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101 poèmes du Japon d’aujourd’hui

 

       On ne peut, bien sûr, réduire la poésie japonaise au haïku ou au tanka. La preuve – s’il en est – avec cette anthologie de  poésie contemporaine du Pays du soleil levant. C’est pourtant le fils d’un poète de tanka, OOKA Makoto (lui-même poète), qui nous propose, ici, son choix personnel de 55 poètes et de 101 poèmes  de la seconde moitié du 20è siècle. Tous les auteurs présentés sont nés entre 1913 et 1955 et seuls des poèmes écrits après la Seconde guerre mondiale sont publiés dans cette anthologie.

     Cette poésie de l’après-guerre est volontiers qualifiée au Japon de « poésie qui pense », par opposition à celle des premières décennies du 20e siècle qualifiée, elle, de « poésie qui chante », animée par ce souffle qui vise à glorifier « les fleurs, les oiseaux, le vent et la lune ».

     Ce souffle lyrique, propre à de larges pans de la poésie japonaise, s’estompe après la guerre et laisse la place aux œuvres dites de « poésie contemporaine ». Plus intellectuelles, plus tourmentées. « Car notre époque est si réfrigérante », écrit OSADA Iroshi (né en 1939). On le comprend : les horreurs de la guerre sont passées par là, dont les tristes points d’orgue furent Hiroshima et Nagasaki. « Tout doit renaître des cendres et des scories. Du moins est-ce là notre point de départ à nous, qui écrivons de la poésie », note le poète AYUKAWA Nabuo, en 1950, dans un essai intitulé  Des esprits sans patrie.

    OOKA Makoto l’avait déjà dit, à sa manière, dans un poème daté de 1946. « L’année passée quand vint l’automne/Aucun fruit d’arrière-saison/Dans le tournant de la défaite ». Il faut pourtant, comme l’écrit si durement, en 1072, OKADA Takakiko,, « continuer d’errer sur la lande de la non-existence ».

     Mais la véritable rupture avec « la poésie qui chante » fut la publication, en 1952, du livre de TANIKAWA Shuntarô (né en 1931) intitulé Deux milliards d’année de solitude. Ce livre, note YAGI Chûei dans l’éclairante préface à cette anthologie, « rompait avec tous les codes habituels de la poésie et constitua le point de départ d’une nouvelle forme d’expression en phase avec l’époque contemporaine ». Comme dans ce poème, intitulé « Tristesse », de TANIKAWA Suntarô. « Tout là-bas vers l’endroit où résonnent les bruits de vague du ciel bleu/Je crois avoir fait l’énorme bourde/De laisser tomber quelque chose au passage ».

     Désormais la poésie japonaise va plutôt puiser son inspiration dans le quotidien des citadins. « Toujours vient cette heure à la croisée du jour et de la nuit/Le silence tombe sur la ville/Le flôt des voitures s’interrompt/Et c’est alors que je le vois/Le cheval blanc qui bientôt/S’éloigne lentement » (TSUJII Takashi, 1927-2013, dans un poème de 1967). « Construits sans aucun lien, des buldings s’ajoutent aux buildings et entre/Eux comme à travers les mailles d’un filet se faufile un vent… », écrit YOSHIMOTO Takaaki (1924-2012), dans un poème de 1955. « La pluie projette sur toutes les vitres lourdes le reflet des rues/Des rues où la pluie ne cesse de tomber/Et noie aussi le lieu où bientôt viendra notre mort », nous dit, en 1966, KITAMURA Tarô (1922-1992).

     Cette nouvelle poésie japonaise a des thèmes d’inspiration très divers : les scènes de la vie quotidienne, l’amour, le sexe, la guerre, le temps qui passe, la mort, les traditions… Il s’agit parfois d’une poésie quasiment narrative, proche du récit en prose, sans grandes recherches formelles et recourant assez peu aux images poétiques. Elle développera pourtant, au cours de ces dernières années, un certain goût pour la rhétorique et l’hermétisme, la rendant parfois difficile d’accès.

     Mais « le naturel »  peut, à l’occasion, reprendre le dessus, aussi bien dans la forme que dans l’inspiration (si l’on veut bien considérer que les poètes japonais sont instinctivement tournés vers la nature). Il en est ainsi de ce poème « Dans la verdure de Mitsuke », écrit par ARAKAWA Yôgi en 1975. « Printemps à Mitsuke/Oh ces taches de verdure !/Comme c’est le matin/Je ne les poursuivrai pas en profondeur/Cependant/Les herbes très haut se balancent ». Nous voilà, soudainement, très proches des grands maîtres de la poésie chinoise de la dynastie Tang.