I

Un feu prend aux con­fins de Paris sous l’autoroute
entre les piliers de béton alors qu’à midi
brille un soleil de début d’été. Qu’y brûle-t-on ?
Des planch­es, des cageots, les détri­tus d’un chantier
sans fin. A l’odeur du feu que je sens en premier
s’ajoute celle du ciment. Seul un ouvrier
noir tra­verse torse nu cet espace. Les flammes
s’élèvent, l’homme y jette des pièces de bois brut,
le feu crépite. Pourquoi est-ce si beau un feu ?

 

II

Un soir dans la nuit tombée
de jour en jour plus tôt
un vin hâtif réunit
sous un pont de fer
des hommes errants
et au matin
dans le ciel heureuse­ment bleu
de sep­tem­bre décroît la lune
blanche – un signe inaperçu
des pas­sants – petite foule
solitaire.

 

III

Sur la pierre – pierre usée sans âge – avance
une four­mi, ani­mal minuscule
qu’un mou­ve­ment vio­lent d’hommes arracha
à son par­cours – rien qu’un point noir traversant
notre vision quand grande est notre fatigue.

Tan­dis que l’eau s’écoule sur la pierre
la lune, haute déjà dans le ciel et grosse,
comme un mot, mais juste, donne un instant à l’homme
seul la joie de se tenir dans cet entre-deux
du sol et du ciel où le regard porte.

 

IV

Dans la nuit de janvier
qu’un halo venant des villes
éclair­cis­sait à peine
dans le froid de la brume
un arbre et quelques autres
durs à identifier
et ce pin d’altitude.

Tout est clos ici :
murs, grilles, palissades.

écorces, branch­es, racines :
une brèche immense.

 

V

Il y eut ces trois arbres
– une aube à midi
au milieu d’un pré

accom­pa­g­née de silence et d’oubli

comme une mon­tée de sève
entre l’écorce nouvelle
et la sec­onde naissance.

 

VI

Que restera-t-il dans l’âme
d’un enfant de ce geste
qui un instant fut rien
et tout : pos­er ses mains
sur le sable, en regarder
les traces, sen­tir les grains
sur sa paume ?

 

VII

Les sacs que le vent emporte
furent légère­ment remplis
des tré­sors que les enfants
amassent et dispersent :

Brindilles, pier­res
coquilles creuses d’escargots
poignées de terre.

 

VIII

Dans un espace privé de tout ciel
sous une lumière si vive que chacun
sem­ble détaché de tout, l’enfant avance
sur le sol luisant. Il tient et lâche une main.

Effacée est la joie de l’été
quand tu pou­vais marcher nu,
dans l’eau du tor­rent cour

 

IX

Lorsque monte la détresse
les choses de la nature
–  lilas, glycines, arbres de Judée –
inter­rompent la muraille du temps sans fin.

Feuil­lages, fleurs au ras du sol
Odeurs que réveille la pluie
presque d’été après la chaleur printanière :

choses tenaces autant que précaires
vives autant qu’insignifiantes.

Gloire et misère
dans le mauve pous­siéreux des fleurs.

 

X

La joie est proche de la douleur
peut-être parce qu’elle nous surprend
quand nous nous atta­chons à des choses
infimes, moins que ce vert
imper­cep­ti­ble­ment plus clair
d’un feuil­lage qui pro­longe la lumière
un soir au seuil de l’été :
la couleur un peu vive
d’un jou­et oublié dans l’herbe.

 

XI

Un temps océanique entre dans la ville.
L’enfant rit, interroge,
il doit tourn­er le cou, lever sa tête
car l’homme est grand.
Mais une bour­rasque le porte
il se voit proche des arbres
qui sem­blent marcher.
Ce jour qui s’achève est aus­si une aube.

 

XII

Nos mots – ceux que nous disons
avec tant de facilité –
peut-être qu’ils devraient ressembler
aux traces que nous conservons,
oublions des choses aimées
comme entre deux étagères
cette pho­togra­phie vieillie
d’une Ève primitive
sculp­tée dans la pierre
que les pluies ont lavée ?

 

XIII

Étions-nous demeurés
silen­cieux quand tant de mal
proche nous touche ?

Frag­ile est la mémoire
de ces mots apparus
entre les plis des draps
tis­sés de temps !

Ces mots qui semblèrent
à peine différer
de ces choses :
herbes foisonnantes
pluies sur le sol brûlant.

 

XIV

Branch­es noires
au seuil de mars
font tenir
pour morts ces arbres
qu’une fleur
– puis deux ou trois –
jours après jours
éclos­es mon­trent vifs.

De tant d’amandes
que tu ramasseras enfant
com­bi­en de creuses
com­bi­en de pleines
et philippines ?

 

XV

C’était encore un soir d’un long jour d’été
tu ren­trais ne sachant pourquoi regardant
le ciel bleu où de très minces nuages blancs
s’étiraient, où des mar­tinets volaient haut
tan­dis que tu res­pi­rais l’odeur des blés
fauchés. Arrivé, tu sus que ce basilic
cette men­the posés au bord de la fenêtre
étaient beau­coup de ce que tu avais cherché.

 

XVI

Toute la chaleur
de ces jours orageux
dans la mai­son demeure
tan­dis que la brume
monte au-dessus des prés
sous l’unique étoile
qui sem­ble écarter
un nuage de l’autre.

Folle est la prière
de ce ciel
presque nocturne !

 

XVII

Enfouie dans l’herbe une chose
ronde et grise bouge.

Ce n’est qu’un sac en plastique
qui lorsque le vent l’agite
se gon­fle et ressemble
à un oiseau blessé
qui bat­trait d’une aile.

Brève illu­sion dont la cause
est sans doute le désir
que nous soit proche une vie
aus­si autre que commune.

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