent en lieu et place de la liberté.
Le tis­su de ce man­teau est d’une bure cha­toy­ante, tramé d’un fil inter­ro­geant l’essen­tiel : la vie, le mys­tère de l’autre à l’in­térieur de soi, le poème.

Et toi, tu cours à
tra­vers le temps
et tu dis­pers­es tes oripeaux
sur le grand man­teau de la nuit
la pous­sière d’une étoile
les pas d’une biche
enfin venue boire
un instant
à la source de toi-même.

Qu’une biche aujour­d’hui puisse venir boire à la source de soi-même, voilà qui réac­tive les images les plus intérieures de l’hu­main, celles lais­sées comme des empreintes arché­typ­ales par une nuit des temps dont nous ne pour­rons faire l’é­conomie d’une revisitation.
Le poème est le lieu d’élec­tion du Vivant libre. En lui se joue la con­tre-image, celle puisant son intel­li­gi­bil­ité à la source de la vie elle-même, et tra­vail­lant, dans le sub­til des êtres et des choses, à se super­pos­er à la stan­dard­i­s­a­tion mor­tifère des images du mass-économique.
Dès lors, le poème peut tout et tout est con­sid­érable dans le cours de sa trame. Aucune désué­tude n’y est con­damnable par principe. Aucun anachro­nisme, puisqu’en son cœur est aboli tout temps linéaire.

Masqué der­rière un mur de flammes
Le poème nous regarde et nous juge.
Pas tou­jours à la hau­teur, l’auteur
tente d’ap­privois­er le prédateur
qui le sauve et le tue. Mais
le poème loin de la laisse et de la niche
arpente en son absence
le grand ter­ri­toire des désastres
et nous force à regarder le feu dans les yeux.

Nous revenons à jamais consumés
jurant de ne plus nous laiss­er prendre
mais tel poème qui rit vendredi
deux jours plus tard avec nous pleurera
nous étouf­fant sous le ter­ri­ble poids des cendres.

Voilà ce qu’est le poème, un être, un être en nous, comme un pré­da­teur, comme un grand fauve sauvage à l’af­fut dans le paysage intérieur dévasté, à la recherche de quelque vivre, de quelque fontaine de jou­vence, un être qui voit quand plus rien ne nous pro­tège et peut venir à notre sec­ours, notre ultime recours.

Ah, que je repose enfin dans l’enfance
Qui jamais ne cesse de dicter le poème
d’ou­vrir notre corps malade
aux allées de lumière
à l’or­dre des ténèbres épongées par la nuit
Ah qu’en­fin je
te retrou­ve, poésie, petite fille aux allumettes
aux doigts gelés.

Et que flambe enfin toute la maison.

Nous le voyons, Jean-Luc Wau­thi­er hisse la parole, dis­crète­ment, hors de la mort dans laque­lle le siè­cle la tient, et le rôle du poème est bel et bien d’opér­er la mise à mort de tout ce qui nous empêche d’être vivant, de con­quérir la sou­veraineté pour laque­lle nous sommes ici, main­tenant, celle nous per­me­t­tant de ris­quer notre lib­erté con­tre le con­fort et la sécu­rité faisant de la société une com­mu­nauté de morts-vivants.

Le beau Man­teau de silence du poète Wau­thi­er est l’ar­mure nue que la per­son­ne humaine peut choisir de revêtir. Pour la lib­erté. Ou la mort.

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.