Olivia Elias, Ton nom de Palestine

Par |2017-12-27T04:19:55+01:00 25 novembre 2017|Catégories : Olivia Elias|

Lutte et luth

Se trompe qui croy­ait le sujet épuisé. Se trompe qui croy­ait éculée l’évocation des amandiers, des cyprès, des chemins de l’exil et de l’obstination d’un peu­ple qui – refu­sant d’oublier maison/village/pays et d’accepter son efface­ment – affirme, bien au con­traire son appar­te­nance pleine et entière au monde.

Se trompe qui croy­ait qu’un‑e poète pales­tinien-ne, née à Haï­fa ou ailleurs au pays de la beauté, pour­rait détourn­er ses mots de son berceau sans se renier. Se trompe qui croy­ait relégués aux poubelles de l’histoire, les beaux jours de la poésie qui s’engage pour une cause mais  fuit les mots d’ordre, selon la for­mule de Françoise Ascal à pro­pos d’Abdellatif Laâbi. Se trompe qui croy­ait que la poésie de la lutte ne rimait plus avec le luth de la poésie !

Par­mi les poètes pales­tiniens con­tem­po­rains, Olivia Elias, occupe une place priv­ilégiée, une place à part, puisqu’elle est l’une des rares sinon l’unique, dont la langue d’expression est le français (je me réfère ici à l’ouvrage paru aux édi­tions Le Tail­lis Pré, en 2008). Elle se dis­tingue aus­si dans le paysage lit­téraire de son pays en dotant de tonal­ités féminines et attachantes — tel un fris­son d’émotion envelop­pant toute chose — la poésie qui se veut « témoin » de son temps.

Olivia Elias, Ton nom de Palestine, , éditions al Manar, Paris, janvier 2017, 63 pages, 15 €.

Olivia Elias, Ton nom de Pales­tine, édi­tions al Man­ar, Paris, jan­vi­er 2017, 63 pages, 15 €.

Je laisse la couleur sang aux colonisateurs
et à leurs toréadors…
Devant le grand car­ré dédié aux enfants
de Pales­tine Gaza Jérusalem
Hébron Deir Yas­sine  Jénine…

JUSTE

des cerfs-volants
et des bal­lons blancs

Je prie le sable de leur faire à tous
une cou­ver­ture tiède et tendre
Je demande à la lune bleutée
aux myr­i­ades d’étoiles de les veiller…
au vent d’égrener leurs noms
sur tous les continents…

 A quoi bon les poètes en temps de détresse ?, inter­ro­geait Hölder­lin. Cette ques­tion chargée de scep­ti­cisme et de las­si­tude est à mille lieues des préoc­cu­pa­tions d’Olivia Elias. Pour elle, comme pour Césaire, comme pour Gel­man, comme pour Tamiku, poètes et écrivain des­ti­nataires de cer­tains de ses textes, c’est aux plus pro­fondes racines de l’époque de noirceur et de lour­des men­aces dans laque­lle nous vivons que la poésie puise sa néces­sité. Faite d’amour et de lib­erté, c’est-à-dire d’espoir.

D’ailleurs, le recueil se clôt sur ces derniers vers : dans leurs yeux fatigués / des matins espèrent. Et, juste avant cet excip­it, ce mag­nifique poème, inti­t­ulé Voyageur sans bagage :

Il n’y a plus que la route
et ce pays qui ne veut pas de moi
voyageur sans bagage

Aux jeux de la fortune
j’ai pour­tant gagné
le temps infi­ni de l’attente
du commencement
d’un com­mence­ment de lendemain

L’attente la demeure
où je me réinvente
mutant-cabossé
aux frich­es de vos vies

Présentation de l’auteur

Olivia Elias

Poète de la dia­spo­ra pales­ti­nienne, née à Haï­fa, Olivia Elias a vécu au Liban où sa famille s’était réfu­giée après avoir été con­trainte à l’exil. Elle a ensei­gné les sci­ences éco­no­miques au niveau uni­ver­si­taire au Cana­da, puis s’est éta­blie au début des années 1980 en France. Olivia Elias écrit depuis tou­jours mais a longtemps atten­du avant de pub­li­er. Après Je suis de cette bande de sable (mai 2013, épui­sé), sont parus L’espoir pour seule pro­tec­tion, pré­face de Philippe Tancelin (édi­tions alfa­barre, févri­er 2015) et Ton nom de Pales­tine (édi­tions Al Man­ar, jan­vi­er 2017). Elle a par­ticipé à des soirées de lec­ture dédiées et col­lec­tives dans divers cadres/​lieux : Maisons de la poé­sie en France et en Ital­ie, Print­emps des poètes, média­thèques, fes­ti­vals. Plusieurs de ses poèmes ont été tra­duits en ita­lien et Ton nom de Pales­tine est en cours de tra­duc­tion en anglais ; d’autres sont parus dans le sup­plé­ment lit­té­raire de L’Orient le jour, les revues Phoenix et Con­cer­to pour marées et silence et sur les sites Recours au poème et Terre à Ciel. Olivia Elias fina­lise actuel­le­ment son pro­chain recueil de poésie.

Olivia Elias
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Antoine Boulad

Poète, Antoine Boulad est né en 1951 au Liban. Entre 1971 et 1980, il séjourne à Paris mais voy­age de plusieurs mois dans tous les pays du pour­tour méditer­ranéen eti en Europe. En 1980, il ren­tre au Liban pour embrass­er une car­rière d’enseignant au Col­lège Inter­na­tion­al dans lequel il occu­pera égale­ment un poste de direction.

En 1997, il fonde avec des amis l’association Ass­abil qui vise à dévelop­per la lec­ture publique au Liban et qui créera la pre­mière bib­lio­thèque munic­i­pale de Bey­routh. Actuelle­ment vice-prési­dent, Il en a assuré à plusieurs repris­es la prési­dence. En 2009, il fonde avec l’auteure Geor­gia Makhlouf, l’association Kita­bat­pour le développe­ment au Liban des ate­liers d’écriture.

Par­mi ses ouvrages :

  • Le Passeur, Bey­routh, 1987, réédité en 2004 par les édi­tions Saqi Books avec sa tra­duc­tion arabe.
  • Les Brindilles de la mémoire, Édi­tions l’Harmattan, Paris, 1993.
  • Rue de Damas (Réc­its), Edi­tions Saqi Books, Bey­routh, 2007.
  • La Poésie et A nu (e), Edi­tions Dergham, Bey­routh, 2009 et 2011.


Depuis 2015, à l’invitation de l’Agenda cul­turel de Bey­routh, il ani­me une page dédiée à la poésie con­tem­po­raine. Au gré de ses lec­tures, il y pro­pose des poèmes, d’ici ou d’ailleurs, à partager comme un pain quo­ti­di­en. Les seuls critères sont de l’ordre du coup de cœur comme quand on se retourne pour une pas­sante qui disparaît.

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