(MEDITATION A PARTIR DES MOMIES COPTES DU LOUVRE)

  

« Un lieu, une mémoire» (Louis Calaferte)

 

- — - — -

 

Ce qui  est sans voix, (phase 1).

 

Ou plutôt non (phase 2) ce qui provoque  un effet d’abîme

 

 « Ce ne peut être que la fin du monde en avançant » aurait dit Rimbaud.

 

Fig­ures d’une suc­ces­sion de chutes où  seul l’in­sai­siss­able est retenu. 

 

 

 

L’image rap­pelle que la vie tue.

 

Que c’est un don. Comme les images elles-mêmes.

 

C’est pourquoi cer­tains monothéismes les craignent.

 

Car don­ner, vrai­ment don­ner, est difficile.

 

 

 

Le corps sans corps pos­sède une forme,

 

Un habit  de laine sur-mesure qui n’est pas un linceul.

 

Le tout crée un début du jour plus que la fin de la nuit.

 

Ce qui n’enlève donc rien la ques­tion : que faire avec un corps ?

 

 

 

Car voici le corps.

 

Que peut-il faire, que peut-il donner ?

 

Don­ner  un nom à un tel corps est difficile.

 

Au nom de qui don­ner le nom ?

 

 

 

 

Par sa momie le corps reste inachevé.

 

Il marche en lui-même.

 

Restent les inde­scriptibles traînes de l’effacement.

 

 

 

 

A cet instant les morts ne revi­en­nent plus hanter les vivants.

 

Ce sont les vivants qui habitent les morts

 

Pour qu’ils per­sis­tent dans le cosmos.

 

Et s’il doit rester un désert, qu’il soit la néces­saire perte de repères

 

A  tra­vers l’étoffe liturgique de toutes les lumières.

 

 

 

La momie tou­jours bâtit un mystère. 

 

La laine où elle repose élar­git son  secret.

 

Dans son creux elle débor­de la force de vivre

 

Con­tre le peu qu’elle est. 

 

C’est pourquoi la momie ne se quitte pas.

 

 

Dévoré le visage

les dents mis­es à nu

Sor­tent à vif

Pour un dernier murmure

Un ultime com­ment dire.

Il respire encore un moment.

 

 

 

Faible lumière diffuse

Corps sec­oué jusqu’au dernier frisson

Reste sa colonne dernière.

Une chute

Hors de la vie ?

Hors du corps ?

Pas loin de son esprit.

 

.

 

 

 

Vis­age égaré sur la route du temps.

 

Le corps entier tente encore de se dégager de  la laine grège

 

Elle est dev­enue sa complice.

 

Il ne s’agit pas de la fil­er mais de la détricoter.

 

Appel.

 

 

 

Recherche des autres

 

Recherche de l’harmonie suffoquée

 

Ceux qui ne par­lent plus s’expriment pour­tant encore par la bouche.

 

 

 

Sourire du cadavre.

 

De toutes ses dents il raconte.

 

Mais celui que la vie a quit­té exige une autre histoire

 

Avec une autre fin.

 

 

 

Pour autant face à lui

 

On ne ren­tre pas chez soi plus âgé ou plus triste. 

 

Il faut le regarder non pour guérir 

 

Juste pour com­pren­dre que per­son­ne ne peut se sauver de la mal­adie de sa mort.

 

Ecou­tons ce que dit la souffrance

 

Dans la den­sité de son silence sans fond.

 

 

 

 

Il ne s’agit plus de mourir

 

- Ce mot n’existait peut-être pas dans la langue copte.

 

Il s’agit d’accepter les visiteurs

 

Et les Vis­i­tandines avec leur coiffe de vierge humaine.

 

Les blessures du passé ne deman­dent qu’à s’asseoir près d’elles

 

Dans un besoin mélan­col­ique de partager le cha­grin du temps

 

Et de trou­ver dans les tiroirs de l’ossuaire du Lou­vre la vie cachée.

 

 

 

 

Com­ment ne pas être touché par son silence ?

 

Là où les crânes devi­en­nent la bois­erie ronde devant la vie hostile

 

Crû­ment crue, car­ré­ment criminelle.

 

Ils sont là pour mon­tr­er à ceux qui restent

 

Com­bi­en sont forts leur cha­grin et notre peine.

 

 

 

 

Leurs squelettes emmi­tou­flés sont des coups de poing.

 

 

 

 

Le corps de l’enfant a souffert.

 

Comme lorsqu’il regar­dait les bateaux par­tir pour l’Occident

 

Petit Moïse sor­tant de l’eau, s’écroulant sur le sable

 

Il souf­fre encore.

 

Per­son­ne pour le pren­dre sur des genoux.

 

Cet enfant est-ce vrai­ment lui ?

 

Est-ce vrai­ment nous ?

 

Reste sa Pas­sion qui ne peut dire son nom.

 

 

 

 

Avec ce qui reste de leurs lèvres rongées

 

Les morts deman­dent encore pardon.

 

Mais de quoi sinon des cica­tri­ces faites à la terre ?

 

Peut-être devri­ons-nous compter les journées de joie

 

Sur les doigts de leur main morte.

 

 

 

 

Des  tiroirs où l’on tenait les corps

 

Ils  se sont avancés tels des déments pour des noces à venir

 

Ils hurlent ce qu’on ne veut entendre.

 

Heureuse­ment leurs larmes son invis­i­bles depuis le temps.

