Je vois dans ta voix les lignes de ta main.

Je vois un monde à tra­vers les mailles dun filet de pêcheur. Tu me par­les avec un coquil­lage au bout d’une ficelle.
Je bran­dis con­tre la nuit un lucide couteau.
Le ciel est clair mais vide vide vide

Lumière Lumière tu as tué la lumière. L’en­cre des mots l’a retenue. Ta voix dit tout.
Lumière tu m’as trompé. Le rouge était caché sous la gri­saille. Toutes les couleurs m’ont abusé.

Je ne veux que ta voix de sable, mon chevet.

Lumière, Lumière, laisse la nuit épaisse à sa noirceur pre­mière. Ne fais pas honte à ma colère. Laisse le feu léger aux  brindilles.
Lumière, Lumière, tu me suiv­ais partout. De l’hiv­er à l’au­tomne, tu inondais les chemins fourbes où l’amour aveu­gle cri­ait son malheur.

Je marche les yeux clos sur une grève où vient mourir ma guerre. Sans toi, je ne suis jamais que moi-même.

Les anges ont fui la grande lumière. Ils préfèrent la rage dans mon regard. Las de vol­er dans l’éter­nelle nuit ils vien­nent dormir sur mes genoux. Tout les effraie et les affame. Tant le froid céleste que le foy­er des chau­mières. Ce sont mes enfants et je leur fre­donne une romance gitane.

Nous avons bu le thé noir à pro­fu­sion. Le cuiv­re a sif­flé son chant vert. Ta voix passée dans le tamis brûlant de l’hiver
je l’en­tends encore dans la rumeur d’une gare. Je ne sais plus si je pars ou si j’arrive.
Ta voix s’en est allée dans l’été. Ta voix dans le bleu implaca­ble, ta voix…
Un arbre défeuil­lé sans bruit, un chemin mort d’en­nui, un ravin desséché, un mât gémis­sant sur l’océan, tout se noue dans ta voix jamais découragée, tout devient bruit en moi comme en un puits.
Dit-elle oui à ce qui reste ? Dit-elle non à la peur ? En a‑t-elle les ailes ? Par­le-t-elle à jamais enrouée de m’avoir trop parlé ?

Il y avait des oies sauvages, des chants ter­ri­ble­ment beaux.
Ta voix vibrait dans une toile de Van Gogh. Elle embras­sait les champs de blé et cri­ait avec les corbeaux.
Ta voix m’est une aube caresse ou mor­sure. Elle a four­ré son sel noir dans mon pain blanc. Mais je ne veux pas croire qu’elle déchante. Je sais qu’elle s’ac­croche aux mouss­es, aux lichens, à la gar­rigue où les ronces sont reines, à un arbre jaune en hiver.

Ta voix jamais ne sonne l’hal­lali. Elle bénit le tra­vail du temps cafard qui traine sa poutre par­fois se brise en éclats. Grésil puis neige elle fond, si hum­ble s’en va en terre et le ver et l’herbe l’ont bu.
Le vent se lève-t-il, c’est ta voix que je devine. Des gril­lons gris cri­ent dans la nuit. Jail­lit un jour haï où l’on marchande la vie.

Je reste sur la dune immo­bile, pro­tégé par des chardons. Je peux tout avoir sauf le bon­heur. La terre n’est donc plus du voy­age avec nous. Je rêvais d’un peu­ple immense comme une mer. J’ai trou­vé un désert avec des murs.

Quelle est cette clameur ? Sont-ce des souf­fles d’ange ? Quelle est cette euphorie ? C’est notre amour qui vole. C’est ta voix, c’est ma vie…

Quand tu prononces le nom de l’été, chaque fois c’est pareil, je voudrais qu’il dure, je voudrais avoir la fer­veur du guer­ri­er, retenir le mur­mure de la pierre et le cri du ruisseau.
L’été me fait pleur­er lorsque je pense à lui. Comme si c’é­tait à moi de le porter ! Je l’ai tant atten­du comme un dû. Ici j’é­tais triste jadis. Je lisais des poètes et cachais un bateau de papi­er replié dans ma main.

