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Giorgi Lobzhanidzé, un Professeur d’arabe en Géorgie

Le recueil de Giorgi Lobzhanidzé est une tentative éminemment empathique de partager l'expérience d'une vie libre dans la Géorgie d'aujourd'hui ; défi de chaque instant. L'individu y est broyé sous les difficultés matérielles, la pauvreté, la violence sociale, les propagandes politiques de tous bords, le carcan des différents dogmes religieux... Marginal et funambule, le poète renvoie dos à dos toutes les chapelles et préfère ne se fier qu'à ses propres vérités. Pamphlétaire, rêveur, il sera notre professeur surréaliste d'une langue nouvelle qui puise aux sources inédites d'un Coran secret et d'une conjugaison ré-imaginée, aventureuse, nomade, sans passé ni avenir.

Docteur en philologie, Giorgi Lobzhanidzé enseigne actuellement à l’Université d’État de Tbilissi. Il a traduit des œuvres médiévales et modernes importantes de la littérature arabe et persane. Il est l’auteur de la nouvelle traduction géorgienne du Coran, présentée et annotée par lui-même, pour laquelle il a reçu, en 2008, le Prix littéraire Saba dans la catégorie « Meilleure traduction de l’année » et le Prix d’État du « Livre de l’année » de la République islamique d’Iran. En 2010, Giorgi Lobzhanidzé a de nouveau reçu le Prix Saba pour sa traduction de Golestan de Saadi, éditée chez la Maison caucasienne, dans la catégorie « Meilleure traduction de l’année ». En 2020, il a publié aux éditions Sulakauri la traduction présentée et annotée par lui-même du premier des six livres du Masnavî de Djalâl ad-Dîn Rûmî, pour laquelle, en 2021, il a une troisième fois reçu le Prix Saba dans la catégorie « Meilleure traduction de l’année ».

Extrait du poème « Les martyrs » de Giorgi Lobzhanidzé en géorgien et en français, lu par le traducteur B. Chabradzé, du recueil "Le professeur d’arabe", éditions Les Carnets du Dessert de Lune, la nouvelle collection de poésie contemporaine européenne cofinancée par le Creative Europe Programme, 2023. Pikis Saati, émission radio publique géorgienne, 14.07.2023.

Ses poèmes sont traduits dans plusieurs langues et sont inclus dans diverses anthologies, notamment dans Le train de Koutaïssi : Vingt poètes géorgiens (traduction de Boris Bachana Chabradzé, éditions Caractères, Paris, 2022). En 2020, la maison d’édition lituanienne Kauko Laiptai a publié son recueil de poèmes « La phobie des saints » (traducteurs : Nana Devidzé, Viktoras Rudianskas et Jonas Liniauskas) qui a été nommé, en 2021, parmi les quinze meilleurs recueils de poésie de l’année par l’Association des éditeurs et critiques lituaniens. En 2022, son recueil de poèmes Nelle rovine del sogno (« Dans les décombres du rêve ») est paru, dans la traduction de Nunu Geladzé, en Italie, aux éditions Giuliano Ladolfi Editore.

Giorgi Lobzhanidzé
Traduit du géorgien par Boris Bachana Chabradzé

 

Faire connaissance

Bonjour,
J’ai déjà pataugé dans cette eau
Et je ne crois plus en rien,
Ni à l’amour
Ni à la tendresse juvénile,
Ni à la pudeur.
Je crois en un coup de poing dans la mâchoire,
En une rage de dent,
En un cadavre enfin redevenu
Ce qu’il était en réalité.

Partout où je vais, les loups hurlent après moi,
À mon tour, je hurle à la lune
Non pas comme un amant fou
Mais comme un loup
Affamé et souffrant d’une rage de dent,
Sans-abri,
Traçant son chemin dans la neige
De la forêt au village.

Bonjour,
J’ai déjà fleuri,
J’ai traversé tous les fleuves,
J’ai suivi tous les vents,
J’ai enfreint les dix commandements
Jusqu’à ce que je redevienne enfin
Ce que j’étais en réalité :
Un défunt heureux
N’ayant plus besoin d’amour,
De l’argile nue
N’ayant plus besoin de préservatif,
Ne pouvant plus m’accoupler qu’avec la terre.

Fais-moi faire connaissance avec qui tu veux,
Présente-moi des âmes sœurs plus belles les unes que les autres :
L’amour finit toujours de la même façon,
Il ne se suffit pas,
Il doit se déverser dans quelqu’un.

La prière de l’homme avec des sacs de courses

Merci mon Dieu !
Jamais tu ne m’oublies,
Pas même dans une telle tempête.
Elle aurait pu m’emporter,
Me porter au ciel,
Chez toi
S’il n’y avait eu ces sacs de courses
Chargés de nourriture pour deux ou trois jours,
Juste assez pour préparer
Quelques déjeuners
À condition de ne pas manquer d’imagination culinaire.

Merci mon Dieu
D’avoir créé,
Dans chaque quartier de notre capitale
Où j’ai vécu
Au moins un magasin
Où je peux,
Certes avec un sentiment de gêne,
Récupérer de la nourriture à crédit,
Où les vendeurs me font généreusement confiance
En notant néanmoins mon nom sur leur ardoise,
Tout en indiquant la somme à régler -
Le mois prochain, quand j’aurai touché mon salaire.

Sur ces ardoises, à côté de mon nom,
Ils ajoutent mes caractéristiques
Pour ne pas me confondre avec d’autres clients du même nom.
Auparavant, ils notaient : « chétif »,
Maintenant, ils notent : « Professeur ».
Or, moi, je suis l’homme
Avec des sacs de courses dans la tempête.
Quand j’écarte les bras
Afin de conjurer le vent
Pour qu’il ne m’emporte pas brusquement chez toi,
Je te ressemble soudain,
Tel que tu étais
Quand tu devenais Dieu…

Telle est la crucifixion des sacs de courses,
Avec deux poissons
Et cinq pains.

Le retour de Pénélope

Ici tout se passe à l’envers :
C’est Pénélope qui rentre à la maison.
Elle suit sa propre tapisserie
Telle une araignée,
Entrelace maille par maille
Les sentiers sortant de son ventre
Et avance ainsi
Vers son unique UlysseQui a pris le large
Depuis déjà si longtemps
Et a forgé sa propre histoire…
Tandis qu’elle, femme,
Est une Pénélope active,
Elle tisse et s’englue dans les mailles de sa tapisserie
Telle une araignée
Et son ouvrage
Pour lequel elle use de bleu
Se répand sur toute la terre
Comme l’eau de mer
Et fait déferler ses espérances comme des vagues.
Mais pourquoi « comme » ?
Cette tapisserie est une véritable mer
Salée par les larmes
De Pénélope esseulée.
Elle pleure…
Elle tisse…
Et au bout de la mer,
Ulysse.
Arrivée jusqu’à lui,
Elle déploiera à ses pieds
Son ventre lassé d’avoir tissé
Et lui dira :
« J’ai suivi ma tapisserie,
Je t’y ai tissé comme trame principale
Et puisque je suis
Une Pénélope active,
Je suis venue moi-même…
Cette tapisserie est notre progéniture ».

Ma voisine

Ma voisine est une vieille femme,
Avec une vie de galérienne derrière elle,
Asséchée par le labeur
Comme l’herbe des champs…
Alors que dans mon enfance
Elle était belle comme une immortelle d’Italie.

Maintenant, elle a tout oublié.
Dans son esprit, le passé a entièrement recouvert le présent,
S’étant peu à peu emparé, tel un marécage sans vie,
De l’espace vital de sa pensée
Où seuls les souvenirs glougloutent désormais,
Quelques souvenirs marquants,
Nénuphars flottants,
Étendards blancs sur les remparts de l’oubli.

Sa maison d’enfance
Est l’un de ces nénuphars…
Tandis que la maison qu’elle s’est construite,
Où elle a élevé cinq enfants,
Où elle a labouré toute sa vie,
Lui est étrangère.

Dès que les membres de sa famille s’absentent,
Elle se précipite dehors,
Verrouille soigneusement le portail derrière elle
Et remonte la rue vers l’autre bout du village,
Vers chez elle…
À quelques pas, il y a un carrefour,
Elle s’y arrête
Et s’apprête à crier de désespoir,
Or, n’en ayant pas la force,
Au lieu d’un cri, un râle pitoyable sort de sa gorge :
« Je veux rentrer à la maison !
Ramenez-moi chez moi ! ».
Tous ses souvenirs ont coulé dans le marécage.
Sur les décombres de son esprit
Entièrement effondrés sur son passé,
Un seul arbre a poussé :
« Ramenez-moi chez moi ! » –
Seule son âme se souvient de sa vraie patrie
Et tourne en rond…
Mais pour l’heure, elle ne peut aller nulle part.

Et, du carrefour,
Ses voisins la ramènent
Chez elle,
Jusqu’à son portail verrouillé.

Au revoir

Je t’ai dit au revoir
Comme
Un arbre à ses feuilles
Après les avoir serrées dans son cœur
Toute l’année.
L’amour
Exige toujours
De nouveaux habits
Et c’est le supplice des arbres :
Voir
Leurs feuilles choir
Et devoir leur dire au revoir,
Branches tendues vers elles,
Afin de pouvoir accueillir
Des feuilles nouvelles…

Recueil de poèmes de Giorgi Lobzhanidzé "Le professeur d’arabe", traduit du géorgien par B. Chabradzé, a été édité par Les Carnets du Dessert de Lune dans la nouvelle collection de poésie contemporaine européenne cofinancée par le Creative Europe Programme. L'auteur et le traducteur parlent du recueil dans l’émission radio publique géorgienne "Pikis Saati". Source : https://1tv.ge/audio/pikis-saati-14-0...

Présentation de l’auteur

Giorgi Lobzhanidzé

Né en 1974 en Géorgie, dans le village de Nabakhtevi de la municipalité de Khachouri, Giorgi Lobzhanidzé (გიორგი ლობჟანიძე) est l’auteur de six recueils de poèmes.

Bibliographie

  • « Un destin d’orphelin » (ობლის კვერი), éditions Merani 1991.
  • « Le point d’ébullition » (დუღილის ტემპერატურა), éditions Merani, 1997.
  • « Le bouquet de pissenlits » (ბაბუაწვერების თაიგული), éditions de la Maison caucasienne, 2004.
  • « Le Professeur d’arabe » (არაბულის მასწავლებელი), éditions Saunje, 2013.
  • « Dans les décombres du rêve » (სიზმრის ნანგრევებში), éditions A. Orbeliani, 2019.
  • « Le cœur d’Achille » (აქილევსის გული), éditions A. Orbeliani, 2023.

Poèmes choisis

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Jacques Robinet, Clartés du soir

La nuit, c'est la "mort" qui vient, c'est l'heure où "la lumière décline", alors, il faut promouvoir au mieux cette clarté, annonciatrice du jour.

