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3 poèmes

 

Les surintendants du 3152 Avenue Hull

 

Dans l'appartement en sous-sol, du plus loin qu'il m'en souvienne,
je regardais depuis la carcasse d'une baleine,
les barreaux de mon lit-cage,
une fenêtre à hauteur d'appui, midi
saisi comme une brève lumière oblique.
Là dans l'étroite cour encaissée elle m'envoyait
jouer dehors près des pierres
brutes des fondations, qui à l'instant même,
unique vestige de ma mémoire, me semblent colossales.
Les seules couleurs étaient le bleu franc
et le vert persistant des sumacs qui poussaient
dans chaque crevasse de ces murs et pendaient
entre ciel et terre, exotiques comme des palmes tropicales
pour un gamin du Bronx. Mon père taillait
tous ceux qu'il pouvait atteindre, comme si le gris était
une vertu qu'il ne trouvait jamais assez parfaite.
En revanche, c'était ma mère qui finissait
ces murs, leur donnait leur texture finale,
granuleuse et grasse, comme la suie:
Rentrant en flânant de mes jeux,
je la trouvais, dans une caverne remplie de charbon,
penchée devant des portes de fonte ouvertes, nourrissant pelle
après pelle son insatiable dieu secret.

 

 

 

The Superintendents of 3152 Avenue Hull

 

In that basement apartment of first memories
I looks out of a skeletal whale,
the ribbed cage of my bed, out through
deep-silled window, into midday
caught as a brief slant of sunlight.
There in the narrow sunken yard she’d send
me out to play beside the rough
foundation stones, which even now,
just one of memory’s ruins, seem colossal.
The only colors were the blue straight up
and the persistent sumacs’ green that sprang
from any crevice in those walls and hung
in midair, exotic as tropic palms
to a Bronx boy. My father hacked off all
that he could reach, as if grayness were
a virtue he could never quite perfect.
Instead, it was my mother who completed
those walls, gave them their lasting texture,
granular and oily, as soot will be:
Wandering back inside from play,
I found her, in a cavern heaped with coal,
stooped before open iron doors, feeding shovel
by shovel her secret uncontainable god.

 

***

 

 

Ancien voisinage

 

Voyant un démon de poussière s'emparer
des dernières feuilles d'automne et des lambeaux
d'un Daily News - les années filent au loin

et une fois encore à bout de bras
je tournoie au-dessus de son visage,
pris de vertige à force de trembler et de rire.

L'orme sème des étincelles en haut de la Webster Avenue.
Le néon de Louie's Bar & Grill bourdonne,
avec des saccades nerveuses. Ma mère

attend quatre volées plus haut, avec, veinées
de bleu, ses mains sèches et noueuses.
Je suis plus léger qu'un mot

qu'il n'a jamais dit. M'aurait-il laissé partir
j'aurais circulé au sommet des toits,
n'en serais jamais descendu.

 

 

 

The Old Neighborhood

 

Watching a dust devil catch
last fall’ leaves and tatters
of a Daily News –  the years spin off

and once again I am at arm’s length
whirling above his face in the boozy air,
giddy with trembling and laughter.

The el sows sparks up Webster Avenue.
The neon of Louie’s Bar & Grill buzzes,
has it nervous twitch. Mother

waits four flights up, the blue
veins in her hands wrung dry.
I am lighter than a word

he never spoke. Had he let me go
I would have circled the rooftops,
never come down.

 

 

***

 

 

Fenêtres au Metropolitan

 

Après avoir parcouru avec mes dix cents les tunnels sombres, à dix heures,
je déambulais dans le dédale de lumière des Maîtres de la Renaissance

(délaissés, démodés alors) et me sentais attiré
par les fenêtres derrière les voiles d'azur et le pâle cou incurvé

des Madones qui semblaient plus distantes et plus étrangères
que tout ce que les religieuses m'avaient enseigné. Mais là, près d'elles,

dans un carré pas plus grand que quelques pouces, avec des touches caressantes
aussi fines que des cheveux, les artistes avaient rendu l'infini,

et je scrutais, d'aussi près que les gardiens me permettaient de le faire,
et me sentais, dans mon ignorance, précipité à travers

des paysages qu'un enfant pouvait presque imaginer
par delà les murs d'une ville : des plaines proches, des escarpements

et des châteaux lointains que ne pouvait gravir que l'œil,
flottant comme des îles calmes où n'existaient

ni épines ni coups de marteaux, qui, j'aurais dû le savoir,
devaient alors attirer l'attention des innocents au premier plan.

Bien qu'aujourd'hui je ne vois que facéties dans ces vignettes taquines
avec leur minuscule échappée hors du temps, je n'arrive pas à m'apitoyer

sur ce garçon émoustillé qui à la fermeture s'en retournait prendre
la train D pour sa gare perdue du Bronx.

 

 

 

Windows at the Metropolitan

 

After traveling the dark tunnels on a dime, at ten,
I wandered the flood-lit maze of Renaissance Masters

(deserted then, unfashionable) and felt the allure
of windows behind the azure cloaks and pale crooked necks

of the Maddonnas who seemed more distant and alien
than anything the nuns had taught. But there, beside them,

no more than a few inches square, in brushstrokes
fine as hairs, the artists had put infinity,

and I peered, close as the guards would let me,
and felt myself, in my ignorance, fall through

in landscapes a child could almost imagine
beyond a city’s walls: near plains, far crags

and castles only the eye could climb,
floating like islands quiet and exempt

from thorns and hammer-blows, which I should have known
even then must attend the innocent ones in the foreground.

Though now I see a jest in those teasing vignettes
With their tiny glimpses out of time, I cannot pity

That exhilarated boy who turned at closing and rode
The D train back to his lonely station in the Bronx.

 

 

Poèmes extraits du recueil “Sudden Harbor” ( Orchises Press, Alexandria,
Virginie, 1992), p.15, 31 et 44.

 

 

 

                                                                                           Traduction de Raymond Farina