Marc Kober, L’ours des mers

Par |2021-07-06T16:58:40+02:00 5 juillet 2021|Catégories : Focus, Marc Kober|

Un arti­cle paru en 2017, que nous devons à Michel Host qui nous a quit­tés cette année, le 6 juin.

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D’un monde à l’autre1

Le livre de Marc Kober est mince et il tient à l’aise dans la poche. Il n’en est pas moins grand, il con­tient le monde sous « une nuit piquetée de points lumineux. » Bref, il tient sa place et son rang.

Le poète l’a divisé en six « sec­tions », elles paraîtront ici et cha­cune à son tour.

L’OURS DES MERS n’a pas volé son nom, il aime à se baign­er : nous assis­tons à « son pre­mier bain / au plus pro­fond du nu ». On le devine blanc, car il porte des lunettes noires, selon celui qui le dessi­na avec finesse et élé­gance, Vin­cent Rougi­er. Il paraît dans son cos­tume naturel, sous ses poils, tout comme un homme c’est prob­a­ble, tout comme le « dieu nu dans les flots » de l’épigraphe, sous « la con­stel­la­tion du Grand Ours. » On le devine aus­si peu ras­suré que le lecteur ou que l’homme moyen « sans com­bine ». Ses pen­sées ne sont pour­tant pas des plus pures (on y ren­con­tre Dédé-la-saumure) et c’est le chaud mois de juin, tout cela est bizarre… pour un ours ! Les envi­rons sem­blent peu­plés de nud­istes et d’é­tranges indi­vidus, qui vont « Sous l’œil unique de Ganymède au naturel / La matraque en berne / La dou­ble lune à l’air ». Voilà qui sem­blera plus belge que nature au lecteur aver­ti. L’an­i­mal est à deux têtes, tel Janus ici, là il fait le singe dans l’eau tan­dis que s’éri­gent phares et arbres au « roy­aume des hommes nus … […] tous soumis à l’acupunc­ture solaire ». Rarement mots et images se seront accordés à ce point. Des femmes passent « inac­ces­si­bles », lui s’ap­prête à « entr­er dans le sexe liq­uide la mer. » Cette fable, cette allé­gorie ne sont-elles pas étranges et néan­moins d’une limpi­de clarté ? La poésie ne doit-elle pas, dans ses tâch­es pre­mières, nour­rir l’imagination ?

Marc Kober : L’ours des mers, Rougier V.

MARC KOBER, L’ours des mers, Chez Rougi­er V. – 2017 
50 pp. — 13 € Coll. Plis Urgents 45 
Dessins et Gravures de Vin­cent Rougier

Ate­lier Rougi­er V. 3 Les Fore­ttes – F‑61380 – Soligny la Trappe

Les MÉDUSES POÉTIQUES sont « d’eau douce », se goû­tent en sor­bets, se cro­quent avec du « sel neige ».. Ce monde grandit dans des pro­por­tions inavouables, il ne ressem­ble à aucun monde con­nu, peut-être relève-t-il d’une désor­gan­i­sa­tion sin­gulière ou d’une organ­i­sa­tion sur­réelle, pour ne pas dire sur­réal­iste. « Taquin­er la méduse… » ? N’en rêvez pas trop. Peut-être est-ce impos­si­ble. Dans un coin du tableau, vous ver­rez un amandi­er ban­der. C’est étrange aus­si, un amandi­er qui bande. Mer­ci au poète et à son illus­tra­teur qui voy­a­gent ensem­ble avec tant de bon­heur. J’ai con­nu des per­son­nes qui n’ad­met­taient pas l’hu­mour dans la poésie, encore moins le sourire et l’ironie portée sur les choses : ces per­son­nes étaient plutôt mal­heureuses ! Lecteur, meurs en paix, car « Les Grecs met­taient des petits cail­loux sur les morts » et tu auras, en prime, « un œuf qui te par­le de la nais­sance de la mer », avec « l’odeur vio­lente des nar­ciss­es blancs ». Autrement dit, prosaïque­ment dit, philosophique­ment dit : qu’est-ce que la mort ?

Les POÈMES DE L’OUEST PARISIEN sont deux, presque orphe­lins. Ques­tion sub­séquente : qu’est-ce que l’est parisien ? Qu’y a‑t-il vers l’est parisien ? En apparence (c’est le cas de le dire), on y trou­ve « les poètes de Lou­ve­ci­ennes », de vains ges­tic­u­la­teurs, et les chevaux du roi Soleil au car­refour de Marly : une illu­sion et un holo­gramme. Dis­ons-le, notre monde est car­ré­ment autre et le poème nous l’au­ra changé. C’é­tait d’ailleurs « l’hom­mage d’une caméra de sur­veil­lance » du temps où il y en avait ue à chaque carrefour.

