Élie-Charles Flamand

Par | 27 juillet 2016|Catégories : Blog|

Élie-Charles Fla­mand est né en 1928 à Lyon. Proche de Seghers, ami de Bre­ton, il a par­ticipé aux activ­ités et aux revues du groupe sur­réal­iste à par­tir de 1952. André Bre­ton et René Alleau lui ayant fait ren­con­tr­er Eugène Canseli­et, Elie-Charles Fla­mand s’engage sur la voie de l’alchimie. S’étant un peu éloigné du groupe sur­réal­iste, il en est exclu en 1960. Il est l’auteur d’une trentaine de recueils de poèmes, ain­si que d’essais sur des thèmes profonds.

Plus de ren­seigne­ments ici :

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lie-Charles_Flamand

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Elie-Charles Flamand

Par | 21 juillet 2016|Catégories : Rencontres|

Bon­jour Elie-Charles Fla­mand. C’est un grand hon­neur pour Recours au Poème que vous accep­tiez cet entre­tien, et pour nom­bre de nos lecteurs sans doute de vous décou­vrir. Com­mençons par le début. Vous êtes né en 1928, avez été l’a­mi d’An­dré Bre­ton, êtes entré en Sur­réal­isme puis vous en êtes fait exclure, sans que jamais votre ami­tié avec Bre­ton en souf­fre. Voilà ce que l’in­ter­naute de base trou­ve sur vous. Votre bib­li­ogra­phie, dans la base nationale Elec­tre, donne deux livres de vous disponibles, lorsqu’on sait l’am­pleur de votre œuvre. Elie-Charles Fla­mand, pou­vez-vous nous racon­ter votre entrée en poésie et votre chem­ine­ment à tra­vers elle ?

 

Comme je l’ai rap­porté en détails dans mon livre Les  Méan­dres  du  sens, je fai­sais dans ma jeunesse, à Lyon, des études de sci­ences naturelles et j’é­tais le dis­ci­ple d’un grand paléon­tol­o­giste, le pro­fesseur Jean Viret. Je me livrais à des recherch­es sur le ter­rain, à des fouilles, et don­nais des com­mu­ni­ca­tions à la Société Lin­néenne de Lyon. J’é­tais égale­ment mem­bre de la Société géologique de France et de la Société préhis­torique française. Mais un événe­ment devait boule­vers­er ma vie. La lec­ture de l’ “His­toire du Sur­réal­isme” par Mau­rice Nadeau, de la poésie de Paul Elu­ard et d’autres poètes mod­ernes me fasci­na au point de me faire pren­dre une voie tout à fait nou­velle. J’écrivais alors mes pre­miers poèmes et, en 1950, je vins me fix­er dans la cap­i­tale. L’édi­teur et poète Pierre Seghers me fit, comme je le souhaitais tant, ren­con­tr­er André Bre­ton par l’in­ter­mé­di­aire de Jean-Louis Bédouin, l’un de ses fidèles. Je devins vite l’a­mi intime du créa­teur du Sur­réal­isme. Pen­dant huit ans, je pris part aux activ­ités du groupe et pub­li­ai dans les revues qui en émanaient (“Medi­um”, “Le Sur­réal­isme, même”, “Bief”). Depuis longtemps, cepen­dant, je m’im­pli­quais de plus en plus dans les doc­trines spir­ituelles et ne pou­vais vrai­ment adhér­er au côté “noir” du Sur­réal­isme. Je m’éloignais peu à peu du groupe et, en 1960, j’en fus exclu. Toute­fois, cela ne m’empêcha pas de garder d’ex­cel­lents rap­ports avec André Bre­ton qui m’avait ouvert au Mer­veilleux et dont je garde l’empreinte et le sou­venir éblouis­sant.  De même qu’il avait évolué à par­tir du néo-sym­bol­isme pour devenir lui-même, je pense qu’au fond, il pri­sait assez qu’on lui résistât à con­di­tion de rechercher une con­cep­tion per­son­nelle.  Notons, pour finir, que j’ai tou­jours gardé un œil sur la paléon­tolo­gie.  Qu’y a‑t-il de plus pro­pre à la rêver­ie poé­tique que cette sci­ence qui déchiffre les mys­tères des êtres sou­vent étranges  ayant peu­plé  les mon­des dis­parus ?  De cette fidél­ité témoignent une assez belle col­lec­tion  de fos­siles et aus­si la pro­fonde ami­tié   qui me liait à  Léonard  Gins­burg, hélas récem­ment  décédé, qui était pro­fesseur de paléon­tolo­gie au Muse­um nation­al d’histoire naturelle.