Le poète oeuvre dans le feu de l'autre et du silence, à force d'images qui puissent nier l'exil, l'absence, la perte :

Une rose à la fenêtre
le gel au fond du coeur

Le chemin est un élément important de la poétique de Robinet : il inaugure "l'ouvert", engrange "l'estuaire", afin que la parole circule et vienne "le bleu du ciel".

Les poèmes, assez brefs, circonscrivent un domaine de réflexion : la présence de l'autre (ce "tu" obsédant), les impératifs dressés à soi ("reviens , n'écoute pas l'appel/ du vent"), les "traces" attendues, requises ou négligées.

Perdu sur mon chemin
j'ai tressailli à ton approche

Jacques ROBINET, Clartés du soir, unicité, 2022, 15 euros. Couverture de Renaud Allirand.

Un aller-retour désir / présence creuse les enjeux de cet intimisme brûlant : "la nuit respire/ ton silence".

On comprend l'intensité qui s'y joue et l'étonnement métaphysique "d'être là", encore, et toujours, en quête du beau, de l'impossible, de ce réel qui nous joue des tours.

"Rôdeur", témoin des "nocturnes", le poète sait "où règne la nuit/se tisse la lumière".

Lyrisme vivace, explorant les fins fonds de l'être : voilà où le poète nous mène, signe après signe, sans triche, énumérant les "passages incertains", "frottant les mots jusqu'à l'usure".

Le lexique, ainsi, ressasse les mêmes vocables, dans une volonté dense de tout dire de ce désir de "clartés".

Un beau livre.

Présentation de l’auteur

Jacques Robinet

Jacques Robinet , né en 1937, vit à Paris. Il est psychanalyste.

Publications :  Veille le Silence (éditions St Germain- des- Près, 1984 - épuisé)

En collaboration avec l'artiste peintre et graveur Renaud Allirand : Miroir d'ombres (2000) et Traces (2013) —  Frontières de sable (2013) et Feux nomades (2015) ont été publiés par les Editions la tête à l'envers à Ménetreuil ( 58330- Crux la Ville).

Poèmes choisis

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Chronique du veilleur (38) : Jacques Robinet

 Jacques Robinet a publié plusieurs livres de poèmes aux éditions La Tête à l’envers. En 2018, les éditions La Coopérative ont fait paraître son récit autobiographique, Un si grand silence, bouleversante évocation de [...]

Le Lieu-dit L’Ail des ours

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Jacques Robinet, Notes de l’heure offerte

« Seule compte l’heure  offerte qui vient à ma rencontre et cette branche qui tremble encore d’un oiseau envolé » (p.65) Ces notes sont à la fois méditation et dialogue, dialogue avec le lecteur et [...]

Jacques Robinet, Ce qui insiste

Dès le premier poème de ce recueil, l’univers intime du poète s’offre aux lecteurs ; la communion avec les éléments de la nature : l’arbre, l’oiseau, mais aussi la nuit qui est une porte ouverte [...]

Chronique du veilleur (53) : Jacques Robinet

Après La Monnaie des jours et Notes de l'heure offerte, Jacques Robinet nous offre des extraits de ses « notes » de l'année 2020, sous le titre L'Attente. Ce troisième volume me semble aller aussi [...]

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Jean-Pierre Vidal, Fille du chemin

Avant de parler du nouveau texte de Jean-Pierre Vidal il convient d’évoquer son livre précédent, un recueil également publié aux éditions Le Silence qui roule de Marie Alloy ; il s’y passe déjà une rencontre, celle entre le vent et la couleur qui ont en commun la puissance. Ils sont tout un monde sous la dictée duquel le poète écrit.

Dans ce nouveau livre en partie en prose, la rencontre est celle de deux êtres vivants et, avant tout, il faut à propos de celui-ci laisser l’auteur parler lui-même. Il a eu l’occasion de dire :

J'aime beaucoup les grands poèmes narratifs italiens, par exemple La Chambre de Bertolucci, certains poèmes de Mario Luzi, en prose (Trames) ou en vers, et je considère bien des récits d'André Dhôtel comme des poèmes. Textes inclassables... Prose poétique, oui, je l'espère. Après tout c'est au lecteur de le dire.

 

Jean-Pierre Vidal, Fille du chemin, éditions le Silence qui roule, 2024.

Certaines constations faites ici conduiront à affirmer qu’il s’agit bien de poésie et que cet ouvrage est bien aussi un recueil.

L’opus est placé sous l’égide de Robert Marteau, le poète des sonnets dont on lit cette citation : « …Intense viridité de l’amour inaccompli… »

La délicatesse de l’incipit liée à un échange inattendu dans le plaisir de la marche est à elle-même en effet d’ordre poétique ; l’économie de mots dans ce constat en est une de plus :

 l’autre était là, simplement, et c’était bien… et il en était ainsi depuis toujours…nous allions de concert.

S’engage ensuite une analyse très fine - avec son champ lexical abstrait de sentiments - de cette compagnie réciproque dont « l’inflexion » des voix rappelle celle des poètes.

La nuit innocente que passent ensemble le narrateur et la femme donne lieu à une aussi belle définition que le style du reste de ces pages de « prose » : « alors que…nous était perceptible l’irréductible et belle distance entre les vivants du monde », longue période qui s’achève par « un frisson du corps dans la nuit » ; ce partage supérieur entre écart et proximité des corps - « se repaître du monde… dans la bienheureuse proximité d’un autre mortel plutôt que dans l’isolement amer » est ici magnifié et participe de « l’ordre du monde ».

Les pages suivantes sont d’une pureté sans égale. La nudité décrite, les « corps intègres » ne sont « ni proies, ni prédateurs ». « Avec le monde comme jardin » on peut à coup sûr parler de prose poétique et le lecteur se réjouit d’avancer vers d’autres découvertes animées par « l’énergie divine ».

Le corps « comme part du paysage », le visage « comme un livre qui a la légèreté d'une feuille » : délicates notations pour un « absolu » anonyme et éphémère qui termine cette première partie éponyme du titre. Le désir finalement n'y aura été que celui du chemin et du rythme de la marche. Ni l'émotion ni « la culture » ni même « la pensée » n'en parasitent les instants. Seul ainsi comptent « le passage » et l'imaginaire face à une réalité où la liberté de chacun est restée vive. Les trois poèmes qui suivent intitulés Dans la chambre nue prouvent bien quel genre d'écrivain Jean-Pierre Vidal montre qu’il est depuis l'incipit. Un poète qui apporte un souffle nouveau avec toujours une dentelle de mots : « C’est par vagues la souvenance de toi ».

Puis viennent des pages dont les titres sont Présente et préservée et Si l’autre se donne et qui sont consacrées à des paragraphes ayant la même force que des versets. On y retrouve le thème de la pureté de la rencontre : « Pas de fauve dans ce livre heureux » et la question de savoir si le « récit » est commun entre deux êtres reliés par l’imaginaire d’une relation restée désir. La réflexion, monologue intérieur ponctué de questions, se fait incantatoire et ramène l’auteur à la question de l’écriture :

 

Ecrire, c’est souffler sur le feu frêle ou puissant que le monde nous propose. Se préparer à le voir, ce feu d’un visage, ce regard, d’une courbe, d’une voix.

Et dans cette vision libre et pure, sans passion, mais dans « une confiance absolue… qui leur donne un sentiment d’éternité » ils ne se perdent pas, ils se trouvent.

Il n’y a plus un homme et une femme mais deux êtres humains ce qui réjouit le narrateur :

 Je nage dans cette merveille que m’offre l’accord obtenu sans mots par l’acte de chacun.

A part un passage de nouveau en prose l’opus s’achève sur trois pages poétiques ; on retiendra, pour finir, de celles-ci une strophe qui résume la rencontre et son présent idéal :

L’un et l’autre simplement là
Où ils sont
Ni ensemble ni séparés
Là au même moment
Sans attente et sans promesse

 

Présentation de l’auteur

Jean-Pierre Vidal

Jean Pierre Vidal est un poète français qui a vécu à Lyon. Il a collaboré à de nombreuses revues : Verso, Aires, Faire part, Théodore Balmoral, Chef-lieu, La Nouvelle Revue française, Sud, Recueil, Arpa, La Sape, Le Paresseux, Écriture... 

© Wikipedia, Jean Pierre Vidal, 2014.

Alentour de Philippe Jaccottet, numéro spécial préparé par André Ughetto et Jean Pierre Vidal, Sud, 19891

Philippe Jaccottet Pages retrouvées - Inédits - Entretiens - Dossier critique - Bibliographie, Payot Lausanne, 19892.

Feu d'épines, Le Temps qu'il fait, 19933.

La Fin de l'attente, Le Temps qu'il fait, 19954.

Du Corps à la ligne, avec des estampes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 20005.

Vie sans origine, avec des estampes de Marie Alloy, Les Pas perdus, 2003.

Thanks, avec des estampes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 20106.

Gravier du songe, avec des estampes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2011.

Le Jardin aux trois secrets, avec des estampes de Marie Alloy, Le Silence qui roule, 2015.

Exercice de l'adieu, Le Silence qui roule, 2018.

Passage des embellies, image de Marie Alloy, Arfuyen, 2020.

Philippe Jaccottet, Une transaction secrète : lectures de poésie, Gallimard, 1987

Philippe Jaccottet, Écrits pour papier journal : chroniques 1951-1970, textes réunis et présentés par Jean-Pierre Vidal, Gallimard, 19947

Philippe Jacottet, Tout n'est pas dit : billets pour La Béroche, 1956-1964, Cognac, le Temps qu'il fait, 19

Poèmes choisis

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« Elans, interruptions », le titre de la cinquième partie du nouveau livre de Jean-Pierre Vidal pourrait être une bonne entrée pour parler de Passage des embellies, œuvre d’une richesse surprenante, voire heureusement déconcertante. Il [...]

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Chantal Dupuy-Dunier, Parenthèses

Parenthèses : voilà un titre plutôt énigmatique. Est-ce celles qui bornent notre chemin, depuis l’avant jusqu’à l’après, faisant de nous… une parenthèse dans le cours des choses ? Il semblerait ici qu’il s’agisse des deux parents défunts : « ceux qui les referment sont les mêmes qui les ont ouvertes ». On peut y voir une charge agressive : ils n’étaient donc qu’une parenthèse ! On apprendra au fil de la lecture que le père a manqué à l’enfant, et que la mère l’a délaissée.

Chantal Dupuy-Dunier ne nous a pas habitué à ce type de texte, on perçoit bien qu’il fut une urgence pour elle. Tant est fort le besoin que nous ressentons tous de retracer l’histoire au moment du décès de père et mère. D’inscrire des mots sur la dalle :

 

Ces mots
couchés sur le papier dans l’urgence,
comme s’ils pouvaient prendre la place des morceaux
de ton corps qui se délite

 

On comprend dès lors que le texte tienne autant du récit que du poème. Pourquoi aussi il se lit d’une traite, comme si nous étions à la recherche de l’histoire familiale de l’auteur ; l’histoire de sa genèse puisque le récit des origines est à l’origine de toute histoire. Est-ce pourquoi celles-ci sont toujours reconstruites afin de donner à lire une légende où les ancêtres sont toujours valeureux ? Du coup nous voilà gonflés au narcissisme, fiers de nous et de notre tribu… Rien de tel chez Chantal Dupuy-Dunier, elle nous fait voyager sur l’autre versant de l’histoire, celle que l’on balbutie dans les larmes et l’amour.

