(extraits — inédit)

 

« Ce qu’il faut c’est essay­er d’ar­racher soi-même un mir­a­cle de vie et de beauté à la matière. »
                                                                                                                        Romain Gary

 

 

 

Vers l’ar­bre nu on se dirige pénible­ment, sans zèle
avec la douceur de l’hési­ta­tion anxieuse

le mot douceur est si doux qu’il sem­ble sans équivalent
dans la vie où l’on voudrait bien rire et mourir sans gêne

quand ceux qui sont déjà morts nous précè­dent quelque peu
et que ceux qui vivent encore ont cru tuer la mort en eux

et si l’ab­sence est notre manière d’être, nous sommes
en cela au moins sinon pour le reste sem­blables à Dieu

un désir de terre nous rap­pelle pour­tant le sens ancien
du vivre ani­mal dans l’in­tim­ité des arbres et du ciel

il faut donc la langue inci­sive davan­tage pour nommer
l’outrage à la douceur com­mis par la vio­lence du sens

il faut le geste démesuré plus encore pour abolir
l’e­sprit du ressen­ti­ment qui règne sans vergogne

dans les salons du monde et les quartiers de l’être
dans la cen­dre des mots et la pous­sière du temps

 

 

 

 

inve­stir le corps du poème avec la chair des mots
s’employer à déchiffr­er l’in­stant sans con­sul­ter les haruspices

le bois du bureau ses rain­ures ont une his­toire qui nargue
mon igno­rance et je ne com­prends rien à cet objet l’ordinateur

avec lequel je tape des phras­es ban­cales en guise d’apostrophe
de résis­tance à l’en­tropie à la bêtise du mal à la furie du temps

que faisons-nous de ces biens en partage la terre l’humanité
le jour qui vient le vent qui bat et la beauté du crépuscule

pourquoi n’avons-nous pas appris à naître à chaque instant
au coin de la rue au point du jour ou à l’an­gle des yeux

c’est un mys­tère bien grand que de devoir dans l’intensité
du désir quit­ter l’in­stant à chaque instant sec­ouer la main

séch­er la larme le cœur gon­flé d’amour et de tristesse
dans l’é­coule­ment pais­i­ble du fleuve indifférent

et dehors l’ag­i­ta­tion vaine et ses bau­druch­es plaisantes
son tin­ta­marre son rut et dedans ma mélancolie 

 

 

 

 

             l’homme n’ap­prend rien de l’horizon
            qui n’ap­prend rien de l’homme

            roseau pen­sant en pure perte
            frag­ile incendie de la raison

            pos­ture abstraite ou nature
            morte surtout les van­ités qui

            afflu­ent dans la nuit délicate
            et la joie mal­saine d’en découdre

            avec le bon­heur d’oc­ci­dent cloué
            à l’ar­bre nu de la sai­son perverse

            un vis­age n’est pas un rictus
            l’in­no­cence nous trou­vera dans

            une ban­lieue de mis­ère un matin
            de lumière douce avec des roses

            un fleuve sera notre église
            les hommes ne seront pas des chiens

 

 

 

 

               l’ex­is­tence blessure de pacotille
               dans le procès nuancé des jours

               con­tours ironiques des nuages
               miroir humeurs des promenades

               des pas hési­tants dans le vide
               de la terre rude cail­lou érodé

               et la beauté glaciale amère
               soumise au goût paresseux

               aux cou­tumes monot­o­nes du désir
               fadeur d’être mys­tère de la violence

               out­rage à l’év­i­dence et seuil
               de l’in­vis­i­ble on touche à

               quelque chose comme un sein
               sans pudeur ou la douceur d’habiter

               par­mi les fleurs de la patience
               dans le tem­po des pas perdus

 

 

 

insane qui fan­faronne dans les pan­tou­fles bourgeoises
mais pleure de n’avoir pas de lieu et se maquille le jour

sans se trav­e­s­tir pour la nuit, et qui habille du velours
de son tim­bre la voix mélan­col­ique du pas­sage érotique
                            
insane l’homme blessé qui aime les asti­cots et marche
dans la ville sans secrets et sans fard sans histoire

mais n’avoir plus de secrets pour une ville pour un homme
est plus triste que la mort et n’avoir pas de fard pour la peur
                     
broie l’âme intè­gre qui pleure comme un sablier
à chaque jour suf­fit sa jouis­sance triste…

l’homme est un gouf­fre d’eau pour un désir de terre
après les sécré­tions les déjec­tions un homme

peut bien se pom­mad­er un peu s’ar­racher quelques poils
la vie s’échappe par tous les pores de l’être

et la mort à Venise est un luxe qu’on ne peut souhaiter
pas même au gar­di­en de phare le plus chevronné

 

 

 

 

Quoi ? Der­rière le jour aux con­tours nets,
der­rière l’év­i­dence du matin clair ?