Quant à la poésie, je la con­sid­ère comme une expéri­ence spir­ituelle, une quête du sens secret des choses, un chem­ine­ment vers la Lumière intérieure, un éveil au sacré et même à l’ab­solu. Cela demande d’y vouer sa vie en obser­vant une ascèse assez rigoureuse.

 

Vos pro­pos provo­quent en moi deux ques­tion­nements, sur deux chemins  a pri­ori différents.
Le pre­mier con­cerne l’ascèse : pou­vez-vous nous par­ler de cette ascèse rigoureuse que requiert la poésie ? Quels sont les formes de cette ascèse, les moyens de sa dis­ci­pline, vos rites per­son­nels quotidiens ?

La deux­ième inter­ro­ga­tion porte sur la paléon­tolo­gie : con­nais­sez-vous les travaux d’Anne Dambri­court-Malassé, qui a for­mal­isé une théorie de l’évolution, certes con­tro­ver­sée par le sci­en­tisme matéri­al­iste, mais d’un intérêt por­teur d’inspiration ? Elle a décou­vert, en étu­di­ant tous les ves­tiges de crânes anciens, que l’homme ne s’était pas adap­té à son envi­ron­nement extérieur, mais avait mué de l’intérieur. Un os dans le crâne, appelé l’os sphénoïde, con­naî­trait à chaque saut d’espèce une tor­sion sur lui-même. Et cela fonderait un être inédit, à l’intelligence plus évoluée, sur les bases de l’espèce précé­dente. Une évo­lu­tion de l’intérieur. Une mère aus­tralo­p­ithèque a dû porter et don­ner nais­sance à un être phys­i­ologique­ment plus évolué qu’elle, la méta­mor­phose ayant eu lieu dans le temps de la grossesse. Cette tor­sion de l’os sphénoïde à chaque change­ment d’espèce, du singe à l’australopithèque, de l’australopithèque à l’Homo Erec­tus, puis à l’Homo Habilis, au Néan­derthalien et au Sapi­ens, Anne Dambri­court ne l’explique pas, mais elle le con­state et l’a sci­en­tifique­ment for­mal­isé, donc prou­vé. Sa théorie, bien que validée sci­en­tifique­ment, remet en cause le néo-dar­win­isme et est attaquée de toutes parts par cer­tains de ses pairs, notre moder­nité refu­sant le mou­ve­ment intérieur. De la paléon­tolo­gie à l’absolu que vous évo­quez en par­lant de l’expérience spir­ituelle qu’est la voie poé­tique, il n’y a qu’un pas ?

 

Les travaux de Mme Dambri­court-Malassé sont en effet fort intéres­sants. Elle a eu rai­son de s’in­surg­er con­tre le néo-dar­win­isme qui exerce une véri­ta­ble dic­tature sur les milieux paléon­tologique et biologique. Déjà quelqu’un que j’ad­mire beau­coup mais que les cir­con­stances de la vie ne m’ont pas per­mis de ren­con­tr­er, un grand savant (il s’in­téres­sait aus­si à la para­psy­cholo­gie), le pro­fesseur Rémy Chau­vin, avait pub­lié en 1997 un remar­quable livre : “Le Dar­win­isme ou la fin d’un mythe”. Il y soule­vait, lui aus­si, de per­ti­nentes objec­tions. L’évo­lu­tion est un fait, le dar­win­isme n’est qu’une théorie par­fois véri­fiée dans la micro-évo­lu­tion, mais qui ne peut expli­quer à elle seule l’ensem­ble   de ce   phénomène si com­plexe.  La macro-évo­lu­tion,  elle,  dans son dynamisme,  est  sans  doute  sous   la  dom­i­nance  de  l’ab­solu.    Mais  ces   con­sid­éra­tions,   qui mérit­eraient  un  long développe­ment, nous éloignent de notre exposé  :  la poésie, et j’y reviens.

