LA CUISINE, OBSCURITE ORIGINELLE DES CHOSES

 

Ici, je sens l’ob­scu­rité orig­inelle des choses et le claque­ment furieux des portes, un vent fan­toma­tique qui sif­fle à tra­vers les pièces, à tra­vers les fentes, ici, je suis seule comme la douce petite fille d’autre­fois que j’imag­ine regar­dant une rangée d’ar­bres par la fenêtre, regar­dant la peur : un épineux buis­son de roses.

Ici, toute la colère de l’en­fance sur­git à tra­vers la soli­tude, à tra­vers le mur commun :
les ceris­es et les frais­es meur­tries bril­lent fan­toma­tiques dans l’écuelle, ici habitent la tristesse des pommes de pain et des fleurs, le reflet d’une fenêtre éloignée dont l’é­clat retombe sur les oranges, sur l’or­dre jau­ni des fruits.
Aban­don­nées, les choses muettes gar­dent le silence sacré des souvenirs :
une cafetière qui des nuits entières veil­lait sous le filet d’eau, dans les bras du tor­chon ou sur la chaleur joyeuse d’une plaque de cuisinière ; une tasse à café, noire, nulle­ment prop­ice à la div­ina­tion et la voy­ance, quelque ver­res bleus étince­lant dans la gri­saille de cer­taines heures à tra­vers lesquels je con­tem­plais, muette, les rideaux, la fenêtre baignée de lumière et le clair de lune.

Là rêvent des champignons de cire lil­lipu­tiens dont les tristes cha­peaux sont cou­verts de mèch­es rouges
— péti­oles de fruits oubliés,
con­damnées à se lan­guir après l’écuelle, après la bouche de quelqu’un qui n’est pas ici.

Ici per­dure tel un sou­venir la tristesse des conifères
— quelques branch­es d’une allée élaguées dans le mur gris d’une obscu­rité et d’un silence, en cet instant de silence, en cette prière sourde.
Une petite étoile d’eau s’é­coule du robi­net pareille à une larme, on entend un mur­mure de dédain, le glou­glou du lait, c’est une nuit som­bre, sans étoile, le ragoût esseulé refroid­it dans le plat com­mun alors que bouil­lit la soupe, la cig­a­rette se con­sume dans le cen­dri­er qui garde le sou­venir de mes cen­dres si proches, de mes empreintes dig­i­tales, de ma pous­sière terrestre.

Il y a ici un petit tableau noir sur lequel on écrit et on efface avec une éponge en forme d’é­toile hexag­o­nale qui s’im­bibe d’eau puis se dessèche ou avec un quel­conque cray­on, vers la fin, amoureuse de la terre et de la chute.

 

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