La première partie du livre porte comme titre : Passe impair et manque : le père est passé, il a manqué, quel impair a-t-il commis ? Avant tout celui de mourir, dépouillé de lui-même :

 

changé en un autre que mon père.
Réduite, sa tête,
comme par les Jivaros
Nez busqué
avec cette trace de piqure
sous le menton
On t’a vidé de ton sang,
Vampirisé

 

Pendant neuf mois (soit le temps d’une naissance ?), la fille imagine la dissolution, la dislocation du corps paternel – un corps qu’elle aima pour le voir ainsi dans sa matérialité ; d’où cet érotisme noir où quelque chose du corps de la fille est enterré avec celui du père, avec lui elle endure le froid sous terre, elle assiste à la décomposition de son visage, la perte de son sourire, jusqu’à l’insoutenable :

 

Et les vers…
Non !

Ton ventre d’où je viens.
Vaine vendange des vers

 

Tant fut intense la fusion amoureuse.

La seconde partie du livre est titrée : Laisse de mère. On appelle « laisse de mer » la bande de débris déposés sur la plage au gré des marées, composée d’algues, de bois mort, mais aussi de déchets abandonnés par les humains. Nous voici donc prévenus !

 

Tu me délaisses,
je te délaisse.
C’est comme une comptine…

 

Il semblerait que la mère fut aussi abandonnée que la fille, sur le sable au gré des marées :

 

Naufrage de tout ce que tu aimais,
Épave rejetée sur le rivage,
ma mère

 

Je n’en dirai pas plus, au lecteur de découvrir le fond de l’histoire…

La fille n’ira pas saluer la mère agonisante. Ni son cadavre avant la clôture du cercueil. Son corps va disparaître, enfourné dans le crematorium, la fille est là :

 

Moi muette,
pas un poème lu,
étranglée.

 

C’est le père qui lui donna les mots. Quant à la mère : « de chair et de lait / de lèvres et de mains aimantes », ainsi fut-elle en un temps perdu, depuis longtemps semble-t-il. 

Un amour contrarié, donc. De sa mère, l’auteur dit : « l’imparfait porte bien son nom ». Et cependant :

 

Dans mon miroir,
c’est ton visage éteint que j’aperçois désormais.
En vieillissant, je te ressemble, ma mère.

 

… Telle est la thèse sur les parents de Chantal Dupuy-Dunier …

Présentation de l’auteur

Chantal Dupuy-Dunier

Poétesse, née le 28 novembre 1949 en Arles. A vécu douze ans dans le petit village de Cronce en Haute-Loire. Vit maintenant à côté de Clermont-Ferrand.
Elle a exercé la profession de psychologue dans un hôpital psychiatrique et a animé pendant onze ans un atelier d'écriture et de lecture poétiques. Crée des spectacles poésie-musique.

BIBLIOGRAPHIE :

A publié une trentaine de livres dont Initiales (Voix d’encre, Prix Artaud 2000), Creusement de Cronce et Des Ailes (Voix d’encre), Éphéméride et Mille grues de papier (Flammarion), Où qu’on va après ? (Cadex), Pluie et neige sur Cronce, Miracle et Ton nom c’était Marie-Joséphine, mais on t’appelait Suzon (Les Lieux dits), C’est où Poezi ? et Ferroviaires (Henry). Le plus récent : Cathédrale (Petra, collection Pierres écrites/L’oiseau des runes, juin 2019.

SITE : chantal.dupuy-dunier.fr

 

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Chantal Dupuy-Dunier, bâtisseuse de cathédrales

Chantal Dupuy-Dunier, auteure d'une trentaine de recueils,   dont Initiales (éditions Voix d'encre)  qui lui avait valu le prix Artaud en 2000,  publie un nouveau recueil, l'impressionnant Cathédrales, aux éditions Petra. Elle y retrace, [...]

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REGARD SUR LA POÉSIE « NATIVE AMERICAN » : William D’Arcy McNickle, père de la litérature amérindienne contemporaine

L’histoire commence au Canada, chez les Indiens Cree et les Indiens métis constitués en peuple, unis autour de Louis Riel, métis lui aussi,  qui voulait pour eux un état Indien démocratique indépendant de la couronne d’Angleterre et du gouvernement Canadien (territoire faisant partie de ce qui est aujourd’hui l’état du Saskatchewan). Les ancêtres de D’Arcy McNickle, du côté maternel, membres de la famille Parenteau installés dans une « ferme » à Batoche, avaient joué un rôle non négligeable dans la rébellion.

Le grand-père de William, Isidore Parenteau, avait parcouru des centaines de miles en raquettes pour aller chercher des renforts et des alliés chez les Indiens Sioux Assiniboines. Le soulèvement des métis de Louis Riel ayant échoué, la répression des autorités devenant menaçante, Louis Riel ayant été condamné à mort, la mère Cree de William D’Arcy McKnickle (Philomène Parenteau) était venue, en 1885, se réfugier avec d’autres Indiens Métis, parmi les Indiens Salish Kootenai  dans l’état du Montana aux USA. William naquit le 14 janvier 1904, d’un père d’origine irlandaise. Adopté en tant que membre de la nation Salish Kootenai et inscrit comme membre de la réserve Flathead de St-Ignatius, c’est sur cette réserve qu’il a grandi.

The Surrounded, de D'Arcy McNickle

Puis il a poursuivi ses études dans des écoles missionnaires et des internats à l’extérieur de la réserve avant d’aller, à 17 ans, étudier à l’université du Montana où il obtint un diplôme, en plus de consolider son amour des langues, y compris grec et latin. Il aimait déjà écrire. Pour continuer ses études supérieures, il vendit la parcelle de terre qui lui était allouée sur la réserve et partit pour l'Europe.
À l’université d’ Oxford, il compléta sa formation, il fréquenta aussi l’université de Grenoble. Rentré aux USA, il vécut et travailla un temps à New-York. En 1936 il publia son premier roman, « Les entourés » (The Surrounded ) qui est considéré comme le premier roman littéraire de la résistance amérindienne. Cette même année, il  obtint un poste d’assistant d’administration au bureau des affaires Indiennes. Il déménagea alors à Washington et travailla sous la direction de John Collier, commissaire aux affaires Indiennes qui voyait d’un bon œil l’autonomie gouvernementale des tribus Indiennes. C’est en poursuivant ce travail au BIA que D’Arcy McKnickle développa une connaissance fine des politiques menées envers les populations Indiennes et qu’il comprendra les enjeux de résister, de s’unir. N’étant pas d’accord avec le gouvernement fédéral qui veut délocaliser les Indiens des réserves vers les villes, entraînant alors un morcellement des réserves et une perte de territoire, D’Arcy McNickle démissionnera du BIA.  Il aidera à fonder le Congrès national des Indiens d’Amérique en 1944. Et il commencera à publier, en plus des romans, poèmes et nouvelles, des ouvrages historiques, des ouvrages expliquant le fonctionnement des cultures et des politiques gouvernementales des Amérindiens. Il fut actif aux côtés des organisations Indiennes qui commençaient à vouloir obtenir des droits civiques et qui se constituaient en représentants d’un groupe ethnique. En 1952 William D’Arcy McNickle fut nommé directeur de l’American Indian development , Inc., faisant partie de l’université du Colorado à Boulder. En 1961, il jouera un rôle déterminant dans la rédaction de la « Déclaration du but Indien » qui fut rendue publique et diffusée lors de la conférence amérindienne de Chicago. Il déménagea ensuite dans l’état du Saskatchewan au Canada, embauché à l’université de Régina, où il développa un nouveau département d’anthropologie. En 1963, D’Arcy McKnickle reçut une bourse Guggenheim et devint donc un « Guggenheim fellow », il est le premier Indien métis à avoir reçu cet honneur. Il a par ailleurs siégé à la Commission des droits civiques des États-Unis et a travaillé sur des ateliers de leadership pour les étudiants autochtones.

En 1972, il contribua à la création du centre pour l’histoire des Indiens d’Amérique à la célèbre bibliothèque Newberry de Chicago. Ce centre porte toujours son nom. La bibliothèque de l’université Salish Kootenai sur la réserve Indienne de Flathead dans le Montana porte également son nom.

Dans son poème Man Hesitates but Life Urges, William D’Arcy McNickle exprime le sentiment de perte, de nostalgie. Perte d’identité, perte de repères, perte du sentiment de réalité, désorientation : c’est n’avoir plus de pays, voir le territoire s’évanouir, devoir fuir, mais aussi savoir que la vie est là qui n’attend pas. Et pourtant elle offre toujours cette même expérience puisque le monde pour les Indiens d’Amérique a radicalement changé et que rien ne leur permet de s’y trouver accueillis, acceptés, ainsi leur quête se poursuit interminablement, faisant d’eux des sortes de fantômes errant sur une terre avec laquelle il est désormais difficile de se connecter. Ce poème a été publié pour la première fois dans la revue The Frontier (vol. 6, en mars 1926). Jennifer Elise Foerster (poète, membre de la nation Indienne Muskogee), lors d'une lecture et d'une réunion autour du livre When the Light of the World Was Subdued, Our Songs Came Through: A Norton Anthology of Native Nations Poetry (W. W. Norton, 2020), réunion organisée par l'Institute for Inquiry and Poetics, au Poetry Center de l’université d’Arizona, a qualifié le poème de : « exemple de la liminalité du langage et de la façon dont le langage peut nous ramener à un sentiment de patrie en tant que lieu intermédiaire », ajoutant que le pays ayant subi nombre de violences en termes d’environnement et de suppression des langues, « la poétique, je crois, peut devenir un moyen de recartographier. [. . .] Dans le poème de D’Arcy McNickle, nous pouvons voir le poème embrasser le fait de ne pas savoir, d’être perdu, mais de trouver une patrie intérieure, dans le voyage même de la recherche. » (pour en savoir plus sur Jennifer Foerster : https://www.recoursaupoeme.fr/un-regard-sur-la-poesie-native-american-16-la-poesie-de-jennifer-elise-foerster/)

 

Man Hesitates but Life Urges

There is this shifting, endless film
And I have followed it down the valleys
And over the hills,—
Pointing with wavering finger
When it disappeared in purple forest-patches
With its ruffle and wave to the slightest-breathing wind-God.

There is this film
Seen suddenly, far off,
When the sun, walking to his setting,
Turns back for a last look,
And out there on the far, far prairie
A lonely drowsing cabin catches and holds a glint,
For one how endless moment,
In a staring window the fire and song of the martyrs!

There is this film
That has passed to my fingers
And I have trembled,
Afraid to touch.

