Extraits du recueil La Mer devrait suf­fire (édi­tions Hen­ry, 2014)

 

 

pas­sagère

la lune roule dans le ciel
tu as lais­sé une pomme tomber de ton sac
tu as lais­sé un enfant pouss­er sur ton dos

ta démarche se ralentit
tu peines à franchir les tourni­quets du métro
une pomme roule au bas de l’escalier
et se trans­forme en lune
dans le caniveau

en pupilles noires
dans ton dos

tu peines à tra­vers­er la journée
tout pèse lourd
l’éternité s’est enrayée

c’était donc ça 
toutes ces histoires
de lunes de pommes et d’enfants

 

 

human­ité

cer­taines per­son­nes parfois
plaisan­tent le samedi
et se pen­dent le dimanche

apparem­ment mon âme
on peut vouloir rire
et mourir en même temps

et moi je n’arrive pas
à comprendre

 

 

 

Sylvia Plath

Sylvia tu vois encore un poème
pour te dire la peine que ça fait
de t’imaginer glacée dans ta cuisine
par une nuit d’hiver lugubre
la neige paral­yse la ville 
comme dans une nou­velle de Joyce
et la vie te fait mal

il est cinq heures du matin
les petits enfants endormis le beau mari parti
les mots n’y peu­vent rien
la mine du cray­on se tait
dans son cer­cueil de bois
l’encre du sty­lo a dû geler
il neige sur le papier
et la vie t’asphyxie

l’air manque depuis trop longtemps dans tes poumons
le gaz les rem­pli­ra doucement 

il n’était pas ques­tion de mourir

 

 

 

cui­sine

l’eau qui bout dans la casserole
le couteau qui veille dans le tiroir
le tuyau qui s’obstrue
la poussière

l’eau qui durcit dans le congélateur
le plas­tique qui fond sur la gazinière
la soude qui corrode
et la poussière

toute cette poussière

patiente

 

 

 

sanc­tu­aire

le lit a été fait comme il faut
et les vieilles mains passent
en un rite discret
sur le revers bien blanc du drap

c’est un geste qui ne sert à rien
et l’œuvre sera détru­ite ce soir
comme tous les soirs innombrables

c’est un geste indispensable
quand plus per­son­ne ne le fera
un monde aura pris fin

– la croy­ance dans les lits bien faits
le désir du paradis
pro­pre, lisse, blanc
les cer­ti­tudes d’un siècle –

les vieilles mains caressent le drap
doux au toucher

 

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