Je dis­tingue les mois à leurs habits de soleil ou de pluie,
Les midis à leurs formes var­iées et multicolores ;
Je vois sur­gir les ombres de la nuit,
J’entends les heures mornes son­ner dans l’insouciance.

J’aperçois le soleil enflam­mer au couchant
Les collines où les pluies du matin ont chuinté ;
Le vis­age aveu­gle et pâle du brouillard
Mon­ter quand sont par­ties les ardeurs de l’été.

J’ai vu le sabre et l’éclair, l’étoile filante,
La cuve de la mer en colère,
J’ai sen­ti mon­ter l’échine de la terre,
Foulé le brasi­er des abîmes et la neige des cimes.

J’ai su prédire l’éclipse latente,
L’avènement des sphères excentriques,
Mesur­er la pous­sière avalée par le ciel,
Le poids du soleil et le déclin des astres.

J’atteste les efforts de mes ter­restres compagnons,
Je vois des assem­blées qui se for­ment, exul­tent, se séparent ;
Le doigt bru­tal de la mort, la mor­sure du chagrin,
La mul­ti­tude des labeurs qui sont le pro­pre des vivants.

Mais je voudrais con­naître ce qui m’échappe,
Ces visions dont par­lent les vieux prophètes,
Ces signes qui dis­ent si bien les lois,
Accordés à cer­tains, refusés à ma longue inquiétude.

Dans l’enclos, gar­di­en de ses cen­dres pâles,
Entrevoir le fan­tôme d’un proche, d’un ami,
Por­teur de son sourire, et tout doux murmurant :
« Ce n’est pas la fin ! » Heureuse initiation !

Ou si les lèvres d’un amour mort, nées d’un rêve,
Quand, à minu­it, les démons du Sou­verain Déclin
Ten­tent par ruse de me ren­dre à la terre,
Me lais­saient les mar­ques d’immatériels baisers ;

Si, quand le fort répand le sang du faible,
Quelque greffi­er, comme dans l’Écriture,
Témoin de ce for­fait, pou­vait laiss­er tomber
Une plume, pour preuve que le ciel a con­signé le crime.

Quelques-uns, ravis sur les cimes de l’extase,
Assurent qu’ils ont eu l’expérience de ces signes
Et déchiffré ces radieuses scènes du futur :
La résur­rec­tion des cœurs en poussière.

Je n’aurai, de ma vie, un tel privilège…
Je me suis couché dans le lit des morts, j’ai marché
Par­mi les tombes de ceux à qui j’avais parlé,
Implo­rant la plu­part de m’envoyer des signes.

J’attendis dans l’angoisse. Mais nulle réponse.
Pas le moin­dre mes­sage, ni quelques doux murmures
Qui vien­nent éloign­er les lim­ites de mon savoir.
Et l’Ignorance, pen­sive : « Quand un homme tombe,
     c’est pour toujours. »

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