Où es-tu, arbre force et orgueil,
Puis­sant de branch­es, bruis­sant de feuilles,
Nœud de vipères crochant en terre,
Arbre duquel j’aurai mon cercueil ?

Je veux te voir, palper ton aubier,
Hélant aux bois, fouil­lant les halliers,
Arbre mys­tère, bois de ma bière,
C’est ton promis qui vient te chercher !

Sans cesse j’erre par la forêt
Sans recon­naître l’arbre secret :
Fais-moi un soupir, pour l’avenir,
Avant l’étreinte pour l’éternité !

Il nous faut bien con­venir d’avance
Du tra­vail sourd, du tra­vail immense
Qui nous attend jusqu’au fond des temps :
Nous muer en cen­dre, en désespérance ?

Peut-être vien­dras-tu en radeau,
De très très loin, au lent fil de l’eau,
Honte alors, mon voisin de mort,
De ne nous con­naître pas plus tôt !

Peut-être pouss­es-tu sous mes yeux,
Très quo­ti­di­en, pour­tant mystérieux,
Même peut-être ai-je fait des lettres
Sur ton écorce d’un canif heureux ?

Je veux par­ler avec toi cœur à cœur,
Je veux obtenir, men­ace ou prière,
Que tu jail­liss­es de la glèbe triste,
Pour refleurir, niant le malheur !

Et puis, qu’en toi tu m’entes dans l’ombre,
Pour m’arracher à la terre sombre,
Quand s’uniront un nerf, un bourgeon,
Nous sur­girons, arbruis­sant sur la tombe !

Je veux qu’en un soupir sans pareil
La terre nous hisse du sommeil,
Terre unique, terre prodigue,
Blessée au cœur par notre cercueil.

 (1925)

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