Ce que j’ai appelé l’ascèse qui me paraît néces­saire pour l’ex­er­ci­ce de celle-ci, cor­re­spond à de hautes exi­gences, telles que ne pas se laiss­er con­t­a­min­er par cette déval­u­a­tion du verbe qui est très répan­due dans notre société mod­erne, et aus­si ne pas se con­former à un mode de vie qui, par sa facil­ité, nous détourne de la con­cen­tra­tion et de la médi­ta­tion indis­pens­ables si l’on veut mag­ni­fi­er la langue.

Une dévo­rante appé­tence intel­lectuelle et spir­ituelle m’a porté à me pas­sion­ner non seule­ment pour la zoolo­gie, la géolo­gie et la paléon­tolo­gie, mais aus­si pour divers sujets à pro­pos desquels j’ai sou­vent écrit livres ou articles.

 
L’é­sotérisme, et spé­ciale­ment l’alchimie que me trans­mit dans sa théorie et sa pra­tique l’ad­mirable maître Eugène Canseli­et, le dis­ci­ple de Ful­canel­li, me fasci­na. Depuis 1945, je suis un fer­vent ama­teur de jazz (le vrai) et j’ai bien con­nu et même entretenu des rap­ports ami­caux avec cer­tains de ses grands créa­teurs : Louis Arm­strong, Baby Dodds, Sid­ney Bechet, Bill Cole­man, Bud­dy Tate etc. L’art ancien et mod­erne sol­lici­ta longtemps mon atten­tion et, après maintes recherch­es, je fis redé­cou­vrir les pein­tres de la Rose-Croix de Péladan, comme Alexan­dre Séon, Armand Point, Alphonse Osbert, etc. Je reçus l’en­seigne­ment de cer­taines sociétés ini­ti­a­tiques. Je m’in­téres­sai aus­si à la para­psy­cholo­gie et à l’ufologie.

Cela a l’air d’un inven­taire à la Prévert, pour­tant ces préoc­cu­pa­tions apparem­ment dis­parates for­ment un “cen­tre bour­geon­nant” qui con­tribue à nour­rir ma poésie, mais cela de façon très indi­recte, sub­tile, bien sûr sans éru­di­tion pédan­tesque ni didac­tisme, comme vous pou­vez en juger sur pièce.

 

Com­ment se man­i­feste selon vous cette “déval­u­a­tion du verbe” à l’œuvre dans nos con­trées modernes ?

La “déval­u­a­tion du verbe” se man­i­feste sous dif­férentes formes : par­ti­c­ulière­ment manque de rigueur et con­t­a­m­i­na­tion par les langues étrangères, surtout l’anglais. Tout à l’heure, j’ou­vre mon poste de radio et j’en­tends la présen­ta­trice dire : “Vous allez enten­dre Peg­gy Lee, une grande chanteuse de jazz et de blues”, or cette inter­prète n’est nulle­ment cela, mais une artiste de var­iétés assez quel­conque. Autre exem­ple : le mot “occa­sion” a presque entière­ment dis­paru du français et a été rem­placé par “oppor­tu­nité” qui n’a pas du tout la même sig­ni­fi­ca­tion, c’est un angli­cisme car “oppor­tu­ni­ty” est le terme qui, lui, veut dire “occa­sion”. Cet appau­vrisse­ment de la langue, ce flou, cette inex­ac­ti­tude dans l’ex­pres­sion, dans le vocab­u­laire et même sou­vent la syn­taxe, se retrou­vent dans tous les medias. Une telle pol­lu­tion s’é­tend même fréquem­ment à l’id­iome lit­téraire. N’ou­blions pas que les grands écrivains manient le verbe avec une extrême pré­ci­sion et le con­sid­èrent comme sacré.