And in the eyes of one
Who had wanted to give what I had asked
But hesitated—tried—and then
Came with a weary, aged, “Not quite,”
I could but see that single realmless point of time,
All that is sad, and tired, and old—
And endless, shifting film.

And I went again
Down the valleys and over the hills,
Pointing with wavering finger,
Ever reaching to touch, trembling,
Ever fearful to touch.

 

L’homme hésite mais la vie le presse

Il y a ce film interminable et changeant
Que j'ai suivi au long des vallées
Et par-dessus les collines,—
Un doigt hésitant pointé
Quand il a disparu fondu dans les zones de forêt violettes
En une ondulation de vague au moindre dieu-vent qui respire.

Il y a ce film
Vu soudain, au loin,
Quand le soleil, marchant vers son coucher,
Se retourne pour un dernier regard,
Et là-bas, dans la très lointaine prairie
Une cabane solitaire endormie capte et retient une lueur,
Pendant un moment d’éternité,
Dans une fenêtre qui regarde, le feu et le chant des martyrs !

Il y a ce film
Qui est passé entre mes doigts
Et j'ai tremblé,
Effrayé de toucher.

Et aux yeux d'un
Qui avait voulu donner ce que j'avais demandé
Mais qui avait hésité—essayé, et puis
Avait conclu par un "Pas tout à fait" âgé et fatigué,
Je ne pouvais que voir ce seul moment détrôné,
Tout ce qui est triste, fatigué et vieux—
un film interminable et changeant.

Et j'y suis retourné
Au long des vallées et sur les collines,
Pointant d'un doigt hésitant,
Toujours essayant de toucher, tremblant,
Toujours effrayé de toucher.

Le poème The Mountains, Les Montagnes,  est apparu pour la première fois dans The Frontier : A Literary Magazine,(vol. 5, en mai 1925). Dans « American Indian Poetry at the Dawn of Modernism » (Poésie amérindienne à l’aube du modernisme), article publié dans  The Oxford Handbook of Modern and Contemporary American Poetry, (Oxford University Press, 2012), Robert Dale Parker, professeur d'études anglaises et amérindiennes à l'Université de l'Illinois, écrit : « Les Montagnes de D'arcy McNickle ne font aucune référence directe à quoi que ce soit d'Indien, mais les lecteurs de son grand roman The Surrounded (Harcourt, Brace and Company, 1936) reconnaîtront le décor montagneux du roman. Ils se rappelleront également comment, pour les personnages salishs de The Surrounded, les scènes de montagne résonnent avec la mémoire et la tradition salish et avec le sentiment d'espoirs persistants, mais finalement déçus, d'un refuge possible contre les colons blancs agressifs et les fonctionnaires fédéraux. En ce sens, un contexte plus large issu des écrits de McNickle contribue à alimenter les significations localement indiennes du paysage montagneux de son poème ».

THE MOUNTAINS

There is snow, now—
A thing of silent creeping—
And day is strange half-night . . .
And the mountains have gone, softly murmuring something . . .

And I remember pale days, 
Pale as the half-night . . . and as strange and sad.

I remember times in this room
When but to glance thru an opened window
Was to be filled with an ageless crying wonder:
The grand slope of the meadows,
The green rising of the hills,
And then far-away slumbering mountains—
Dark, fearful, old—
Older than old, rusted, crumbling rock,
Those mountains . . .
But sometimes came a strange thing
And theirs was the youth of a cloudlet flying,
Sunwise, flashing . . .

                  And such is the wisdom of the mountains!
                  Knowing it nothing to be old,
                  And nothing to be young!

There is snow, now—
A silent creeping . . .

And I have walked into the mountains,
Into canyons that gave back my laughter,
And the lover-girl’s laughter . . .
And at dark,
When our skin twinged to the night-wind,
Built us a great marvelous fire
And sat in quiet,
Carefully sipping at scorching coffee . . .

But when a coyote gave to the night
A wail of all the bleeding sorrow,
All the dismal, grey-eyed pain
That those slumbering mountains had ever known—
Crept close to each other
And close to the fire—
Listening—
Then hastily doused the fire
And fled (giving many excuses)
With tightly-clasping hands.

Snow, snow, snow—
A thing of silent creeping

And once,
On a night of screaming chill,
I went to climb a mountain’s cold, cold body
With a boy whose eyes had the ancient look of the mountains,
And whose heart the swinging dance of a laughter-child . . .
Our thighs ached
And lungs were fired with frost and heaving breath—
The long, long slope—
A wind mad and raging . . .
Then—the top!

                  There should have been . . . something . . .
                  But there was silence, only—
                  Quiet after the wind’s frenzy,
                  Quiet after all frenzy—
                  And more mountains,
                  Endlessly into the night . . .

                  And such is the wisdom of mountains!
                  Knowing how great is silence,
                  How nothing is greater than silence!

And so they are gone, now,
And they murmured something as they went—
Something in the strange half-night . . .

LES MONTAGNES

Il y a de la neige à présent—
Une chose qui rampe silencieusement—
Et le jour est une étrange demi-nuit. . .
Et les montagnes sont parties, murmurant doucement quelque chose. . .

Et je me souviens des jours pâles,
Pâles comme la demi-nuit. . .  également étranges et tristes.

Je me souviens des moments passés dans cette pièce
Quand, à jeter un coup d'œil à travers une fenêtre ouverte
elle se remplissait d'une merveille éplorée sans âge :
La grande pente des prés,
La montée verte des collines,
Et puis au loin, des montagnes endormies—
Sombres, craintives, vieilles—
plus vieilles qu’un vieux rocher rouillé s’émiettant,
Ces montagnes. . .
Mais parfois il arrivait une chose étrange
leur jeunesse était alors celle d’un petit nuage qui volait,
Côté soleil, clignotant. . .

                   Et telle est la sagesse des montagnes !
                   Ne sachant rien d'être vieux,
                  ni rien d’être jeune !

Il y a de la neige, maintenant—
Un rampant silencieux. . .

Et j'ai marché dans les montagnes,
Dans des canyons qui m'ont rendu mon rire,
Et le rire de l’amante. . .
Et à la tombée de la nuit,
Quand notre peau se crispait sous le vent de la nuit,
Elle nous faisait un grand feu merveilleux
Et je me suis assis tranquillement,
En sirotant soigneusement un café brûlant. . .

Mais quand un coyote a offert à la nuit
Un gémissement fait de tout le chagrin sanglant,
Toute la douleur lugubre aux yeux gris
Que ces montagnes endormies avaient toujours sues—
A rampé près de chacun de nous
Et près du feu—
À l’écoute—
Puis à la hâte j'ai éteint le feu
Et les poings serrés
je me suis enfui (donnant de nombreuses excuses).
Neige, neige, neige—
Une chose qui rampe silencieusement

Et une fois,
Par une nuit de froid hurlant,
Je suis parti escalader le corps froid si froid d'une montagne
Avec un garçon dont les yeux avaient l'aspect ancien des montagnes,
Et dont le cœur est la danse balancée d'un enfant qui rit. . .
Nos cuisses nous faisaient mal
Et nos poumons étaient enflammés de givre et d'haleine haletante—
La longue, longue pente—
Un vent fou et rageur. . .
Alors—le sommet !
                   Il aurait dû y avoir . . . quelque chose . . .
                   Mais il y eut seulement le silence—
                   Calme après la frénésie du vent,
                   Calme après toute frénésie—
                   Et encore plus de montagnes,
                   Sans fin dans la nuit. . .

                   Telle est la sagesse des montagnes !
                  Sachant combien est grand le silence,
                  Comme rien n'est plus grand que le silence !

Et donc ils sont partis, désormais,
Ils murmuraient quelque chose en marchant—
Quelque chose dans l'étrange demi-nuit. . .

Si les montagnes décrites dans le poème sont celles de son enfance sur la réserve Salish, si The Surrounded est un roman autobiographique, alors il faut imaginer l’auteur, métis qui ne trouve pas de « chez lui », ni dans les pensionnats, ni sur la réserve une fois revenu après ses études ; pas d’autre « chez lui » que dans l’écriture. Il faut comprendre la vie de William D’Arcy McNickle comme celle d’un homme luttant pour vivre, « entouré »,  ou bien comme assiégé, prisonnier entre deux mondes irréconciliables. Mais malgré cette ombre terrible portée sur sa vie, elle fut un exemple à suivre dont d’autres auteurs et poètes amérindiens s’inspireront. Il a laissé la mémoire du premier universitaire à écrire et à témoigner depuis le point de vue Indien. Et jusqu’au prix Pulitzer obtenu par le Kiowa Norman Scott Momaday en 1969, aucun autre écrivain Indien n’avait encore eu un impact aussi important que William D’Arcy McNickle.

  

Je laisserai le mot de la conclusion au poète et romancier Choctaw Louis Owens, spécialiste des nations Chocktaw et Cherokee, pour qui le roman The Surrounded a contribué au lancement d'un mouvement littéraire autochtone comparable au renouveau de la culture afro-américaine entre les deux guerres mondiales, mouvement appelé Renaissance de Harlem. De même un tournant s’opère dans la littérature autochtone américaine grâce au roman et à la vie de D’Arcy McNickle, vie dédiée à la reconnaissance et à l’amélioration des conditions de vie des amérindiens en Amérique.   

Présentation de l’auteur

D’Arcy McNickle

William D'Arcy McNickle (14 janvier 1904 - 10 octobre 1977) (Salish Kootenai) était un écrivain, un militant amérindien, un professeur d'université, un administrateur et un anthropologue. D'origine irlandaise et métis, il s'inscrit plus tard dans la nation Salish Kootenai, sa mère étant venue dans le Montana avec les Métis en tant que réfugiée. Il est également connu pour son roman The Surrounded.

Bibliographie

Fiction

L'encerclement (1936)
Le coureur au soleil : A Story of Indian Maize (1954), roman pour jeunes adultes
Le vent d'un ciel ennemi (1978)
Le faucon a faim et autres histoires (1992)

Ouvrages non romanesques

Ils sont arrivés les premiers : l'épopée de l'Inde américaine (1949, édition révisée en 1975)
L'Indien dans la société américaine (pour le Congrès national des Indiens d'Amérique, 1955)
Indiens et autres Américains : Deux modes de vie se rencontrent (1959)
Un Homme indien : Une vie d'Oliver La Farge (1971)
Tribalisme amérindien : Survivances et renouvellements indiens (1973)
Un examen historique des relations entre le gouvernement fédéral et les Indiens (Commission d'examen de la politique à l'égard des Indiens d'Amérique, 1975)

Poèmes choisis

Autres lectures




Andrea Moorhead, IMAGES PERDUES

Comment parler à la Terre, évoque sa lutte contre la diminution, le déchirement, la disparition qui rendront toute vie méconnaissable ? Nous glissons vers les trous noirs des désastres planétaires dont il n'y a aucune certitude de continuation. Dans ces cinq poèmes je parle à la Terre, ma sœur, ma compagne, mon autre, miroir et reflet, mirage et mystère insondable. Toutes les légendes de naissance et de perte, de douleur et de joie se confondent dans notre échange. Nous sommes de la même matière, de la même nuit, de la même aube. Notre sang se fait parole et silence, attente et affirmation.

