1. Méditation dans une cuisine
Loin d’ici où
les routes
fourchent
nous aussi
routes que nous
descendons
passe-montagne
de la nécessité
plaqué
sur les
yeux.
Voir à travers & choisir
étrange fanfaronnade
comme quoi se met
le doigt dans l’oeil
c.à.d. l’ex-
tirpe.
(Con-
fusion du
mouvement : tu peux l’avoir
si tu veux
des deux façons. Je mange
avec une fourchette) J’ai
risqué la route
hier, la risquerai
demain . ce soir
nous nous reposons dans l’oasis
de cette cuisine
(un repos voulu:
« rien n’est jamais
acquis »
fier orgueil
oubliée la
biologie, ir-
réversibles
processus,
respiration écourtée
comme le sont les lignes,
le deviennent,
les vies.)
Cooeur braise dans un brasero
mouvement en
& de repos, amour
prépare une fête, rôti
d’agneau dans le four, un conte
à raconter, à
figer
dans l’air.
le temps
que prend la viande
pour prendre : servons-nous du
temps que nous avons
avec soin, avec précision,
(les heures que tu passes
à huiler laver sécher
tes cheveux:
ta patience, ton
sens aigu de)
ton corps contre mon impatience
mes dents en putréfaction
déjà plus si longues
la longueur de mes lignes à présent
l’énorme ambition
réduite
à la voix du
poème,
chant de canyon encaissé
où les chevaux
se cabrent, étroites oreilles
dressées, narines
dilatées vers là
où rôde
le puma.
Tourner la viande
dans le four : le temps
que ça prend -
(tout comme
ces muscles que nous appelons
la souris, the mouse,
musculus & mus
- une étymologie truquée
comme dans « truquer
les contes » -
se resserrent sous
la chaleur, puis croustillent &
rapetissent
le long de
l’os
/
éclat de lueur blanche
fait pousser une anse
à nos vies
d’os & mots & oui
nous faisons ce que nous faisons
aussi osseux que nos vies ça
tourne & s’arrête & oui
contrôle signifie perte.
Voilà le choix le veut
& c’est le seul choix
que nous avons .
Tourner le rôti
toucher des rochers nus
neiges éternelles &
en passant toucher
& se reposer
aux croisements
où nous croisons nos
yeux vers Hermès . touchons à
continuons depuis
le toucher de la terre
la douce pente
de ta cuisse.
Il reste de la force
dans
les os
& là
dans tes
mains.
C’est tout
moi . nous
avons besoin de tout.
2. Le conte
traverse la route,
derniers rayons longues journées il
est question non d’espoir, les
paroles sont plus pratiques ou
comme ils disent
(c’est qui ils?
ramènent sur terre
(qui oserait
des mots qui ramènent
sur terre?
(sous la surface
pas de la terre,
la nôtre, ou sous la
méticulisité de nos mots)
nous ne sommes que ça
& plus
ancrés ici dans l’odeur
de rôti dans
la mobilité précise
de ta main.
Maintenant
cette histoire arrive
au moment où la fille
unique du prophète,
la mère de
Hassan & Hussein,
celle qu’on nomme
Lalla Fatima
envoya une caravane
de chevaux de
La Mecque à Médina
(ou était-ce
de Médina à La Mecque?
nous ignorons
quand cela s’est passé,
était-ce avant ou après
la mort de Mahomet, avant
ou après la naissance
de ses fils?) peu
importe. Ceci
importe : les chevaux
se perdirent en route
(ou ceux qui les
conduisaient, l’histoire
ne le dit pas non plus
un humain pas
un cheval a confié cela
à la mémoire)
& quand le soleil se fut couché
& que fut écoulé le temps alloué
& qu’ils n’étaient pas revenus
(quelle floraison de
parenthèses, le
processuel
qui avance
de partout
en même temps alors que
cet art exige
encore & encore
le choix au croisement
des routes) c’est ainsi que
m’est venue cette histoire / je parlais
de carrefours toi tu
as pensé à l’histoire
des chevaux
de Lalla Fatima
pour répondre à mon exégèse
de la fourchette (pas
celle qui a tourné le rôti,
celle de la route qui fourcha
quand les yeux
furent offerts
à Hermès)
fermons la parent
thèse, ouvrons au moment
où Fatima
dans sa longue gandoura tombante
anxieuse du haut du toit
scrute les remparts
de La Mecque ou Médina
(haute la maison, son père
un riche marchand-prophète)
en direction de Médina ou La Mecque
où la route droite
a fourché
sous la volonté des chevaux
& Fatima va maintenant chercher
un vase pansu avec une
ouverture étroite le tient
au-dessus du brasero dans
lequel brûlent les sept
parfums consacrés:
encens noir & blanc
elemi résine
bois d’aloès
coriandre
ambre & myrrhe.
Dans le récipient
purifié une servante
verse de l’eau de source &
puis les deux femmes
avec les pointes communes
de leurs doigts soulèvent
le vase & Lalla
récite un poème une
prière & voilà
le vase tourne il cherche
son chemin dis
-tu un signe désigne
la direction
dans
laquelle quelque chose
s’est perdu (faisons
pareil dis-tu
avec un des nôtres, je
me demandais
ce que nous avions
perdu, ai fait le timide, ai dit
c’est la terre
qui tourne & il se peut que notre vase
soit du bon endroit mais
il n’est pas au
bon endroit
& qui suis-je pour
oser de la magie
pratique quand j’ai
tant de mal
à simplement raconter
l’histoire
ce qui est mon boulot
& puis toi
tu t’es souvenue de plus,
sous
venue des
mots mimés (qui
dis-tu sont l’histoire
que tu m’as racontée)
& j’ai pris la fourchette
de la route grecque
pour aller là où est le mythe
les mots mimés font
(ou font-ils)
tourner le vase.
J’en voulais davantage, sentais
que quelque chose
m’échappait, t’ai bousculé &
tu as appelé ta
mère
qui a dit qu’il n’y avait
point de chevaux
que c’étaient des chameaux
mais ils s’étaient bien
égarés
& donc la question
revient ainsi:
où sont les chameaux
de Lalla fatima?
Ou devrais-je changer
le titre. ré-
écrire l’histoire?
Non. Ceci est
l’histoire des
chevaux de Lalla Fatima,
les chevaux qui ne
rentrèrent pas à la tombée de la nuit.
Ou le firent pendant que le vase
tournait, ou rentrèrent
en tant que
chameaux.
Le vase ne put pas prévoir
que la route narrative
allait fourcher.
Une dent de la fourche vit
descendre les chevaux,
une autre remonter
les chameaux. Fatima
est surprise, elle a
attendu toutes ces années,
le vase qu’elle tient
se brise, la prophétie
se réalise, les
chevaux sont revenus en
tant que chameaux. nous n’en
sommes pas plus
sages.
(Traduit de l’américain par Jean Portante)