TRAINS

Par | 8 juin 2013|Catégories : Blog|

 

I

Tout est si fragile !
Le présent, si on n’y veille, si lointain
– fil tis­sé par-delà les mers…

La petite enfant et la jeune fille algériennes
jouent et rient dans la solitude
au tra­vers des noms de banlieues
jouent et rient
et pleurent leurs frères morts.

Des mots, des regards, des baisers
– Un grand cèdre vert soudain dans le ciel
si bas, dans la gri­saille de l’hiver

II

Un arbre un matin de mars
con­tre la muraille grise et sous un ciel pluvieux

et des années plus tard

toute une rangée d’arbres cou­verts de fleurs roses
des arbres de Judée dirait-on
le long de la voie ferrée
dans le jour brumeux.

L’arbre là-bas
entre deux mass­es d’immeubles
et la toute petite fille seule
dans les bruisse­ments des signes.

III

Triste est le langage
quand la voix devient sourde
ou que la peur fige les paroles.

Mais ce matin dans la nuit encore
ce fut une joie d’entendre par­ler cet homme
dont j’ai pen­sé qu’il venait d’Inde
car il prononçait presque en chantant
les mots, les phras­es de sa langue
qu’il adres­sait grâce au télé­phone public
à quelqu’un qui, vivant très loin
peut-être dans l’une de ces villes démesurées,
Bom­bay ou Calcutta,
s’est trou­vé un instant très proche.

Et c’est pourquoi il riait tout en parlant.
Sa voix propagea dans le gris de l’heure
mati­nale une vive et étrange chaleur.

 

IV

Dans l’espace des ban­lieues qu’en décembre
ténèbres et pluies vite recou­vrent luisent
les wag­ons des trains aux vit­res embuées.

Dans tant de nuit, des voix – un homme déraisonne –
plus loin, une femme, un homme. Leurs mots :

comme une main
qui sur un visage
un instant se pose.

V

Un grand man­teau froid
ou la bâche d’un chantier
mal­gré l’arbre de Mars
le soleil qui déchire un nuage
se déploie en cha­cun de vos gestes
voyageurs des matins
qui êtes tout séparés
ou, comme des enfants,
dans la fatigue des jours repliés.

L’aube est grise comme le mur
le brouha­ha de l’ignorance en laquelle
cha­cun tient chacun.

Mais voilà qu’entre deux amis lointains,
deux musiciens,
a lieu cet échange indistincte
qui inter­rompt ma phrase
comme entre les pages du livre
l’image oubliée d’un vis­age de pierre.

 

VI

Ne regar­dons-nous pas sou­vent comme au travers
d’une vit­re – larme ou légère fumée –
ce monde, ces chantiers, ces jardins épars
d’autant plus vite fran­chis que leur temps est autre ?

Espaces trou­bles qui ne sont qu’une lointaine
image tan­dis que nos corps sont mutilés.

Il y a une immense fatigue qui est
dis-tu la force des éprou­vés. Tu le sais
pour­tant : tu n’as que ta parole à offrir.

Où sont les pier­res, où est le bois pour bâtir
la mai­son de vie, pour que flambe un feu ? 

 

VII

C’est le soir le train
dont les vit­res sont embuées
mais s’ouvrent sur la campagne
roule vers le sud.

Des oies sauvages volent en V
elles aus­si vers le sud
au même rythme que nous.

D’où vien­nent-elles ? Où vont-elles ?
Elles con­nais­sent leur chemin.

 

VIII

Briève­ment aperçues – ces eaux du fleuve
si lentes qu’on ne sait vers où elles s’écoulent

sou­vent dérobées
un instant offertes.

Un rideau d’arbres qui est déjà forêt les cache.

Nul ne con­voite ces rives
qui sont ter­res en friches
buis­sons, herbes
espaces de paix.

Ter­res comme affranchies du temps.

Fleuve large qui partage ce pays.

Il faut pour vous voir
eaux paisibles
pas à pas gravir la colline
entre prés et vignes

faire halte.

Fleuve : tu as la majesté
des servi­teurs offen­sés et insoumis.

 

IX

L’enfant s’est assis et tourne la tête
vers le monde dont le sépar­ent les vitres
du train du soir. L’ombre et la lumière
alter­nent quand en hâte on longe les feuillages
d’un vert déjà som­bre. Cepen­dant sa mère
lui tend de l’eau. Il en boit distraitement
une gorgée. Elle range ses affaires
dans un sac sur lequel on peut lire : « la terre »
et voir une pho­togra­phie : un grand pré d’herbe
dense avec en son creux un arbre isolé.

Terre, quand ne demeur­era de toi
qu’une trop belle image ne devrons-nous pas
au moins garder la mémoire de nos gestes ?

 

X

Pen­dant tous ces mois d’hiver attenant
au chemin de fer ces arbres n’ont été
à tes yeux pas­sant du matin et du soir
rien de plus que l’invisible amoncellement
de leurs branch­es. Trop douce lumière !
la blancheur irréelle de ces fleurs
que tu regardes comme des flo­cons de mars !

Qu’un feu brûle ces arbres puisqu’ils ne sont rien !
Qu’ils soient par leurs cen­dres puisque, compagnons
incon­nus, jamais ils n’interrompront
le solil­oque de votre détresse !

 

XI

La vie humaine –
A tout instant sen­si­ble – par le nombre.

Corps se touchant tan­tôt silen­cieux, isolés
tan­tôt ani­més par la conversation
qui vous réu­nit vous que tant d’années séparent.

Voyageuse ! ne sont perçus qu’un pied
comme nu – si légère­ment chaussé !
une bague qui annonce votre visage.

Nous avançons là où per­sis­tent les fleurs
sous le vent qui sème les pol­lens d’acacias.

Par un reflet de la vit­re te voilà
accueil­lie toi qui n’es que silence
res­pi­ra­tion qui soulève ton sein.

 

XII

Nos hâtes – brusques
allers-retours.
Aus­si loin que proche
l’enclos où sautillent
quoi ? Une poule ? Un coq ?

Pure couleur
dans la pénom­bre commençante.

Le temps de l’animal
indif­férent aux bruits.

Le temps de l’herbe
ou de l’arbre insituable.

Nous tra­ver­sons des couleurs
élec­triques – jaunes et verts
apercevons les rousseurs
et orangers de novembre
–  couleurs de nos paix.

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TRAINS

Par | 11 mai 2013|Catégories : Blog|

 

Les voyageurs munis d’un billet
savent l’heure, le numéro de la voiture.

Nous atten­dons bras ballants,
per­dus, indécis.
Notre train est-il déjà passé ?
Serait-ce celui qui entre en gare ?

Nous hési­tons
et déjà les portes se referment.

 

 

  Juil­let 2012

Poème paru dans Poètes français et maro­cains (1), édi­tions Poly­glotte, 2013.

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