Quand écrire s’est ajouté à parler,
La bouche est descendue dans la main.
Bernard Noël
L’alphabet de l’invisible
je poursuis
détachant les fils
du labyrinthe stellaire
brouillant le ciel
balafrant sa toile d’azur
si peu d’esprit dans les doigts
tant de nuages où se perdre
***
Paume nue paume obscure
l’oubli t’ignore
nul tremblement
nul vacillement
en ton creux de silence
la pliure du ciel se réfléchit
paume nue paume vibrante
tu es signe de feu
sur l’ivoire de la mémoire
***
L’esprit léger sur le bout des doigts
je cherche l’espace dans l’espace
je devine le temps hors du temps
j’avance chancelante
la transparence me dissipe
blême l’ombre de mes traces
sur le mot retrouvé
***
Entre deux parenthèses
les mots s’évaporent
rumeurs de syllabes
sous mes lignes
l’impatience flamboie
comment palper
la chair du monde ?
entre deux parenthèses
les astres nébuleux
comment écrire
la nostalgie de l’aile ?
rumeurs de syllabes
tâtonnantes
trébuchantes
balbutiantes
sacre de l’inachèvement
entre deux parenthèses
les mots se murmurent
jusqu’à l’élégie
***
Hors des biffures de la feuille
je tisse de points confiants
l’essentiel de ma gestuelle
noces somptueuses
de la voix secrète
et de l’encre jaillissante
je rêve l’instant du mot
qui restitue à la pensée
son infime pesée
***
Haleine dépêchée sur le papier
à encercler à incruster
je distille en perles extrêmes
le sang d’encre
au bout de mes doigts
points d’œuvre à faire vibrer
frissonner palpiter
comme le jour
sur la paume
de l’espace
quand s’annonce furtif
le vol du colibri
dans le ciel du poème
***
Partition paginale
sans pause ni soupir
les mots s’agitent
me brûlent les doigts
flambée de notes
blanches et noires crépitent
dans la substance de la page
partition abyssale
sans pause ni soupir
le poème flambe
gouffre de résonance
***
D’une aile fastueuse
prendre forme
d’une aile soyeuse
prendre ciel
j’ouvre mes cinq doigts
d’une aile houleuse
fendre page
d’une seule plume
je grave les ondulations
de la parole qui s’achemine
arabesque flamboyante
***
Sans se froisser ni se briser
sans perdre ses ailes
épouser les lignes
les disposer verticales
une à une
deux à deux
ne pas perdre ses ailes
je mime sur la page
le désir d’envol
du poème naissant
sans se froisser ni se dissoudre
sans demeurer silencieuse
hors de mes pulsions traçantes
ne pas perdre mes ailes
***
Toucher la chair du ciel
du bout des doigts
avec lenteur sans frayeur
la creuser la fouiller
faire brèche majestueuse
Suite inédite de poèmes puisés dans le manuscrit en cours « Du ciel sur la paume », succédant aux livres publiés aux éditions Voix d’encre, Eurydice désormais (peintures de Pierre-Marie Brisson, préface d’Hédi Kaddour, 2011) et à L’insoupçonnée ou presque (peintures de Laurent Reynès, préface de Bernard Noël, 2013, sélection du Prix Mallarmé 2014).