 

 

Les grands écrivains con­sid­èrent le verbe comme sacré, dîtes-vous, au regard de la pol­lu­tion des angli­cismes s’étendant à l’idiome lit­téraire. Cela pose la ques­tion du mal : l’anglicisme à fins finan­cières per­cute l’identité de nos langues, et celle par­ti­c­ulière­ment du français, jadis langue diplo­ma­tique, aujourd’hui con­gédiée pour le con­fort des dirigeants et hommes d’affaires inter­na­tionaux. N’y aurait-il pas d’abord la volon­té du monde anglo-sax­on de faire dis­paraître l’Europe latine ? Face à cette déval­u­a­tion de grande ampleur du verbe, le poète français que vous êtes pra­tique-t-il le car­ac­tère sacré de la langue pour sauver son âme ?

“Sauver son âme” est une visée pure­ment religieuse. Quelle que soit la très haute idée que je me fais de la poésie, cela ne me paraît donc pas entr­er dans ses attri­bu­tions. Sa final­ité est une ouver­ture au monde et à soi-même ;  ain­si nous aide-t-elle à pren­dre con­tact avec l’im­ma­nence qui est au cœur du pre­mier et avec l’ét­in­celle de l’E­sprit qui habite le second.

 

 

Pou­vez-vous nous par­ler de la pra­tique que vous trans­mit Eugène Canseliet ?

La trans­mis­sion de l’Art d’Her­mès se fait orale­ment. Le maître véri­fie que le dis­ci­ple médite avec suff­isam­ment d’ap­pli­ca­tion les nom­breux textes clas­siques qui sont cryp­tiques. “La patience est l’eschelle des Philosophes et l’hu­mil­ité est la porte de leur jardin”, dit Nico­las Val­ois. L’élève réus­sit quelque­fois, au prix de bien des dif­fi­cultés, à trou­ver le fil d’Ar­i­ane et à iden­ti­fi­er d’abord la “mate­ria pri­ma”. Il est alors guidé dans les longues et com­plex­es manip­u­la­tions au lab­o­ra­toire lorsqu’il a pu devin­er leurs sig­ni­fi­ca­tions et leur suite exactes. Ain­si peut-il espér­er, s’il est digne de recevoir le “don­um Dei”, arriv­er à la trans­mu­ta­tion (hélas, ce n’est pas mon cas). Evidem­ment, tout cela s’ac­com­plit dans le secret.

 

 

Vous par­lez des nom­breux textes clas­siques cryp­tiques. Pou­vez-vous nous en citer quelques-uns et nous en par­ler de loin en loin ? 

J’ai qual­i­fié de cryp­tiques les textes alchim­iques, qui sont des énigmes à résoudre. Ne peu­vent pas être ain­si désignés ceux de la poésie, laque­lle fonc­tionne autrement.

 

 

Pou­vez-vous égale­ment nous expli­quer ce “côté noir” du Sur­réal­isme, celui qui ne vous fasci­na pas et vous fit exclure du groupe ? Le Sur­réal­isme voy­ait-il “tout en noir” ?

Out­re son côté posi­tif, il y avait dans le Sur­réal­isme un rejet de la spir­i­tu­al­ité, une néga­tion vio­lente et ironique de celle-ci, qui me choquaient. On y con­statait un attache­ment à une révo­lu­tion sociale ayant sans doute eu sa jus­ti­fi­ca­tion au début du mou­ve­ment, mais dont on sait main­tenant ce qu’il faut en penser. S’y man­i­fes­taient aus­si une grande déférence pour quelques fig­ures comme Léon Trot­sky, les anar­chistes les plus extrêmes, Sade, et par­fois un cer­tain attrait pour le mor­bide. Ces aspects ne me con­ve­naient guère, c’est le moins que l’on puisse dire.

