Et monte dans sa cham­bre à bord, par la coupée

                                                                                                       le pen­sion­naire, fla­con de grap­pa dans la poche,

                                                                                         l’anonyme absolu, l’homme en imperméable

                                                                                                       et qui a tout per­du : patrie, mémoire, fils.

                                                                                                                 J. Brod­sky, Lagune in Poèmes 1961–1987

 

 

Depuis le couloir, Ada­gio pour cordes de S. Bar­ber où je me fonds, comme quelqu’un, dehors, grimpe les march­es et que, dans la ser­rure, une clef entame un quart de tour dans la cham­bre joux­tant la mienne, des mots s’attroupent aux abor­ds chaulés des volets main­tenant tan­dis que des mains les refer­ment dans la minu­tie des gestes et qu’une lampe s’allume ressus­ci­tant la vie qui l’héberge de nou­veau puis s’éteint, pastille halogène… J’entame une tranche de pain aux céréales, le thé dans le bol ébréché, sur la ter­rasse où, de but en blanc, la pluie, fine, s’annonce, éparse, glaçant la pente subite­ment parée des toits, piquant l’épiderme, à peine brise tavelée de riens pour­tant dans le matin qui s’éveille s’incrustant dedans les ongles… Au loin, un réver­bère sil­hou­et­tant au canal mise en scène de bâtiss­es et guipures de feuil­lages, d’algues vertes invis­i­bles à l’œil presque aux pieds des ducs‑d’Albe où s’ébauche un sou­venir, etc. – une vision encore brusque­ment du som­meil, ou non ? –, trem­blantes par inter­valles, inven­tant des détails… J’imagine : à l’égal d’Hélios, quelqu’un en moi s’encadre à la fenêtre attrayant le regard à l’immeuble d’en face et me regarde, près de lui sa cig­a­rette qui se con­sume dans un cen­dri­er Cam­pari, à (deux ?) rues d’ici sil­lon­nant son ombre en salopette brune tan­dis qu’une perceuse se met en marche dans l’apostrophe érail­lée d’un vendeur proche le Ponte d. Scalzi.

 

   Extrait de Venise, illus­tré par David Hébert, Les Van­neaux, 2012 

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