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6 POEMES POUR JEAN JOUBERT ( 1928–2015 )

 

 

                         Il y a dans chaque enfant

Il y a dans chaque enfant comme une trêve avec la nuit,
Un monde nouveau qui dit non à l'autre.
Une fêlure où tombe le néant.
Et le chemin recommence
Avec l'eau vive qui serpente et l'or des sentiers.
Le passage peut être bref, quelquefois on s'attarde.
Le poète prolonge et veut oublier l'heure,
En lui demeure l'aube qui aime les enfants.
Le coeur dardé d'épines, de la rose, il garde la fraîcheur
Et ce sourire qui voit le ciel.
Alors, c'est Marie qui se penche et l'emmène
Dans les plis de sa traîne où restent les brins de paille,
Les étoiles, et quelques anges des plus taquins et sans raisons.
Quand les poètes sont au ciel, il pleut des rêves
Pour tous les hommes, les ânes et les lions.
Il arrive qu'une femme leur accorde une place
Qu'il en naisse un poète qui crie dans son sommeil
Parce que la porte est si lourde
Ou le vent si pressé qu'on ne la retient pas.

 

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                                    Portée disparue

Portée disparue,
Ma soeur des longs roseaux
Ma soeur des flûtes d'eau.
Large est le tamaris
Les algues allongées
Le cyste et la langueur
De ton ombre démesurée
Qui donne à voir la flêche
Du temps, la grotte où parle
Le râle des soirs de danse.
Et le ressac à ton épaule
D'une main dévoyée,
Loin dans les hivers de brume
Loin et qui n'en dort plus.
Il faudrait pouvoir les prendre
Tous comme on effeuille un annuaire.
Et quand tu t'inclines,
Je vois une couronne qui brille sur ton front.
On m'a dit que tu n'as plus de larmes
Ma soeur, et ton nom même a disparu
Quand on a arraché le lierre.

 

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                                 Les branches se saluent

Les branches se saluent
Les branches ont des vertus de chiens.
Les branches se saluent
Et bavardent de leurs liens.
Les branches ont des plumages
Ronds qui sautent dans les branches.
Les branches ont des plumages
Comme des fruits qui chantent
Et la saison s'en va où tu me pris la main.

 

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                            Il fut un temps de soleil gris

Il fut un temps de soleil gris
D'espace sans raison
De griffures à la fenêtre
Et je n'ai souvenir que d'un oiseau.
Maintenant, elle va droit
Dans cette vaste allée sans impatience
Où dire le vide demandera tant de poussière.

 

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                                                                       Le vent vient de la mer

 

Le vent vient de la mer mais qui nous est hostile.
Un trident déchire la nuit et puis comme un éclair
Une bouffée d'aurore qui dit le mal de vivre
La nécessité de fuir
Un spectacle de boue, une lappée de miel
Et quelques détritus en partance vers la mer.
La trace d'un souffle qu'on ne retiendra plus.
Je te hais d'être à ce point vivant parmi les morts
Toi qui ne sait plus dire ce matin le nom des miens.
Et c'est inclinaison de silences aux quatre méridiens.
Pour ceux que le sort conduit sur la route
Qui ne peuvent plus ni monter, ni descendre
La seule liberté est de vivre.
L'aurore est un parcours plus sombre que nos rêves
Et tu chantes.

 

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                                  Des routes estivales

 

Des routes estivales, des matins vieux, des ombres souveraines
Et voilà que les mots s'en sont allés comme tourterelles
Enfants sauvages, carcasses de silence sous leurs peaux brunes.
Silence de la mer déjà rentrée là-bas au creux de la colline
Dans l'au-delà des prés comme blessure.
Et pourtant, elle sait qu'il était question de dire le délice
Dans ces mots.
Délices à flanc de coteaux, d'escapades,
De sueur et de châteaux. Instants d'un monde tiède
Où courrait quelque chose qui subsisterait de la vague
Avec plusieurs corbeaux opiniâtres qui interpelleraient
Comme grives, mais tout gris dans les buissons nappés de givre.
Les mots sont partis et l'aïeule pour les dire.
Délices des matins de plume, des silences intrépides
Et des envolées sous l'édredon aux yeux gris.
Ardoise des jours.
Partout ces dames qui serrent leur gilet.
Délices tardif des pétales de rose que ta présence honore
Que ta présence adore et j'ose quelques mots que tu ne diras plus.
Fête incertaine d'être là, le jardin se repose
D'une vie de plus qui a fermé sa grille.
Dans le jardin, moins de plénitude qu'au cimetière
Ce matin, seule dans le brouillard.