Quelle vérité pour rafraîchir la langue ?
Nous pas­sons si près des choses, à deviner

l’ap­pel silen­cieux, sans saisir jamais
le motif au ser­vice de la vie…

La vie nomade a décil­lé mon coeur
je prends le sens du vent dans ce peu

du temps dans ce chemin sans alpha
sans omé­ga sans retenue ouvert

j’ac­croche les mots je les lie
je ban­nis les idées à l’infini

je pleure face à un arbre nu
l’hos­pi­tal­ité est un art dont la vision

est la méth­ode et la musique le souffle
la parole nue touche doucement

 

 

 

 

      

       je marche sur un tapis de feuilles jaunes rousses
       sous un pla­fond de feuilles vertes avec un nœud

       de para­dox­es chevil­lé aux nerfs, le calme oui
       serait souhaitable mais ce qui décline persiste

       la vision se trou­ble avec le sou­venir du dépeuplement
       du monde, les jours sont tressés d’amour et de tensions

       on ne sait plus quoi penser au milieu de l’après-midi
       quand le don est néces­saire mais que la volon­té manque

       on peut réprou­ver l’imag­i­na­tion verticale
       pourquoi le bleu du ciel ouvre-t-il ? et vers quoi?

       mais pour­tant le chemin vers l’hori­zon nous élève
       car la terre est au ciel les oiseaux le savent bien

       qui chantent ! Et nous avec ce besoin des mots
       pour oubli­er que nous ne sommes pas musiciens

       par­fois une men­ace naît de l’in­térieur du poème comme
       une con­science du para­doxe du vent qui souf­fle puis efface

 

 

 

 

par­fois il prend son sexe dans la main lorsqu’elle ne le fait pas
pour lui et en chien de fusil s’en­dort en oubliant la mort

par­fois il rêve tris­te­ment sa vie sans la vivre ou la vivant
si peu si mal éveil­lé endor­mi ou peut-être bien mort

il n’au­rait pas imag­iné une si grande las­si­tude quand
il con­ce­vait la vie large et puis­sante avec des nœuds

pour grimper sur les cimes de l’être mais ce n’é­tait que
méta­physique diges­tive et idéal­isme songeur 

alors dans l’ate­lier du bricoleur où chaque chose est à
sa place sur l’établi ou bien sur les cro­chets du mur

les sen­ti­ments délais­sés dans la sci­ure des jours avec
l’odeur de graisse, de bois ain­si que les ser­ments trahis

ô lui dans le devenir intox­iqué du bricolage
exis­ten­tiel avec l’il­lu­sion de l’é­cart et l’écueil

du vent il attend que la pon­ceuse se grippe enfin et que
la scie cri­arde déchire la pléni­tude angois­sée de l’enfance

 

 

 

la femme enceinte au niqab agressée
par un skin­head bla­fard avec tous ses poils ras

c’est ça l’amour putain ? pour demain pour ailleurs
au nom de dieu au nom de tous les cieux

au nom du monde et du vis­age humain
des ciels des pein­tres ou bien de la beauté

du cœur vierge et de la cervelle essorée
de l’in­for­ma­tion fraîche rapace et plombée

pourquoi la poésie en temps de crise ?
« à quoi bon des poètes au temps de la détresse ? »

le sig­nifi­ant mal­lar­méen dans lequel ma vie
s’énonce enveloppe de sa musique claire

le sauvage flou qui bruit en moi et se consume
de tristesse devant la mis­ère du monde mais

il y a l’amour bien sûr et cette femme à qui
je donne enfin ma vie sans réserve et sans fard 
   

 

 

 

autour de l’ar­bre nu on s’agite on se diver­tit on s’oublie
on oublie ses bras faméliques et la terre en jachère

le manque du chant des oiseaux ne nous étonne pas
plus que la neige qui nous enveloppe de son silence

et le gel mati­nal avec son vent du nord qui nous
perce la peau engour­dit le cerveau et refroid­it les os

et la lourde métaphore qui s’ob­s­tine à chanter
à con­trari­er l’év­i­dence et c’est la mort qui chante

dans le mou­ve­ment du poème la mort qui hante
les trot­toirs de la zone dans une pose obscène

pour­tant la beauté n’est pas loin dans le creux de
la mort dans le poi­son amer du décor de saison

dans les recoins de la mai­son où le corps se replie
autour de l’âtre où se déploient les pires illusions

autour de l’ar­bre nu où l’on retourne s’imprégner
de quelques impres­sions à la lumière d’hiver

image_pdfimage_print