 

 

Le dernier livre de poésie que vous avez pub­lié se nomme  La part d’outre-dire. Depuis quel lieu par­lez-vous, en situ­ant ces poèmes depuis l’out­re-dire ?

Ce lieu, c’est la poly­sémie. Comme on sait, les lin­guistes désig­nent par ce terme un sig­nifi­ant qui a plusieurs sig­ni­fi­ca­tions. C’est le cas pour la poésie, où la plurivoc­ité règne en maîtresse. Certes, il existe un sens général, une ligne direc­trice, mais il con­vient de “creuser” le texte et de décou­vrir ses très nom­breuses richess­es. Les sens sous-jacents et coor­don­nés, presque innom­brables, se super­posent et s’en­trela­cent, induits par les har­moniques, les sug­ges­tions, les cor­re­spon­dances. Ce jeu de reflets fasci­nant ray­onne dans le miroir de médi­ta­tion qu’est le poème. C’est Rim­baud qui, le pre­mier par­mi les mod­ernes — et cela, à ma con­nais­sance[1], n’a jamais été sig­nalé -, a eu la claire con­science d’un tel pou­voir. Ne répon­dit-il pas à sa mère qui l’in­ter­ro­geait en 1873 sur le sens de son œuvre : “J’ai voulu dire ce que ça dit, lit­térale­ment et dans tous les sens[2].”

 

 

“Ce jeu de reflets fasci­nant ray­onne dans le miroir de médi­ta­tion qu’est le poème”, dîtes-vous de mag­nifique manière comme pour définir la poésie. Depuis votre pre­mier livre, pub­lié en 1957  A un oiseau de houille per­ché sur la plus haute branche du feu, jusqu’à   La part d’outre-dire, en pas­sant par La lune feuil­lée (1968), La voie des mots (1974), Vrai cen­tre (1977), Jou­vence d’un soleil ter­mi­nal (1979), Attis­er la rose cru­ciale, La Quête du Verbe (1982), L’attentive lumière est dans la crypte (1984), Trans­parences de l’Unique (1988), Au vif de l’abîme cristallin (1997), pour ne citer que quelques-uns des titres de votre œuvre, pou­vez-vous nous par­ler des grandes émo­tions vécues par votre com­po­si­tion poé­tique ? Par cette ques­tion, nous enten­dons les décou­vertes ou les révéla­tions que la com­po­si­tion de votre œuvre vous a apportées. Ce chemin de révéla­tions est-il chemin d’approfondissement : le recueil suiv­ant procède-t-il des révéla­tions du recueil précé­dent ? Car ce miroir de médi­ta­tion qu’est le poème réserve-t-il des sur­pris­es dans l’acte d’écrire ?

Au cours de ce que j’ai appelé “La Quête du Verbe”, les ouvrages s’en­chaî­nent ; non seule­ment des échos se croisent de l’un à l’autre, mais des aspects qui n’avaient pas été perçus, des points de vue nou­veaux se font jour. L’in­tu­ition, tête chercheuse, se met en rela­tion avec le supra­con­scient où demeurent les grands arché­types qui découlent de l’én­ergie pri­mor­diale et struc­turent l’être ain­si que le Cos­mos. Leurs mes­sages sont don­nés par des rythmes, des visions, des allu­sions, des ellipses, des sym­bol­es même, des images, fuyant la logique, unis­sant l’ob­jec­tif au sub­jec­tif ; l’on est par­fois le pre­mier sur­pris par l’éblouisse­ment que pro­cure ce qui nous est offert, son dynamisme. Cette vibra­tion intérieure des choses, née de l’u­nivers des essences, part prin­ci­pale­ment de cette matière pre­mière du lan­gage : la pier­rerie des mots. Mal­lar­mé, dans son incom­pa­ra­ble lucid­ité, dis­ait à Degas qui essayait en vain d’écrire des poèmes : “Mais Degas, ce n’est point avec des idées que l’on fait des vers, c’est avec des mots[3].”