Les HAÏKUS DE BANLIEUE ont ceci de sin­guli­er qu’al­lant par trios tran­quilles (ils sont donc fort peu japon­ais), ils tra­versent une con­trée où « les pros­ti­tuées sont à Genève » (enten­dons : elles ne sont pas où on les cherche), où les voitures n’ont nul besoin de plaques d’im­ma­tric­u­la­tion et où, pour une jeune fille, avoir de grands pieds n’est pas un vice de forme. Incon­vénients et avan­tages. Chaque lieu a les siens. Un ours est présent, il a les oreilles ros­es comme les fleurs des jardins. Toute cette douceur est peut-être trompeuse. Les mots nous piègeraient-ils, surtout s’ils ne cachent aucun piège.

DIEU EST UNE FEMME COMME UNE AUTRE. Dans l’en­vers des choses d’i­ci-bas ou d’ailleurs, une genèse toute nou­velle nous attend. Elle est l’œu­vre d’un Dieu assis sur son coussin de nuages, dieu per­son­nel donc. Son ven­tre s’ar­rondit au point qu’il fut dans l’im­pos­si­bil­ité de « [voir] sa divine » ! Ô mon Dieu ! Il accoucha de lui-même, soit de « sa plus belle créa­tion ». Cela nous a un petit air spin­oziste bien réjouis­sant. Ensuite il n’ac­coucha plus que d’un mod­este vent, fit pipi sur l’aile d’un ange ce qui ne fut prob­a­ble­ment pas facile, des seins lui poussèrent, il fut femme enfin et « con­nut la joie, l’in­sulte et le crachat. »

Le recueil se clôt sur un car­net de recettes culi­naires de l’autre monde : on y cui­sine le crabe chi­nois, la soupe con­fucéenne, le tartare coréen dont on se four­nit à Paris, entre les avenues d’Ivry et de Choisy, et on y boit des alcools asi­a­tiques dont cer­tains, plus légers, sont aisé­ment tolérés par les jeunes filles. On y mange aus­si à la pointe des baguettes. Si une demoi­selle se sent mal, on lui masse les orteils. L’e­sprit ayant été nour­ri, Marc Kober entend nour­rir les corps de mets qui seraient exo­tiques s’ils n’ap­parte­naient à cet ailleurs où il nous emme­na en vis­ite. Non pas dans l’inepte souhait touris­tique, mais dans l’aven­ture de la ren­con­tre et de l’ex­péri­ence explo­ratrice. Les ques­tions sont : quel est ce monde aux con­tours par­fois asi­a­tiques, mais assez mélangé ? Est-il d’hi­er, d’au­jour­d’hui, de demain ? On recon­naît ici la rigid­ité de nos caté­gories. C’est un monde du rire, par­fois de la déri­sion, sou­vent de l’ironie. Il est bon d’avoir entre­pris le voy­age. Si l’on veut bien y réfléchir, un monde infin­i­ment plus sérieux que celui dans lequel nous mari­nons depuis plus de 5000 ans comme des crabes « à la cara­pace molle ».

Fin de « D’un monde l’autre » — Octobre 2017
de Marc Kober

Extraits du recueil L’Ours des mers

Poèmes de l’ouest parisien

Les poètes de Louveciennes
Ges­tic­u­lent dans une cage en verre
Pour une belle indifférente

Car­refour noc­turne de Marly
Le roi Soleil lâche ses chevaux
hologrammatiques

Dieu est une femme comme une autre

Dieu créa d’un miroir jouf­flu la forme des nuages. De cette barbe à papa recuite naquirent les par­ties d’une géométrie élé­men­taire. Roy­ant bien faire, il sor­tit l’homme et la femme du pétrin et les dota d’or­ganes ros­es. Il aimait mod­el­er la tige, le per­tu­is et la divine sphère. Car ce géant obèse songeait, assis sur des coussins ori­en­taux. Il se rêvait aus­si lisse et par­fait que les planètes. Il conçut après plusieurs vis­ites. Son ven­tre s’ar­rondis­sait. Il ne voy­ait plus sa divine… Une touffe d’herbe s’ac­crochait au bas de sa colline gra­vide. Il eut un dernier spasme. Il était enfin devenu sa plus belles création.

Note

  1. Cet arti­cle est pub­lié égale­ment sur La Cause Littéraire.

Présentation de l’auteur

Marc Kober

Marc Kober est poète, uni­ver­si­taire et essay­iste. Entre autres. Digne descen­dant du sur­réal­isme influ­encé par Man­di­ar­gues et par Arcane 17, Marc Kober a créé une belle revue inscrite dans ce domaine dans les années 90 du siè­cle passé, La Révolte des chutes, revue qui a joué un grand rôle dans le développe­ment des édi­tions post-sur­réal­istes Rafael de Sur­tis, avant de devenir rédac­teur en chef de Supérieur Incon­nu puis mem­bre du comité de rédac­tion de La Sœur de l’Ange.

Auteur d’un roman (Fayard) et d’un recueil de nou­velles (A Con­trario), il affec­tionne les beaux objets livres.

