9 poèmes inédits en français
Si nous nous tuions l’un l’autre
	Nos yeux entourés des cils
	Comme d’une couronne d’épines
	Consacrant définitivement
	Tout regard,
	Si nous nous tuions après nous avoir regardés
	Dans les yeux avec un amour sans fin
	Et te connaissant, je te disais :
	Meurs,
	Meurs mon amour,
	Ce sera si bien
	Tu ne seras plus que mien,
	Toi né du verbe-père
	Tu connaîtras le goût de la terre,
	Tu sauras combien les racines sont belles
	En entrelaçant tes mains parmi elles
	Avec la joie insensée
	De ne plus être à jamais…
	Et me caressant tu me disais :
	Meurs, ma chérie,
	Ma bien-aimée au front d’octobre
	Cerclé comme dans les icônes
	D’un rond nimbe de mort,
	Meurs,
	Laisse tes couleurs dans les fleurs
	Tes longs cheveux, aux sentes d’hiver
	Et tes yeux, éclats aux mers
	Pour que tu saches
	Où les chercher
	Quand tu reviendras…
	Si nous mourions d’un seul coup ensemble
	Chacun de nous assassin et victime,
	Sauvé et sauveur,
	En nous regardant sans cesse dans les yeux,
	Longtemps après que nous ne verrions plus…
De l’eau sortaient des corps blancs de peupliers
	De l’eau sortaient des corps blancs de peupliers
	Aux formes ensommeillées et suaves,
	De beaux adolescents ou seulement des femmes,
	Douce confusion, leurs chevelures humides
	N’osaient occulter le désir,
	L’eau était sans fin, ronde, immobile,
	Sur son éclat la lune versait
	De l’huile.
	Nous marchions pieds nus, limpides,
	Je sentais
	Mes doigts engourdis dans ta main,
	Il y avait tant d’amour sur les eaux
	Que nous ne pouvions couler,
	Tant de silence que le temps
	N’osait dire aucune seconde,
	Le ciel ne prononçait aucun nuage,
	L’eau ne balbutiait aucune onde,
	Seules nos plantes de pied, nues,
	Foulant la lumière de lune,
	Émettaient un son léger.
Tant que je parle
	Les dents serrées à travers ères,
	Toute parole est un gage de confiance
	Sur la ligne brisée entre le ciel et moi –
	Te parlant, tu dois être.
	Là-haut dans les montagnes, où les sapins eux-mêmes
	Se prosternent, genévriers, à terre
	Et les nuages s’écoulent sur pierre,
	Dans les bourrasques, une parole bat
	Elle est sans doute à toi cette voix
	Au son tyran et du tréfonds,
	Que perd le vacarme de mon sang
	Mais entendent les arbres et les vents.
	Mon bien-aimé que personne
	N’a vu qu’en songe jamais ailleurs,
	Père des mots qui sont en moi
	Et sur le non-dire seigneur,
	Fils incertain
	Né de la prière
	Que je t’élève,
	J’ai fatigué de tant de chant,
	De tant de pensées sans suite,
	De tant de paroles angéliques.
	Tu es sans pitié,
	Je ne te vois ni ne t’entends –
	Tant que je te parle,
	Tu es.
Apprends-moi à brûler sombrement
	Laisse-moi m’allumer de ton obscurité,
	Dans la lumière féroce
	Apprends-moi à brûler sombrement,
	Modèle selon la forme des ailes
	Ma flamme,
	Et purifie-la de toute couleur.
	Ou,
	Mieux encore,
	Donne-moi une semence d’obscurité
	Que je puisse mettre en terre
	Et fais tourner plus vite les saisons
	Pour qu’elle grandisse,
	Que je la sème à nouveau.
	Dans la lumière féroce
	Il y aurait alors des forêts et des champs,
	Des bois, des vergers, des prairies et de hautes futaies de nuit noire.
	Une ténèbre profonde et tendre
	Dans laquelle nous pourrions mourir quand nous voudrions,
	Une obscurité où
	Nous ne serions plus beaux, ou bons,
	Mais seulement seuls,
	Et comme nous ne devrions plus regarder,
	En fermant les yeux, nous saurions voir.