Tentations ou Images perdues

 Le velours de tes mots, le sang qui te couvre

comme une neige rouge sans fin

des flocons le long de tes bras

ton ventre rose en fleurs,

quand je te parle tu ne bouges pas

tu respires la lune et la poussière des étoiles

perdue sous la blancheur sans limites

tes voyages s’accélèrent

tes paupières lisses ne répondent

qu’à la douceur de l’aube

et la présence d’un hiver éternel.

∗∗∗

La topaze de ton cœur si fragile

brille parmi la paille et la cendre

elle absorbe les rayons du soleil

mêlant sang et hydrogène

et le son de ton nom

si délicatement prononcé

au soir de ta mort

lentement doucement

presque sans respirer.

∗∗∗

Un feu au centre des pierres

des cicatrices, des fuites

dans la mémoire

de nos conversations,

la peau ne connaît que la surface

de la parole, le frémissement

entre les mots,

flammes vertes de mémoire

flammes d’acier et de charbon

au moment où tu entres dans le feu

encore crépitant

les braises collées aux lèvres.

∗∗∗

Leur lumière de pierre et d'oxygène

 Visage qui tremble en regardant

ce qui n'est plus

ce qui frétille dans l'eau,

visage qui se détourne

en sentant le feu des nuages

le frémissement de ta voix

quand tu sors des ténèbres

un bâton de neige et de glace

entre tes mains,

des flammes des dents des pas

leur lumière de pierre et d'oxygène

heurte contre ma poitrine

quand j'essaie de comprendre

ce qui n'est plus

ce qui se noie sans tourment.

∗∗∗

L'hydrogène de ton sang

Tu passes à travers

les parois poreuses,

tu ne connais que les mots invisibles

des mourants et des nouveau-nés

des tripes et des veines soyeuses,

tu passes par les flammes de certains métaux

aux risques de perdre ta connectivité

ton lien précieux avec l'oxygène

léger et incolore

comme la conscience éblouie

au seuil de la naissance.

 

 

 

Présentation de l’auteur

Andrea Moorhead

Andrea Moorhead est directrice de la revue internationale Osiris qui vient de célébrer cinquante ans de poésie. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes dont Présence de la terre aux Écrits des Forges, À l’ombre de ta voix aux Éditions du Noroît, Fukushima Dreams au Finishing Line Press et Tracing the Distance au Bitter Oleander Press. Photographe amatrice et naturaliste passionnée, elle a fait paraître ses photographies dans de nombreux livres à Anterem Edizioni en Italie ainsi que dans les revues littéraires Ce qui reste, Possibles et The January Review.

 

© photo Isabelle Poinloup

Bibliographie

En anglais :

Iris, 1970, poems, privately printed
Morganstall, 1971, poems, Fiddlehead Poetry Books, New Brunswick, Canada
Black Rain, 1975, poems, privately printed
The Snows of Troy, 1988, poems, Osiris
Winter Light, 1994, prose, Oasis Books, London, England
From A Grove Of Aspen, 1997, poems, University of Salzburg Press
The Open Gate: Four Deerfield Poets, 1999, anthology, pages 109-139, Deerfield Academy Press
Deerfield 1797-1997: A Pictorial History of the Academy, 1997, with Robert Moorhead, Deerfield
Academy Press
The Hearth, 2003, prose, Deerfield Academy Press
The Carver’s Dream, poems, 2018, Red Dragonfly Press
Tracing the Distance, poems, 2022, The Bitter Oleander Press
Fukushima Dreams, poems, 2022, Finishing Line Press
The Magician's Tales, poems, forthcoming 2024, MadHat Press
En français :
Entre nous la neige, correspondance québécaméricaine, 1986, Les Écrits des Forges, Québec
Niagara, 1988, poèmes, Écrits des Forges, Québec
Le silence nous entoure, 1991, poèmes, Écrits des Forges
La blancheur absolue, 1995, poèmes, Écrits des Forges/Autres Temps, Québec/France
Le vert est fragile, 1999, poèmes, Écrits des Forges/Autres Temps
Présence de la terre, 2004, poèmes, Écrits des Forges
La déchirure des mots: poèmes choisis de Jean Chapdelaine Gagnon, 2007, Éditions du Noroît
De loin, 2010, poèmes, Éditions du Noroît
Terres de mémoire, 2012, poèmes, Éditions de l'Atlantique
Sans miroir, 2013, poèmes, Encres Vives
Géocide, 2013, poèmes, Éditions du Noroît
À l’ombre de ta voix, 2017, poèmes, Éditions du Noroît

 

Traductions :

The Edges of Light, selected poems of Hélène Dorion, 1995, Guernica Editions, Toronto
The Caverns of History, poetic suite by Hélène Dorion, 1996, Éditions en Forêt/Verlag Im Wald,
Germany
Do Not Disclose This Word, poetic suite by Jean Chapdelaine Gagnon, 1997, Spectacular Diseases,
England
Updates, poems by Françoise Han, 1999, 10 folios, 3-lingual, Éditions en Forêt/ Verlag Im Wald
Bridges, Dust, poetic suite by Hélène Dorion, 2000, Éditions en Forêt/Verlag Im Wald
Night Watch, poetic suite by Abderrahmane Djelfaoui, Red Dragonfly Press, 2009
Stone Dream, poems by Madeleine Gagnon, Guernica Editions, Toronto, Canada, 2010
Dark Menagerie, poems by Élise Turcotte, Guernica Editions, Toronto, Canada, 2013
The Red Bird, poems by Marie-Christine Masset, Oxybia Éditions, Grasse, France, 2020




Urszula Honek : Hivernage

Traduit du polonais par Michał Grabowski avec la collaboration précieuse de Nicolas Bragard

 

Urszula Honek débute en poésie à l’âge de 28 ans lorsqu’elle présente le recueil Sporysz (« l’ergot », 2015). Sorti en 2021, Zimowanie (« Hivernage ») dont proviennent les poèmes présentés ci-après est son troisième ouvrage et aura valu à la jeune poétesse originaire de la région des Carpates polonaises le prix Bourse Stanislaw Baranczak et deux autres nominations pour des prix poétiques en Pologne (Orphée et Gdynia).

Le style poétique d’Urszula Honek la place en marge des tendances actuelles dans la poésie contemporaine. L’autrice renoue avec l’esthétique romantique, tout en adoptant un registre très sobre, presque dépourvu de figures de style. Elle place au centre de son intérêt poétique une collection d’histoires avec des personnages qui lui sont familiers, limitant son rôle à celui d’une tendre observatrice, pour paraphraser Olga Tokarczuk, sa compatriote nobélisée. Elle n’est cependant pas tentée de créer des romans-poèmes comme l’ont fait avec succès Laura Vazquez ou Marie Testu. Honek propose plutôt des miniatures narratives composées d’images incomplètes, recousues et à nouveau déchirées, accrochées aux détails insignifiants qui font revivre les souvenirs.

Urszula Honek, Ami, Przyjaciółka, extrait du recueil  Zimowanie.

La référence à l’esprit romantique passe par une aura de mystère omniprésent. Celui-ci se décline à travers les éléments de la trame narrative (« j’essaie de me rappeler son visage ou sa manière / de prononcer mon nom (sz sonnait comment dans sa bouche, déjà ? »), dans la frontière floue entre le ici et le là-bas (temporels, spatiaux, réels ou non : « je me réveille avant l’aube et je ne sais toujours pas / si je suis ici ou là-bas »), ou encore dans la référence à la mort qui revient sans cesse et se mêle à l’histoire (« on a retrouvé le petit garçon des P. dans un silo à grains » ; « le dimanche, nous allions nous promener là-haut. à droite, / le cimetière » ; « les cheveux d’Eleonora ont pris feu en premier »). La mort, par ailleurs, ne touche pas uniquement les humains mais s’étend à une maison à qui on coupe l’eau comme on couperait l’oxygène. Elle envoie des animaux comme messagers (des chiens apportant des jouets au moment du sommeil dans le souvenir de l’autrice, ou des renards dans un autre poème de ce recueil, non traduit dans cette sélection). Nous sommes au cœur d’un conte fantastique. Le rythme des poèmes n’est pour autant guère tumultueux. Honek propose une ambiance apaisée, muséale et douce, pour appuyer une fois encore le fait que les souvenirs de son village natal qu’elle tente de sauver de l’oubli font partie d’un passé révolu auquel l’accès n’est possible que par l’exercice de l’écriture.

Prix Conrad 2023, Urszula Honek. La cérémonie de remise du prix de la meilleure première œuvre en prose a clôturé le 15e festival Conrad. La statuette a été remise à Urszula Honek, pour White Nights. (Maison d'édition Czarne).

La poétique d’Urszula Honek se trouve aux antipodes d’une poésie herméneutique, au point où la simplicité des phrases et l’économie des moyens employés interrogent. Sommes-nous toujours dans la poésie, ou s’agit-il déjà d’une prose stylisée ?

Plus que de répondre à cette question, il semble intéressant de souligner quelques éléments supplémentaires. Le rythme de la phrase est précis, lent, comme dans Dead man de Jim Jarmusch, et le décor utilisé par la poétesse reste très chargé.

Le choix de la forme n’est pas anodin non plus. Parallèlement au développement de Hivernage, Honek écrivait des micro-récits, compilés en 2023 sous le titre de Białe noce (les nuits blanches) et qui développent certains thèmes de son recueil sous une forme nouvelle. Dans cette optique, Hivernage n’est pas une publication d’esquisses mais un format réfléchi qui permet de présenter certains aspects dans leur volatilité, dans leur caractère éphémère.

C’est une poésie vue comme une mise à l’épreuve, comme l’avance le chercheur en littérature Oskar Czapiewski en déclarant que « la lecture de son recueil est un test de tendresse et d’empathie plus qu’un test d’érudition ou d’orientation dans la littérature contemporaine ». Urszula Honek elle-même revendique sa poésie comme « compréhensible pour tout le monde, autant pour les universitaires que pour le maire ou le curé de [son] village de naissance ».

