Comme au ciel, je suis à Cordes. Je m’incline sur la Bride : j’embrasse le vide. Voici : à l’expiration de la con­tem­pla­tion la Cité, dénudée par mon œil, se tourne d’elle-même vers son écri­t­ure essentielle.
     J’écris à son ven­tre ; c’est depuis son ven­tre éter­nel. Je veille à ses créneaux, comme une sen­tinelle ici scru­tait tou­jours le nord : les oiseaux à s’envoler. La belle étoile me dira l’armée adverse, dans les sucs de bois frais, dans la cabale des arbres. Au jour, j’aborderai l’huile et la poix, ce que l’on jette sur l’ignorance. La Cité par­le avec ses Anges, à la bouche de son puits déchiré.

 

 

     Voilà que les nuits s’en vien­nent, que les nuits appel­lent les rites. Des nuits dif­férentes, voulues dans l’intervalle. Avec force – avec mag­nif­i­cence –  on y remonte la pro­fondeur, les clav­icules, les sin­gu­lar­ités tem­plières, et les ora­cles à l’odeur de rose.
     Mes nuits sont des jours, des jugu­laires, qui imposent le rythme du sang. Mon sang ne souf­fle pas, comme il est irrigué d’élixir : je peux par­ler, respir­er, voir l’avenir il est vrai, savoir l’heure de mon retour et de ma réin­té­gra­tion. Mais quelle impor­tance ? Sûr que l’on pour­rait mourir sans avoir éprou­vé la juste parole.

 

    

     L’éveil se sus­pend déjà dans les ruelles, aux tours, aux portes, au dédale… Et voici que je déam­bule entre les signes de la pierre, le janus sub­til, la fleur aux cinq pétales, la tête de mau­re et la tête rouge, l’inclinaison de la sala­man­dre. Comme accroché à l’échauffement, au mur­mure de la cuis­son, au sif­fle­ment du chau­dron, de l’alambic, de la retorte, le dernier évangile cir­cule jusqu’à mes murs, à ma dis­til­la­tion. Con­tre ma pen­sée soudaine, les lilas d’Espagne s’arrêtent au nom d’Isis.
     Un jour, je saurai la vision de Jonas : comme cette eau me ren­dra l’or potable… Je ver­rai, à la nuit, la con­struc­tion des Maîtres, comme j’en dépose le secret ; comme j’en garde mon pied sur le seuil…

 

 

     Comme au ciel, je suis à Cordes. J’inspire, j’aspire, sans bris­er le fil d’or qui lie mes lèvres au cœur de mon silence. C’est un autel qui se con­stru­it dans l’eau de mes mains, dans la peau de mon ven­tre, dans le creux de mon soleil tant obscur. Si je deviens immense, c’est à la nasse du souf­fle, au petit filet de bras de la prière la plus étincelante.
     Mer­ci pour la mois­son ô mon Maître, mon Ata­lante est bien venue sur mon rivage, pour s’y réfugi­er. Je ne sais si la lune a pu bouil­lir au creux de tes fagots, mais je sais main­tenant quel est le drag­on qui s’envole à nos lames de désespoir.

 

 

     Je sais main­tenant que les nuits qui revi­en­nent sont les nuits des rites dis­parus. Des nuits indif­férentes, dis­so­ciées dans l’intervalle… Avec force – avec splen­deur – on y admet le ver­tige immod­éré pour la hau­teur, les péli­cans, les syl­labes des Archanges, l’incroyable Ascen­sion et les ora­cles à l’odeur de rose.
     Je marcherai la nuit dans les artères : où les armées ont passé. Je voudrai les joy­aux, les reliques, les lap­idaires ; je dirai les lumi­naires soudain si vivants. Je par­lerai par les citadelles per­cées au creux des tombeaux, je par­lerai de la couronne, de la sourate et du pre­mier pays noir. Le vent portera jusqu’à mon front la flamme de la véri­ta­ble nuée.

 

 

     Comme au ciel, je suis à Cordes. Dans la cir­cu­la­tion du grand vide : je sais la mon­tée de Sir­ius, la con­jonc­tion. Un chant syr­i­aque va bercer ma blessure : je serai immo­bile, au temps bru­tal, dans la nuée des sauterelles. Dans l’aspiration de la spi­rale. Et quelque traînée de feu nour­ri­ra encore mon ardeur.
     Qui pour­suiv­ra la route touchera à la méta­mor­phose, à la cru­auté, à la turpi­tude, à la béat­i­tude, à la vin­dicte, à la déchirure, à la ten­dresse, à la joie, à la crispa­tion et à son reflet, à la per­fec­tion sans doute. Il saura dans les méan­dres de l’oye que les chemins de la nuit se dérobent pour mieux se libér­er. Que les chemins se croisent comme ils se sont livrés. Alors à mes nou­veaux mots futurs les chemins de la nuit se sont refer­més comme des livres.

 

en hom­mage à Mau­rice Blanchard.
Six poèmes inédits écrits à Cordes, 
sous les feux de la grande coction 
du ven­dre­di saint, 2012. 

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