Poèmes traduits du recueil Octombrie noiembrie decembrie / Octobre novembre décembre, éd. Cartea Româneascà, Bucarest 1972, non présents dans l’anthologie Autrefois les arbres avaient des yeux (préface, biobibliographie, sélection et traduction du roumain par Luiza Palanciuc, éd. Cahiers Bleus / Librairie Bleue, Troyes, 2005).
Ce miroir
	Entre nous deux
	Ce miroir mou, incertain
	Incliné de telle sorte que
	Je ne me vois pas
	Tu ne te vois pas,
	Mais je te vois
	Et tu me vois,
	Nos yeux se rencontrent
	Et s’entenaillent
	Sur son horizon argenté.
	Tant que ce miroir continuera d’être
	Et nous accueillir
	Dans son rêve profond,
	La vie et la mort
	Où tu es, où je suis,
	Ne sont que des contes
	Où je suis, où tu es.
Au bon vouloir
	Que pourrais-je te demander
	Si quoi qu’il en soit, tu sais
	Tout ce que je pourrais te demander ?
	Que pourrais-je souhaiter
	Si tu décides quoi qu’il en soit
	Ce que je pourrais souhaiter ?
	Je suis parce que toi
	Tu as dit que je sois –
	Un jeu au bon vouloir
	Tu veux ce que je dois vouloir…
Lâche-moi un peu, endors-toi,
	Oublie-moi quelques instants,
	Que je puisse concevoir une chose
	Qui ne t’est pas déjà passée
	Par la tête auparavant !
	Laisse-moi tranquille,
	Dans une paix que tu n’as pas programmée !
N’es-tu pas fatigué de tout savoir à l’avance ?
	Voilà, à cet instant j’écris un poème
	Que depuis longtemps tu connais
	Par cœur.
Plage
	L’écume jetée sur la rive comme le sperme
	Du ventre entré en putréfaction
	De l’océan,
	Et les plumes aux traces de pétrole
	Perdues par de vieux oiseaux,
	Et les œufs asséchés dans les poissons morts depuis longtemps,
	Et les myriades de semences de sable
	Dans lesquelles se sont pétrifiées,
	Jamais nées,
	Des plantes insoupçonnées.
	Tout est stérile, interrompu,
	Les rayons des soleils éteints seulement
	Continuent encore de nous atteindre
	Avec leur tendre pouvoir de mort.
Tout aussi
	Pousser plus loin
	Les frontières de l’obscurité
	Accroître ne serait-ce que d’un millimètre
	Le lieu vide lumineux
	Qui t’aveugle, en t’empêchant,
	Tout comme les ténèbres, de voir.
	En fait
	T’effraient aussi bien
	Ce que tu comprends
	Et ce que tu ne comprends pas,
	Ce que tu vois
	Et ce que tu ne peux percevoir :
	Tout aussi vaincue à tous instants,
	Tout aussi aveugle par tous midis.
Mandala
	L’image intense du diamant qui m’aide
	À passer du confus état de veille
	Dans la brusque illumination du sommeil,
	Scintillement intérieur,
	Forme de lumière dessinée
	Avec la lumière sur la lumière,
	De sorte qu’on ne distingue plus
	Qu’une mystérieuse combustion
	Qui donne sens à tout.
	Tout comme le rayon blanc du diamant
	Se brise en éclats colorés,
	Tout comme le serpent mord sa queue
	Et se transforme en anneau,
	Dans la profondeur des racines sans fin
	Les peuples du monde délirent pareillement.
Poèmes traduits du recueil Refluxul simţurilor / Le reflux des sens, éd. Humanitas, Bucarest 2008 (2ème édition), non présents dans l’anthologie Autrefois les arbres avaient des yeux (préface, biobibliographie, sélection et traduction du roumain par Luiza Palanciuc, éd. Cahiers Bleus / Librairie Bleue, Troyes, 2005).