 

Mêlées au sable quelles vit­res rendirent-elles opaques ?

 

 

 

Dans le for­mi­da­ble cortège humain

 

La mort une fois de plus a recom­mencé sa tache.

 

Elle était là. Elle est là. En bonne camarade.

 

Nous sommes ses égarés provisoires.

 

Notre foule est de plus en plus compacte.

 

Finale­ment il n’existe que la légèreté d’âme comme critère.

 

C’est peut-être trop. Ou trop peu.

 

 

 

Le corps en a fini avec les épou­sailles des mères

 

Et avec l’extase pour­ris­sante de la chair soumise à la jubi­la­tion de la vermine.

 

Il n’y a pas d’autre jour que le celui où le singulier

 

- pas si sin­guli­er que ça d’ailleurs -

 

Se dilue dans le tout.

 

 

 

Voilà l’issue

 

Avant que le gris-noir ne s’étende

 

Avant la nuit totale

 

Le bruit sourd du fleuve des morts.

 

Il y a toute la bru­tal­ité du mar­quage qui écrase ou soulève.

 

L’existence bat encore dans des couch­es  dens­es  où la couleur est presque absente.

 

 

 

 

L’exigeante pureté des momies

 

N’est que la face bril­lante d’un autre désir non assumé.

 

Celui qui laisse tou­jours son approche éperdue.

 

Le blas­phème y jouxte l’adoration,

 

La lumière les ténèbres,

 

 

 

Voici en une anar­chie cel­lu­laire ce qui reste du « je », du « moi ».

 

De tels pronoms n’ont plus rien de personnels.

 

Ils n’auront été que des points de l’invisible saisi dans son vif.

 

Qu’il en soit ainsi.

 

 

 

Ce ne sont  là que sil­hou­ettes inhu­maines ou trop humaines

 

Par la charge d’inconnu exposée à l’arrachement.

 

On retient le souf­fle coupé

 

Le geste désespéré.

 

 

 

Les corps mon­trent ce qu’il en est non de  la vue mais de la vie et de la mort

 

Leur inter­valle per­met de s’en rap­procher sans illu­sion d’optique

 

Afin d’appréhender autrement tout ce qui nous échappe,

 

Ce qui se dit,  se dit en ne se dis­ant pas.

 

 

 

 

Chaque momie n’est que ren­dez-vous, attente.

 

Sur­git le monde de la présence précaire.

 

Il l’est dans la douleur muette

 

Mais incar­née tant que faire se peut.

 

Soudain  la vérité dérobe la vie

 

La mort  dérobe la vérité par son jar­gon de l’authenticité.

 

 

 

 

Soyez cer­tains que ces images ren­voient à l’in­con­scient barbare,

 

Tels les spasmes tel­luriques d’un rite inaugural.

 

L’o­rig­ine du monde est là.

 

Dans le tapage du silence.

 

Mur­mure que murmure

 

 

 

 

Il porte au bout du monde.

 

Il dégage un pro­fil par­ti­c­uli­er que l’éternité ne peut nier :

 

Celui d’un temps non pul­sé mais pur.

 

 

 

Les morts – les morts – les morts vien­nent alléger notre peine.

 

Nous sommes con­fi­ants en leur fidélité

 

Tan­dis qu’une lumière blanche les étale, dis­paraît puis revient sur leur vanité.

 

Elle fait de nous leurs orphe­lins d’un seul jour à l’aune de l’éternité.

 

Quel que soit notre pari ils tiendront.

 

Ils restent les prim­i­tifs du futur.

 

 

 

 

 

POSTFACE

 

Le corps, tou­jours, nous échappe. Nous ne savons rien de son lieu et de ce qui s’y passe. Nous ne pou­vons con­stater que ce qu’il en reste. Bref son ossuaire. Les  momies coptes  en don­nent des indices afin de mon­tr­er com­ment elles ont prise sur nous  et  nous touchent.  Elles ren­versent nos espaces char­nels afin d’inventer de nou­veaux rap­ports, de nou­veaux con­tacts avec le squelette qui « incar­ne » une autre présence.

Les momies coptes sont un lieu de fouille et d’in­car­na­tion du squelette en un exer­ci­ce de  cru­auté et de douceur para­doxale. Chaque crâne devient  porche, pas­sage plus que charnier ou cimetière où toutes les choses seraient fixées. Sur­git une théâ­tral­ité du signe humain. Elle exagère à bon escient  la dimen­sion trag­ique  afin d’en pro­longer les échos.

Mes­sagère d’un monde clos la momie fait pass­er d’un monde boîte à un monde oignon,  per­me­t­tant de gliss­er du fer­mé à l’ou­vert. Le corps est pénétré par la cav­ité de ses orbites, entre ses dents et en un sens du rite.  Un rite poé­tique qui trans­forme la notion même du genre qu’on nomme « vanité ».

La momie devient l’aître — âtre de l’être-  qui défie à la fois la représen­ta­tion et le sens com­muns qu’on accorde aux morts. Se  retrou­ve ici ses orig­ines les plus loin­taines, avant même le lan­gage et donc — si l’on en croît la Bible — la chair. Aux pré­ten­dus  éclairs de paroles d’é­vangile fait place ce qu’il nous reste : nos os à ronger. On a donc tou­jours besoin des images car les mots seuls et à l’inverse s’en­fon­cent dans les ténèbres.

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