Urszula Honek sur la poésie dans la forêt.

uciekinierzy

chłopca od P. zasypało w silosie zboże.
próbuję przypomnieć sobie jego twarz albo sposób,
w jaki wymawiał moje imię (jak brzmiało w jego ustach sz?).
tak samo, jak próbuję przypomnieć sobie twarz Janka
i Mirka, których nie ma, a z którymi podpalam puszki z
karbidem i kruszę lód na zamarazniętym stawie.

les fugitifs

on a retrouvé le petit garçon des P. dans un silo à grains.
j’essaie de me rappeler son visage ou sa manière
de prononcer mon nom (sz sonnait comment dans sa bouche, déjà ?).
j’essaie aussi de me rappeler les visages de Janek
et Mirek qui ne sont plus là, mais avec qui je fais toujours
sauter des pétards et casse la glace sur l’étang gelé.

z oddali

w niedzielę chodziliśmy na spacer w górę, po prawej
był cmentarz. w marcu zawsze brakowało słońca, zniszczone kwiaty i
przewrócone znicze zbierali grabarze, rozmawialiśmy tylko o szczęściu, ale
gdyby przysłuchać się naszym rozmowom, mogłoby się wydawać,
że są o czymś innym.

psy niosły w pyskach zepsute zabawki: gumowe maskotki i piłki wyprute z powietrza. sierść jeżyła się od mrozu albo podniecenia,
choć po latach trudno rozpoznać, co bardziej kłuło w serce.

od czasu do czasu budzę się nad ranem i ciągle nie wiem:
jestem tam czy tu.

de loin

le dimanche, nous allions nous promener là-haut. à droite, 
le cimetière. en mars, il faisait toujours gris. les fossoyeurs ramassaient 
les fleurs délavées et les bougies renversées. nous parlions du bonheur mais,
à nous écouter, on aurait pensé
que nous parlions d’autre chose.

les chiens avaient dans la gueule des jouets en caoutchouc cassés et des ballons éventrés. leur poil se hérissait, de froid ou d’excitation : 
après des années, il est difficile de retrouver la vraie cause de cet émoi.

de temps à autre, je me réveille avant l’aube et je ne sais toujours pas
si je suis ici ou là-bas.

letnicy

co sobotę chodziłyśmy z Marią do państwa L.
w suterenach pachniało kwaśnym mlekiem i szarym mydłem.
Maria liczyła w kącie drobne i chowała do reklamówki
zawinięty w pieluchę ser. teraz dzieci państwa L. przyjeżdżają
tu tylko na wakacje. dom ocieplono z zewnątrz i ktoś regularnie
strzyże trawnik. na zimę zakręca dopływ wody.

les vacanciers

avec Maria, on allait chez les L. tous les samedis.
leur sous-sol sentait le lait fermenté et le savon noir.
dans son coin, Maria comptait sa monnaie puis cachait dans un sac 
le fromage emballé dans du linge. aujourd’hui, les enfants des L. ne viennent
que pour les vacances d’été. on a refait l’isolation de la maison et quelqu’un
tond régulièrement. l’hiver, on coupe l’alimentation en eau.

Eleonora

musiała być piękna.
wyobrażam sobie, jak trzyma sztućce i
w jaki sposób patrzy na mężczyznę, którego kocha.
w sierpniowy dzień kołysze śpiące niemowlę.
nie może doczekać się wieczora. spadł drobny deszcz
i zamknęła okna. burza nadciągała od zachodu.
pies obszczekiwał każdy grzmot.
łuna ognia rozświetliła całą dolinę.

Eleonorze najpierw zapaliły się włosy.

Eleonora

devait être jolie.
je l’imagine tenir ses couverts et
regarder à sa manière l’homme qu’elle aimait.
bercer la petite endormie un jour du mois d’août.
s’impatienter en attendant le soir. une pluie fine est tombée
et elle a fermé les fenêtres. la tempête venait de l’ouest.
le chien aboyait à chaque coup de tonnerre.
un halo orangé illuminait toute la vallée.

les cheveux d’Eleonora ont pris feu en premier.

Helenka

śpi w upalne sierpniowe popołudnie.
obok kołyski kot bawi się młodą martwą myszą.
jest tak cicho, że słychać jego zadowolone pomrukiwanie
i uderzanie łapą w deski podłogi.
dziewczynce śni się malinowy ogród i buczenie owadów,
które ją przebudza.
kot drapie w zamknięte drzwi, gdy ogień zwala strop.

La petite Hélène

sommeille un après-midi étouffant du mois d’août.
près du berceau, le chat joue avec une jeune souris morte.
le silence est tel qu’on entend ses ronronnements satisfaits
et les battements de sa patte contre le plancher.
la fillette rêve d’un jardin, de framboisiers et du bourdonnement des insectes
qui la réveille.
le chat griffe la porte fermée au moment où les poutres tombent sous les flammes.

Source : Urszula Honek, Zimowanie (fr. hivernage), éditions WBPiCAK, Poznań 2021. 

Remerciements à l’autrice pour son accord gracieux à la publication.

Urszula Honek - Effraie

Bibliographie pour l’article

Wojciech Bonowicz, Moi, mistrzowie: Urszula Honek, [dans :] Miesięcznik Znak, en ligne, mars 2022.

Oskar Czapniewski, Śmierć w kalejdoskopie, en ligne, août 2022.

Michał Pabian, Czy jeszcze żywe światy?, en ligne, octobre 2021.

 




Sandra Santos, Du Portugal au Brésil… En silence

uma aldeia por entre a névoa
da madrugada
a luz do poste elétrico
fundida
diante da paisagem
repouso o meu peito
espreitando à janela
as figurações
dum quase morte em chama
do que ainda tem pulsação
à procura do que é seu
ou dum
alguém
(difuso
etéreo)
só pó
só recordação

un hameau dans la brume
à l’aurore
la lumière du poteau électrique
en fusion
dans le paysage
j’apaise ma poitrine
penchée à la fenêtre
la figuration
d’une quasi-mort en flammes
où bat encore une pulsation
à la recherche de ce qui est soi
ou d’un ailleurs
(diffus
éthéré)
à peine poussière
à peine souvenir

∗∗

luzinhas brilham intermitentes na noite
sinalizam a solidão
dessa aldeia pessoal e intransferível
quantos milénios foram precisos
para acharmos o nosso lugar
o pedaço de terra que é nosso por inteiro?

habitamos uma casa
com grandes sacadas
para outras casas

les clartés clignotent dans la nuit
égrenant la solitude
de ce hameau personnel et intransmissible
combien de millénaires furent nécessaires
pour rencontrer notre place
le morceau de terre qui est nôtre en intégralité
c’est là
que nous habitons une demeure
aux vastes balcons
ouverts sur d’autres demeures

∗∗

 

há morte muita morte
nos gestos
no ventre
na fundura
que não alcanço
porque me detenho dobrada
sobre a infância
todos os dias
rememoro o estio
combatemos sempre
donde desertámos
o corpo é o caudal
nas minhas mãos
as fissuras

il y a abondance de mort
dans les gestes
dans le ventre
dans l’abîme
auquel je n’accède pas
parce que je me fige repliée
sur l’enfance
chaque jour
je me remémore l’été
nous combattons toujours
là où nous désertons
le corps est le torrent
dans mes mains
les crevasses

∗∗

 

ousara ser simples
como o vento
que passa pela árvore
e a agita suavemente
insondável é
o movimento dela
adentrando no real
talvez eu habite
no interior do tronco
e me vá alteando
sem ciência
e assista ao baile de duas vespas
ao acasalamento de dois pirilampos
à maternidade do ninho
à multitude da cor
ao voo sem retorno
à beleza
por si só

osera-t-elle être simple
comme le vent
qui caresse l’arbre
insondable demeure
son mouvement
s’incrustant dans le réel
peut-être habité-je
au cœur du tronc
et vais-je me hissant
pauvre de science
et assisté-je au bal de deux guêpes
aux noces de deux vers luisants
à la maternité du nid
à la pluralité de la couleur
au vol sans retour
à la beauté pour elle-même

∗∗

volta um pensamento de amor
ao coração cansado
num corpo que não recorda
a sua eternidade
o homem que sonha
extravasa as costuras
resvala sobre outro corpo
sutura e perscruta
é o vento
caminha até à fé
e cimenta a beleza,
volta um pensamento de amor
que fixa sobre o cume
o nome que damos às coisas
sombrio e intocável
à margem do que suspeitamos
ser ainda mais belo

ressurgit une pensée d’amour
dans le cœur épuisé
qui a oublié
son éternité
l’homme qui rêve
déchire ses coutures
dévale sur un autre corps
suture et scrute
il est le vent
il marche dans la foi
et cimente la beauté,
ressurgit une pensée d’amour
qui projette à la cime
le nom que nous donnons aux choses
sombre et intouchable
en marge de ce que nous suspectons
être encore plus beau

∗∗

 

os corpos se atraem
antes de qualquer sabedoria
os sentidos se apuram
para a grande madrugada
mas a mente trai
e o medo trucida
todo e qualquer pensamento de amor
somos menores
não nos atrevemos
perante o precipício
as máscaras não nos permitem voar

les corps s’attirent
précédant toute sagesse
les sens s’apurent
pour la grande aurore
mais l’esprit trahit
et la peur assassine
toute et chacune pensée d’amour
nous sommes mineurs
et n’osons défier
le précipice
les masques nous empêchent de voler

∗∗

 

a vénus faz dançar as labaredas
sobre o corpo amado
a vénus faz reverberar as ervas
e espraiar o espanto
a vénus faz parecer simples
amar
a vénus funda uma alegoria
de vida após vida
– o que pode uma vénus
rodeada pelo (próprio) fogo?
ninguém sabe
mas o desejo sempre inventa
um porto
onde ancoram muito barcos
milhares de almas

Vénus fait danser les flammes
sur son corps aimé
Vénus fait réverbérer les herbes et répandre l’horreur
Vénus fait croire qu’il est facile
d’aimer
Vénus fonde une allégorie
de la vie après la vie
– mais que peut une Vénus
encerclée par le feu même?
personne ne le sait
mais le désir toujours invente
un port
où ancrer nombre vaisseaux
des milliers d’âmes

∗∗

os pés pisam a erva
e o meu olhar se espraia
num tempo dobrando o tempo
sou uma criança que perscruta
a pulsação do ínfimo
agrego-me multiplico-me
à agitação dos animais e das crianças
caio de amores pelo indivisível
aproprio-me da fragância das flores
e parto em busca do vento
que me traga de novo
a esta imagem
que eu sei de cor

les pieds foulent l’herbe
et mon regard s’éparpille
dans un temps pliant le temps
je suis une enfant qui scrute
la pulsation de l’infime
je m’agrège me multiplie
dans la turbulence des animaux et des enfants
je meurs d’amour pour l’indicible
je m’approprie la fragrance des fleurs
et pars en quête du vent
qui m’offre à nouveau
cette image
que je sais par cœur

∗∗

o azul das tardes
remonta ao oriente
dum pensamento
sou toda escuta e visão
a minha cabeça é um cosmos
dos olhos escorrem-me
possíveis sinais de infinito
não quero ser excelsa
mas transbordam em mim
as cores que ainda não vemos
ainda assim pressentimos
estou no meio dos homens
– sou o silêncio

l’azur des après-midi
s’affiche à l’orient
d’une pensée
je suis pure écoute et vision
ma tête est un cosmos
de mes yeux coulent
des signaux possibles de l’infini
je ne veux pas être sublime
mais débordent en moi
les couleurs que nous ne vîmes pas encore
bien que nous les pressentions
je vis au milieu des humains
– je suis le silence




Marc-Henri Arfeux, L’homme Fil, entretien avec Christine Durif-Bruckert

Au rythme des poèmes de ce magnifique recueil, Marc-Henri Arfeux nous convie à une longue marche initiatique depuis la terre jusqu’au « ciel veiné d’étoiles ». Il s’agit d’une marche intime, qui trace les seuils, les élans et les chants d’une poésie méditative et qui sonde les intériorités de l’être.