 

 

“l’on est par­fois le pre­mier sur­pris par l’éblouisse­ment que pro­cure ce qui nous est offert”, dîtes-vous. Pou­vez-vous nous par­ler, dans un exem­ple de ce qui vous a été offert, d’un cas d’éblouissement personnel ?

Il est bien dif­fi­cile de don­ner un exem­ple pré­cis de ces ful­gu­rances émanant de la cime de l’être sous forme d’im­ages, d’as­so­ci­a­tions de mots, même de vers entiers, car elles vien­nent s’a­mal­gamer aux résul­tats d’un tra­vail minu­tieux et patient sur le lan­gage. La transe légère dans laque­lle se trou­ve tout poète en action favorise cer­taine­ment l’in­tru­sion de ce souf­fle créa­teur, de cette flamme intu­itive de l’e­sprit. Paul Valery, pour­tant si ratio­nal­iste, ce théoricien de la poésie unique­ment voulue, finit tout de même par recon­naître que “les plus beaux vers sont don­nés par les dieux”. Cette inter­ven­tion de ce que l’on appelé “l’in­spi­ra­tion” est con­nue de tout temps. Elle a même lais­sé son empreinte dans l’o­rig­ine de cer­taines langues, ain­si, en alle­mand, les mots dicht­en (com­pos­er un poème) et Gedicht (poème), vien­nent du latin dictare (dicter).

 
Mon cher Gwen, les prin­ci­pales lignes direc­tri­ces de mon œuvre ayant main­tenant été évo­quées, per­me­t­tez-moi de citer le pas­sage suiv­ant d’un texte impor­tant pour moi (un qua­si man­i­feste !) : La Quête du Verbe  (essai  sur  la  poésie  hiéro­phanique). Daté de févri­er 1979, il fig­ure en tête de mon recueil Attis­er la rose cru­ciale ; j’avais ten­té alors de mon­tr­er que la poésie est une expéri­ence spir­ituelle fort proche d’une démarche ini­ti­a­tique ou mystique.

 

Voici cet extrait :

“L’én­ergie vitale du Logos s’ex­erce dans la nature au moyen de l’E­sprit Uni­versel, médi­a­teur entre l’Un incréé et la matière grave. Cet agent mi-cor­porel, mi-spir­ituel se dif­fuse dans les moin­dres par­ties de l’u­nivers dont il main­tient l’har­monie. Il met les êtres et les choses en com­mu­ni­ca­tion ; il est aus­si un lien entre l’homme et les puis­sances des plans sub­tils. C’est par son truche­ment que tout sig­ni­fie et que tout par­le à l’âme du poète, à con­di­tion qu’il ait su, par le sen­ti­ment et l’in­tu­ition, s’ac­corder avec l’é­tat vibra­toire de cet océan de force éthérique qui bat sous l’é­corce des apparences.

Quand il a ain­si pénétré le spir­ituel par le moyen du sen­si­ble, le poète, imprégné de la valeur cachée du con­cret, saisit l’essence du phénomène et décou­vre l’éter­nel en chaque chose périss­able. Il échappe aux dif­féren­ci­a­tions et aux lim­i­ta­tions de l’e­space et du temps. Ayant atteint la con­science cos­mique, il est devenu un avec tout ce qui existe.

Dès lors, le Verbe effusé dans le macro­cosme sous les espèces de l’E­sprit Uni­versel s’insin­ue au cen­tre de lui-même et y reten­tit claire­ment. La con­jonc­tion de l’ab­solu et du relatif tend à s’ac­com­plir en son œuvre ; il est celui par lequel par­lent non seule­ment l’é­toile, le cristal et la mer, l’ar­bre, le ruis­seau ou les bêtes, mais aus­si toutes les forces divines en action dans la Nature ».