Marc Kober

Recueils de poésie

  • Déposition/Deposizione, dessins d’Enrico Baj, Fer­rare : Lib­er­ty House Edi­tore, 1992.
  • Suite Coréenne, gravures de Gérard Serée, Poitiers : Édi­tions Rafael de Sur­tis, 1999.
  • Un Creux d’obscur, gravures de Gérard Serée, Nice : Ate­lier Gestes et Traces, 2003.
  • Soix­ante Bais­ers, Paris : Édi­tions La Mez­za­nine dans l’Éther, 2007. Réédi­tion 2008.
  • Les Fèves bleues, Nice : Ate­lier Gestes et Traces, 2010.
  • Un Hareng diep­pois à Fécamp, deux gravures d’Olivier O. Olivi­er, Soligny-la-Trappe : Rougi­er V. éd., 2011.
  • Traité du mous­tique en zone libre, gravures de Vin­cent Rougi­er, Soligny-la-Trappe : Rougi­er V. éd., 2015.
  • Tat­su to kumo (drag­ons et nuages), Nice : Ate­lier Gestes et Traces, 2015.
  • Quelques mots sans art, col­lec­tion « Médail­lon », gouach­es de Marc Jan­son, Tours : Le Livre pau­vre (Daniel Leuw­ers), 2015.

Autres lec­tures

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Michel Host

Né en 1942. Enfance partagée entre petite ville de province et cam­pagne, puis huit années de semi-réclu­sion, c’est-à-dire de pen­sion­nat, dans un col­lège catholique.

Une bonne for­ma­tion lit­téraire, où entrent clas­siques français et étrangers : la Renais­sance, sin­gulière­ment, lui a ouvert les yeux et l’esprit.
Échappe à la vie famil­iale à dix-neuf ans, se rend à Paris, tente d’y devenir insti­tu­teur (en est empêché par les obsta­cles mêmes que lui pro­pose et oppose l’Éducation nationale), épouse une artiste pein­tre et entre­prend des études supérieures d’espagnol en Sor­bonne. Agrégé d’espagnol, il enseigne cette langue dans divers lycées – dont le lycée Jan­son de Sail­ly -, et ensuite la lit­téra­ture espag­nole du siè­cle d’Or aux étu­di­ants de licence, puis aux capésiens et agré­gat­ifs, dans le cadre du C.N.E.D. (Cen­tre Nation­al d’Enseignement à distance).

Par­al­lèle­ment à cette car­rière de pro­fesseur, il entre­prend d’écrire son pre­mier roman. Six années de tra­vail couron­nées par le prix Robert Walser, et un accueil chaleureux dans la presse et le lec­torat. Depuis, ont suivi plus de vingt ouvrages appar­tenant à des gen­res var­iés : roman, nou­velle, poésie. A dû se résoudre à renon­cer à l’écriture dra­ma­tique, pour laque­lle il n’a aucun don. Il refuse de con­sid­ér­er ses activ­ités d’écrivain dans le cadre d’une « car­rière », préférant les situer dans le sens d’un « par­cours », d’un état vital de l’âme et de l’esprit. Il tente d’appartenir à son temps en dirigeant des ate­liers d’écriture en milieux sco­laires dit « dif­fi­ciles », et dans d’autres cadres comme les Ate­liers du Prix du Jeune Écrivain…

Partageant cette con­vic­tion avec Voltaire, il est per­suadé que l’être humain ne naît ni bon ni mau­vais, mais que néan­moins il peut et doit être « bonifié ». Mme de Sévi­gné lui a aus­si appris qu’« il faut faire pro­vi­sion de rire pour l’éternité », car le rire bonifie.
Par ailleurs, avec Mon­taigne, Isaac Bashe­vis Singer, et un cer­tain nom­bre de philosophes con­tem­po­rains — Elis­a­beth de Fonte­nay, Flo­rence Bur­gat entre autres, il s’est con­va­in­cu que l’inattention, le mépris, et très sou­vent la cru­auté que les humains man­i­fes­tent envers les ani­maux — dont ils se font les pro­prié­taires et les bour­reaux — , et envers tous les êtres de la seule nature, prélu­dent au mépris et à la cru­auté envers les hommes, et qu’est donc indis­pens­able un ren­verse­ment total du regard sur l’Autre et des per­spec­tives éduca­tives, dans quelque société que ce soit, afin que la bar­barie et l’absurde n’aient pas le dernier mot.

Ses admi­ra­tions, dans l’ordre de la pen­sée, sont nom­breuses, mais elles vont d’abord à Socrate – qui ne laisse rien qui ne soit dis­cuté ou pris pour argent comp­tant -, à Hér­a­clite, au Christ (« Aimez-vous les uns les autres », les marchands du temps, etc.), à Rabelais, à Mon­taigne, à Jere­my Ben­tham (l’arithmétique des plaisirs, la morale naturelle et le « ne fais rien à autrui que tu ne voudrais qu’il te fît), et à plusieurs autres. -
N’a pas encore eu le temps de trou­ver la vie ennuyeuse.

POÈMES

  • Fig­u­ra­tion de l’Amante, poèmes, éd. de l’Atlantique, coll. Phoï­bos, à Saintes, 2010
  • Poème d’Hiroshima, éd. Rhubarbe, à Aux­erre, 2005
  • Alen­tours (Petites pros­es), éd. L’Escampette, 2001
  • Graines de pages, poèmes sur des pho­tos de Claire Garate, éd. Eboris, Genève, 1999
  • Déter­rages / Villes, poèmes, éd. B. Dumerchez, 1997
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