Dans l’avant-propos de son recueil, il nous donne quelques éclairages afin que nous puissions l’accompagner et partager avec lui le cheminement d’un désir poétique qui murit depuis fort longtemps : « depuis ma jeunesse, le fil du sens poétique, sensible et spirituel n’a cessé à mon insu de guider et d’unir ma vie à l’énigme essentielle ».

 

Improvisation on three synthesizers : Virus TI, Minimoog Voyager Electric Blue and Little Phatty, by Marc-Henri Arfeux, 2009.

Marc-Henri, tu as écrit L’homme fil qui fut édité en juin 2023 chez Unicité, un très beau livre, d’une profonde densité et nécessité.
Dans ce recueil, l’homme déploie son fil sensible, poétique et spirituel d’une partie à l’autre, de « La terre te donne asile » à  « Jusqu’aux étoiles ». Dans l’un des poèmes (p 77), tu écris : « L’homme fil relie l’humus/Et le jardin lunaire/Beau souffle de pollen/Sur la main de l’envol./Bleu est le bleu du bleu.//Plus haut que tout rocher/Est le sentiment de l’âme ».
Pourrais-tu nous aider à approfondir le rythme et l’espace, en quelque sorte le paysage de ce recueil ?
Le rythme et l’espace en ce recueil sont un. Ils vont, comme les titres des deux parties du livre l’indiquent, de l’asile terrestre aux étoiles. La terre est en effet le lieu de notre naissance, de cette incarnation qui permet l’éclosion d’une conscience en ce monde. Elle nous accueille, le temps d’une ligne de vie. Mais simultanément, elle nous initie à l’inévitable finitude impliquée par ce séjour. Aussi l’asile est-il celui qu’elle offrira à notre corps lorsque nous viendrons à mourir. L’espace qu’explore L’homme fil est aussi ce socle essentiel, puisque notre substance se dépouillera alors de ses attributs organiques, redeviendra l’os primordial jeté dans l’océan élémentaire. Mais déjà, à ce stade du processus de métamorphose du vivant, c’est une autre direction d’espace qui se révèle, comme le suggèrent plusieurs poèmes de la première partie.
La traversée de la frontière organique est une floraison, une offrande d’encens nocturne et de santal inaugural, si bien que, par avance, le futur défunt doit suivre ce conseil : « Écoute la flûte mouillée du crépuscule/ Te rappeler que ta fraîcheur/ Devra monter de ta dépouille. » Dès lors, l’espace est déjà celui d’une remontée verticale que confirmera la seconde partie du livre : Jusqu’aux étoiles. Le rythme est ici scansion, à la fois de souffle, de chant, de psalmodie intérieure et de marche ascensionnelle comme on le découvre dans les derniers poèmes. L’espace du bleu peut alors apparaître pleinement, celui du ciel physique ouvrant à l’infini et servant de médium entre l’âme du voyageur et le bleu absolu des nuits, comme le bleu spirituel dans lequel il entre peu à peu. L’espace s’agrandit, s’allège et se déploie en pur élan au fur et à mesure que progresse le chemin des poèmes.

Marc-Henri Arfeux, L'Homme fil, éditions unicité, 2023, 90 pages, 13 €.

Tu pratiques le yoga depuis de longues années. Tu peux nous en parler ?  Et dans ce recueil tu abordes le yoga dans sa correspondance avec la poésie. Dans l’avant-propos tu écris « la réintégration yogique est inséparable d’une poétique en acte dont les formulations sont autant d’étapes jalonnant, comme des lampes, l’itinéraire d’un même voyage ». Pourrais-tu approfondir ce qui sous-tend cette inséparabilité ?
Le yoga est aujourd’hui l’objet d’un grand engouement en occident, souvent sur la base d’un malentendu. On lui accorde des vertus apaisantes qui permettraient de réparer les fonctions physiques et psychiques malmenées par la vie contemporaine afin de redonner aux individus l’énergie dont ils ont besoin dans la vie sociale. On voit aussi souvent en lui une forme d’activité de pure performance où la complexité des postures et leur enchaînement dynamique sont des moyens d’atteindre une forme d’excellence purement mécanique, non dépourvue de complaisance narcissique. Mais le véritable yoga n’est pas là : loin de l’esprit athlétique qu’on lui associe parfois, il se déploie dans une aventure intérieure, qu’on la vive de façon pleinement spirituelle, selon son essence, ou sur le seul plan d’une maturation existentielle et psychologique, ce qui est déjà beaucoup. L’un des fondateurs de l’Ashtanga moderne, (une forme justement dynamique de yoga, qui pourrait sembler à tort purement physique), Pattabhi Jois, dit que le véritable but de l’Ashtanga est de pouvoir rester une heure en pleine méditation dans une posture de Yin Yoga (forme de yoga postural au sol fondé sur le principe de la concentration dans des postures tenues dans la durée). Le fait est que le Yin est un yoga d’intériorité qui m’est particulièrement cher.
C’est dire ce qu’est l’axe majeur du yoga que chacun d’entre nous vit bien sûr à sa manière, selon le terreau culturel qui est le sien, pourvu que la conscience de cette floraison de l’âme par le corps et du corps par l’âme soit présente à l’esprit. En fait, les postures sont des instruments de prise de conscience, d’ouverture du souffle et de la présence, d’entrée en contact avec une dimension d’être plus vaste qui rend à l’individu sa place souvent perdue du fait de la clôture dans les étroites limites du moi, je ne dis rien là que de très banal du point de vue de cette discipline, mais ce sont pourtant des éléments essentiels. Là commence l’aventure de cette réintégration qui, dans mon cas, participe d’une quête intérieure et pas seulement d’une succession d’exercices plus ou moins profitables sur le plan physique et émotionnel. La poésie y trouve sa pleine nécessité car elle vient souligner, formuler, imager de symboles tout ce cheminement en chacune de ses étapes. « L’homme fil » est ainsi un être relié dont l’existence même est le fil qui l’unit à plus grand que lui, à commencer par le monde et même, selon la belle réponse du mystique indien Swami Ramdas à un policier qui lui demandait où il habitait : « Tout l’univers ! » En ce qui me concerne, la poésie a presque aussitôt commencé d’accompagner la pratique comme un chant, permettant de rassembler dans la luminosité du verbe l’essence de cette expérience à chacune de ses étapes. Elle est attestation, approfondissement réciproque de ce qui a lieu dans la pratique, l’une des dimensions de cette aventure globale, et de ce point de vue, elle aussi est yoga.
Ce livre n’est que l’une des étapes de l’expérience intérieure, de l’état de contemplation qui jalonne cette marche « liée ». Précèdent deux livres qui ont été publiés aux Éditions Alcyone, en 2023 Raga d’irisation, et encore avant Exercices du seul paru en 2019. Est-ce que l’on peut parler d’une continuité, d’une sorte de trilogie ?
Oui, entre ces trois livres se tisse un lien, encore un fil, un même chemin, qui est celui d’une prise de conscience progressive depuis les approches d’ Exercices du seul qui déjà évoquait un voyage de l’âme dans les paysages de sa métamorphose, avec, souvent, tout au long de l’écriture, la présence d’une image fondamentale : celle d’un voyageur errant de l’ancienne Chine et de l’ancien Japon, cheminant, tantôt à pied, tantôt à cheval, dans des montagnes où il s’élève peu à peu, minuscule fourmi humaine, et vit une succession d’expériences révélatrices, comme par exemple dans cet extrait de poème : « Montant au gouffre/ À pas de scarabée,/ Tu cueilles une herbe mauve/ Au bord du rien,/ Sous le rire arc-en-ciel de l’air mouillé ».
Avec Raga d’irisation, l’expérience se déplace du nomadisme d’un pèlerinage dans un vaste paysage, à l’espace physique et mental d’un appartement où un méditant affronte et traverse, d’un soir à un autre soir, les périls et les dons d’une initiation immobile. Chaque poème est de ce point de vue une étape et un chant à la manière dont la musique indienne de raga déploie ses infinies variations selon les différentes heures du jour et de la nuit et les expériences qu’elles induisent, l’ensemble constituant la trame d’un seul et même raga en ses diverses modulations, jusqu’à la plénitude aérienne et comme immatérielle du second soir. J’en donne ici un extrait pour qu’on s’en fasse une idée plus précise : « La fin de cet azur / Très haut / Verse le fil horizontal / En infini.// L’encens de la voix seule / Vient le rejoindre / Au point d’immatériel / Où les larmes et l’amour / Sont un oiseau nomade.// Et toi, dans la maison du souffle / Et du regard ouvert, / Tu es jardin d’apesanteur / Souriant au chagrin. »
Ces quelques éléments au sujet de ces deux livres permettront, je l’espère, de mieux comprendre leur relation avec L’Homme fil du fait de l’alliance de la pérégrination et de l’acte de pure contemplation assise. Mais chacun de ces livres qui s’écrivent au fur et à mesure n’est qu’une des étapes d’un devenir ouvert. On peut donc considérer que les trois ouvrages constituent et ne constituent pas une totalité close. L’idée de triptyque signifierait ne effet celle d’un tout parfaitement complet. Or, si le cheminement spirituel du yoga et de la poésie m’ont appris quelque chose, c’est justement que nous sommes en perpétuel état d’incomplétude, tout en avançant et progressant le mieux qu’il nous est possible sur ce sentier d’énigme.
Ta poésie est épurée. Elle cherche à rejoindre le dépouillement en même temps que la quête d’absolu. Elle s’approche de l’énigme pour mieux l’intégrer à la nécessité de l’absence.  Elle semble effleurer le monde presque silencieusement, et pourtant elle y est profondément engagée. Comment tu nous parlerais-tu de ton rapport à la poésie ? peut-être même comment tu la définirais ?
Oui, plus j’avance, plus j’espère entrer dans une poésie de l’épure, ce qui n’exclut pas le lyrisme, bien sûr, mais suppose une volonté de chant à la fois plus intime et plus ouvert, dépossédé autant que cela se peut des tentations d’y faire vibrer un moi, afin de mieux permettre à ce que les spiritualités d’Asie ou la psychologie des profondeurs appellent le Soi de s’épanouir et de rayonner, comme la flamme d’une bougie qui s’ouvre et se place autour de la mèche, dans une assise de luminosité liquide, calme, fidèle et patiente, face au jour qui se lève. Cette image est très profondément enracinée en moi, elle vient souvent spontanément à ma conscience m’éclairer de sa paisible apesanteur. Aussi, ce que je désire le plus en poésie est de donner forme par une telle simplicité, car qu’y-a-t-il de plus pur et de plus simple qu’une telle flamme veillant à la fenêtre et continuant, même palie par la venue du jour, de remplir son silencieux office ? C’est là qu’est justement le chant.
Je cherche de plus en plus à rejoindre une expression presque blanche et presque vide, où la parole et le silence sont le soutien discret l’un de l’autre. Tu parles de poésie épurée et de dépouillement et je crois que ce sont en effet ces qualités et ces états d’être auxquels j’aspire profondément. La poésie est pour moi un chemin, encore une fois je parlerai des étapes que ce chemin comprend et qui, chacune, tente de mieux éclairer, de mieux apercevoir et rejoindre son objet, quitte à reprendre en variations de mêmes avancées pour mieux en circonscrire l’essence. En fait, l’enjeu est chaque fois celui d’un exercice spirituel, d’une meilleure compréhension, d’un meilleur accomplissement, si possible, de cette même quête en ses diverses, voire infinies modulations et inflexions. Depuis l’automne 2023, je me suis avancé encore davantage qu’auparavant dans ce presque silence qui est pour moi l’indispensable trame de la parole, plus souvent chuchotée, murmurée, chantonnée, que proférée. Un modèle musical possible de ce que je veux dire ainsi serait une œuvre vocale pour six solistes de Karlheinz Stockhausen, intitulée Stimmung. Ce mot allemand signifie tout simplement : « les voix ». Stockhausen n’a pas composé cette pièce, comme on pourrait s’y attendre, par la seule notation abstraite fondée sur une écriture mentale de la musique, mais a fait naître sa substance d’une forme d’improvisation continue, en en chantant les mélodies et en les reprenant sans cesse jusqu’à former l’étoffe entière de cette œuvre fascinante, animée d’un bout à l’autre d’un impalpable flottement sonore. Il attendait pour se mettre au travail que ses enfants encore en bas âge soient endormis et psalmodiait alors les différentes parties de l’œuvre, en les murmurant à peine et les transcrivait au fur et à mesure sur la partition. Il vivait à cette époque avec sa famille dans une petite maison du Connecticut, et dehors tout était gel et neige. Cette extraordinaire situation de composition, tout comme l’œuvre merveilleusement intime à laquelle elle a donné naissance, correspondent de façon magique à l’écriture qui m’a accompagné au cours de cet hiver 2023-2024, dans cette expérience du silence murmurant. Si tu le permets, j’en donne un exemple par ce poème inédit : « Ton nom n’est que silence,/ Lueur et chant.// Tu es la cire où loge le feu,/ La goutte unie de ton abeille.// Tu es// L’arceau des mains/ Qui se rejoignent // Au myosotis du cœur. 
Un poème, p 25 de ton recueil, est l’un de ceux qui « m’arrête », plus que les autres. Il est comme une interruption, et en même temps, je reviens souvent vers lui dans le mouvement de la lecture de ton recueil. Je te remercie de nous parler de ce poème, de la place qu’il occupe dans l’ensemble du recueil ?
Ce poème est en effet un moment significatif du livre, car il affirme à la fois le sentiment, l’acceptation de la finitude et le seuil spirituel que celle-ci constitue. C’est un poème d’espérance et de foi. Ce qui se joue ici, est ce qu’on pourrait appeler « le grand yoga », selon une expression de Pierre Baronian, disciple de Pattabhi Jois, qui a créé l’École de Yoga de Mysore où je pratique, à savoir le moment de la mort où corps et âme divergent, la seconde se défaisant du premier comme on retire un vêtement devenu inutile. Dans les derniers vers de ce poème, il est question de « la jambe s’offrant au voile qui la résorbera/ Dans son irisation ». Ce pas mystérieux est, dans toutes les cultures, celui de la translation spirituelle ultime. L’irisation désigne quant à elle la transformation absolue de l’être selon son essence qui soudain irradie. J’aurais presque envie de dire qu’il en est forcément ainsi, d’une façon ou d’une autre, que l’âme retourne seulement au tout universel et reprenne place dans le grand jeu du vide, ou qu’elle atteigne la pleine dimension de son apesanteur lumineuse, comme j’incline à le croire. Il faut en tous les cas s’y exercer par la pratique méditative, comme le suggère un distique également écrit cet hiver : « Veille le lait des formes,/ Qu’il révèle une aura. »