Me voilà main­tenant sur la crête de l’ou­bli. L’om­bre envahit les flancs de la mon­tagne. Elle s’al­longe sous mon pas et me dédou­ble. Je finis par la rat­trap­er. je ne fais plus qu’un avec moi-même… Il y a des bêtes dess­inées sur les parois de mon crâne. J’ai tant marché que je suis épuisé.

Assis sur les escalier d’une mai­son en ruine je t’at­tends. J’at­tends que tu mul­ti­plies mes sou­venirs par cents et moi par mille pour faire un peu­ple puis un tem­ple pour ce peu­ple puis un tem­ple pour les bêtes. Tu n’as jamais vécu que dans des ruines. Je n’ai jamais eu d’autres tem­ples que ton corps. Depuis longtemps sous un ciel atom­ique je n’ai croisé que des aèdes sans voix, des prophètes tardifs vautrés au bord de l’ef­froy­able chemin qui ne mène nulle part.

C’est l’été. Il faut brûler les vieilles idol­es qui hantent les faux poètes. Non, on ne voit plus que de loin ce qu’on voit. L’an­cien monde avait sa beauté cachée. Aujour­d’hui, tout se mon­tre et tout revient au même. Tout nous glisse dessus comme le crachat de Dieu. A la fin je suis las de l’élec­tric­ité. Quelqu’un peut-il étein­dre la lumière un instant, allumer une bougie à ton chevet  afin que je puisse te con­tem­pler nue dans la nuit, que je touche terre, que je sente l’odeur de ta peau et que je m’en­fouisse dans ton antre de chair ?
Ulysse revenu de tout à l’heure, je ne pars jamais. En pen­sée je creuse encore autour de toi, je creuse et je trou­ve la mer. Je n’ai pu porter la guerre autrement qu’en songe. J’é­tais mon pre­mier enne­mi. Je me suis accusé d’être un homme. Je me suis accusé d’être seul.

A sa façon, l’om­bre est déjà de l’eau. L’eau est déjà la fleur, la fleur déjà le fruit. Il y déjà plus pro­fond qu’hi­er, sous la terre une idée de la volupté.
Les fleurs d’i­ci ont la couleur de l’air. Je t’imag­ine absol­u­ment fleur. A peine me suis-je fait de toi une idée que tu te dérobes au jour. Je me couche sur la terre crevassée. Je meurs de soif et pense à la mort. Je boirais les ruis­seaux, les riv­ières, la mer même si elle venait jusqu’à toi.
Tu viendrais ici où per­son­ne n’est jamais venu. Tu viendrais comme si tu n’é­tais jamais par­tie, comme si cette ruine était notre château. Tu m’ap­pellerais Milan et je dirais avec toi je veux voir ici le cycle com­plet des saisons.

L’été fut, l’été fuit… Le soleil mord la terre. Quelqu’un crie et réclame la pluie. Seules les bêtes restent lucides. Rien n’ar­rête l’hé­mor­ragie du temps. Les feux fix­es n’y peu­vent rien ni les neiges aux crânes chauves des mon­tagnes. L’e­space défon­cé et le temps tor­turé voilà l’œu­vre d’un homme livré à lui-même. La mort partout bat le rap­pel à grand ren­fort d’idées. La peur déploie son dra­peau blanc démoc­ra­tique. Ai-je le droit d’être malade ou d’être fou? Ai-je le droit de m’é­vad­er dans le soir et ne ren­tr­er qu’à l’aube les traits tirés, très fatigué d’avoir marché sur l’onde à Ams­ter­dam ou à Venise? Ai-je le droit de vivre dans un roman écrit sur un cahi­er fleuri à l’en­cre vio­lette, de mon­ter sur une colline avec les fan­tômes copains de Cesare Pavese et de dormir dans un champ bleu et rose au-dessus de la mer ?

Ta voix a déplié mon bateau de papi­er. Un feu loin­tain bal­aie la mer.

J’en­tends dans ta voix ma chance. Elle me berce cette nuit, cette nuit que l’été rav­it. Tu peux tromper le monde entier. Ta voix ne me trompe pas.

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