 

Dans “La quête du Verbe”, vous évo­quez le rôle du poète, la dimen­sion ini­ti­a­tique de son par­cours, la néces­sité de s’en­fon­cer dans la noirceur de la Man­i­fes­ta­tion, de se dépar­tir du moi, de l’orgueil, des images inver­sées du Verbe, de trou­ver la parole per­due et ramen­er au monde la parole solaire. Ce par­cours ini­ti­a­tique vaut pour le poète indi­vidu. Au regard de vos poèmes, qui sont comme des paroles pronon­cées par une pythie, qu’il s’a­gi­rait alors d’in­ter­préter comme on inter­prète un rêve ou une pré­dic­tion, le rôle du poète vaut-il pour la com­mu­nauté humaine à qui il s’adresserait ?

Le poème a pour des­sein pri­mor­dial de don­ner au lecteur une sen­sa­tion d’harmonie, une jouis­sance esthé­tique que le poète tente de lui com­mu­ni­quer par les nom­breux moyens à sa dis­po­si­tion : entre autres mise en valeur de l’énergie de l’expression, mail­lage des mots, ser­tis­sures du style, per­me­t­tant la sub­li­ma­tion de la langue. Par ailleurs, la poésie – du moins telle que je la conçois – est une expéri­ence spir­ituelle pour celui qui manie le Verbe. Et de celui-ci, ces écrits sont for­cé­ment, à un cer­tain niveau, le reflet irra­di­ant. Sans se pren­dre ridicule­ment pour un gourou, l’auteur est bien plutôt sem­blable à un arti­san qui trans­met, avec amour et humil­ité, à un com­pagnon le savoir-faire acquis par son tra­vail. Ain­si, il est pos­si­ble qu’il mon­tre le chemin, accom­pa­gne et stim­ule dans sa démarche pro­pre le lecteur qui cherche une évo­lu­tion vers une plus grande Lumière, en agis­sant à la fois sur sa sen­si­bil­ité et même son intel­li­gence. Comme l’a dit, syn­thé­tique­ment et de belle façon, Vic­tor Hugo : « car le mot, c’est le verbe, et le Verbe, c’est Dieu » .

 

Pro­pos recueil­lis par Gwen Garnier-Duguy

 


[1] Bien sûr, je n’ai pu lire que quelques-unes des scol­ies écrites à pro­pos de l’œu­vre ful­gu­rante du “pas­sant con­sid­érable” et qui, innom­brables, pèsent sur celle-ci de tout leur poids.

[2] C’est Elie-Charles Fla­mand qui souligne

[3] C’est Elie-Charles Fla­mand qui souligne

 

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Gwen Garnier-Duguy

Gwen Gar­nier-Duguy pub­lie ses pre­miers poèmes en 1995 dans la revue issue du sur­réal­isme, Supérieur Incon­nu, à laque­lle il col­la­bore jusqu’en 2005.
En 2003, il par­ticipe au col­loque con­sacré au poète Patrice de La Tour du Pin au col­lège de France, y par­lant de la poé­tique de l’ab­sence au cœur de La Quête de Joie.
Fasciné par la pein­ture de Rober­to Mangú, il signe un roman sur son œuvre, “Nox”, aux édi­tions le Grand Souffle.
2011 : “Danse sur le ter­ri­toire, amorce de la parole”, édi­tions de l’At­lan­tique, pré­face de Michel Host, prix Goncourt 1986.
2014 : “Le Corps du Monde”, édi­tions Cor­levour, pré­facé par Pas­cal Boulanger.
2015 : “La nuit phoenix”, Recours au Poème édi­teurs, post­face de Jean Maison.
2018 : ” Alphabé­tique d’au­jour­d’hui” édi­tions L’Ate­lier du Grand Tétras, dans la Col­lec­tion Glyphes, avec une cou­ver­ture de Rober­to Mangù (64 pages, 12 euros).
En mai 2012, il fonde avec Matthieu Bau­mi­er le mag­a­zine en ligne Recours au poème, exclu­sive­ment con­sacré à la poésie.
Il signe la pré­face à La Pierre Amour de Xavier Bor­des, édi­tions Gal­li­mard, col­lec­tion Poésie/Gallimard, 2015.

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