Présentation de l’auteur

Marc-Henri Arfeux

Marc-Henri Arfeux est né à Lyon le 24 février 1962. Docteur en lettres modernes, il enseigne la philosophie à Lyon. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dans les domaines de la poésie, du récit et de l’essai. Il collabore régulièrement avec les revues Terre à Ciel et Rumeurs. Il est également peintre et compositeur de musique électroacoustique.

 

Bibliographie

Approche de Manhattan, roman, Éditions Blanc Silex, Moëlan sur Mer, 2001

Lueur par le silence, poèmes, livre d’artiste, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes 2009

Patience de l'horizon, poèmes, Prix Karl Bréheret, Editions Souffles, Montpellier, 2010

Suspens du visiteur, poème, livre d’artiste, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes, 2012

Corps de logis, poèmes, livre d’artiste, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes, 2013

Ölöhn, récit, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes 2013

L’Ambassadeur, récit Prix Gaston Baissette, récit Editions Souffles, Montpellier, 2014

L’Éloignement, Récit, Editions du Littéraire, Paris, 2014

Velours de l’horizon, poème, livre d’artiste, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes, 2016

Exercices du Seul, poèmes, avec des encres de Silvaine Arabo, Editions Alcyone, Saintes, Juin 2019

Lumière sur nuit, poèmes, Editions Rafael de Surtis, Cordes sur ciel, Juin 2019

Suite Toscane, livre d’artiste, avec le peintre Robert Lobet, Editions de la Margeride, Nîmes, 2020

Verger du cercle dévoré, poèmes Editions Alcyone, Saintes, 2021

Raga d’irisation, poèmes, Éditions Alcyone, Saintes, 2023

L’Homme fil, poèmes, Éditions Unicité, Saint-Chéron, 2023 

Autres lectures

Marc-Henri Arfeux, Verger du cercle dévoré

Verger du cercle dévoré est un recueil sur la perte d’une mère, de la mère. Elle s’en est allée, brisant le cercle maternel, laissant l’enfant dévoré par le vide.   Le poète Marc-Henri Arfeux [...]




Les couleurs du poème : entretien avec Germain Roesz

Germain Rœsz est peintre, poète, enseignant chercheur à l’université de Strasbourg, et éditeur. A la pratique des arts plastiques, il joint, donc, la poésie et de la recherche théorique. Son expérience, ses publications ainsi que ses productions plastiques et éditoriales, le placent donc au cœur de ce sanctuaire mystérieux qu'est l'Art. Il a accepté d'évoquer son parcours, et ses avancées, si précieuses, avec Recours au poème

Germain, tu es plasticien, et écrivain. Pourquoi la poésie ? Quel lien avec ta discipline première ?
La peinture et l’activité d’écriture sont nées d’une immobilisation de 2 années faisant suite à un accident de voiture. Ce genre d’épreuves (je mets au pluriel) au moment de l’adolescence modifient complètement nos trajectoires, nos systèmes de pensée, et plus sûrement encore notre rapport à la vie. Cet accident pour fracassant qu’il fut (et qui m’a bien entendu poursuivi tout au cours de ma vie par la nécessité de nombreuses interventions chirurgicales jusqu’à récemment) a aussi ouvert de nombreuses portes sur l’art en général et plus fortement sur ce que peut signifier une vie d’engagement. C’est ainsi que j’ai fait irruption dans le monde de la peinture, de l’écriture. D’abord en autodidacte (j’avais 16 ans), ensuite par l’étude universitaire dans des domaines multiples. Cela m’a conduit à enseigner en théorie pratique et sciences des arts à l’université de Strasbourg après une thèse consacrée à la création collective. Il faut bien sûr des éléments fondateurs pour s’inscrire dans une pratique de l’art.
Pour moi ce fut une expérience avec la lumière, à la sortie du coma, que j’ai mis des années à élucider mais qui m’a plongé (ce terme est le bon mot) littéralement au cœur de la création (dans ce que Breton appelait cet infracassable noyau de nuit).
Mon parcours a toujours été mis en éveil par la pratique de la peinture, de l’écriture de la poésie et de textes théoriques (sur l’art bien entendu). Je dois aussi rappeler que j’ai participé à la création de plusieurs groupes artistiques (Attitude, le Faisant, Vis-à-vis, PlakatWandKunst et le duo l’épongistes avec Jean-François Robic) qui sont souvent à l’origine de l’existence même de l’art contemporain dans ma région. Ces groupes avaient aussi une forme structurelle qui se constituait autour de la création plastique, de l’écriture, de la recherche théorique voire de revues créées en commun (Feuilleton’s, Compresse, Scriptease). 

Exposition : L'Art monumental, Germain Roesz crée des oeuvres monumentales pour faire danser la couleur. Il a même créé des oeuvres inédites pour son exposition à Montigny-le-Bretonneux. 2018.

Dans l’effervescence des groupes des années 70 la dimension politique aussi était fondamentale. Et gérer des lieux d’artistes (nous en avons géré plusieurs), intervenir dans le débat théorique et politique était une manière nécessaire et presque unique de montrer et de faire exister la création contemporaine. Une donnée nouvelle aussi s’était imposée à nous, celle d’opérer en plusieurs domaines, un peu comme ce que thématisait Christian Dotremont, l’inventeur de Cobra avec Joseph Noiret, d’une déspécialisation. À partir de ce moment-là un peintre pouvait toucher au cinéma, un cinéaste à la musique, un musicien à la peinture, etc. Non pas dans un principe d’équivalence mais bien comme une série de portes qui s’ouvraient pour dire le monde autrement que celui qu’on nous imposait.  
Peux-tu évoquer la création de ta maison d’édition ? Les raisons pour lesquelles tu l’as créée, et sa structure ?
De par mes activités de peintre, de poète, de théoricien de l’art j’étais entouré d’un milieu fertile, bouillonnant et bien sûr parfois et heureusement contradictoire. J’ai créé la maison d’édition en 1994 tout simplement parce qu’il me semblait qu’il y avait autour de moi bon nombre de poètes qui n’avaient pas la réception qu’ils auraient dû avoir (à mon sens) et surtout une réelle difficulté à pouvoir être édités. C’est évidemment aussi une question d’amitiés fortes avec cette idée immédiate d’associer la poésie et les arts plastiques. Cette association évidemment ne cherche en aucun cas une illustration mais bien une succession d’échos toujours pour augmenter la compréhension commune. La maison d’édition a donc d’abord commencé avec des livres de bibliophilie (rares d’une certaine manière et à peu d’exemplaires). Cela s’est fait en premier lieu avec Jacques Goorma, Bernard Vargaftig, Henri Maccheroni, Patrick Beurard Valdoye, Patrick Dubost, Sylvie Villaume. Assez rapidement et en observant le lectorat, l’envie de faire en sorte que plus de lecteurs pouvaient accéder aux livres il s’agissait de réaliser des objets moins onéreux. Et c’est ainsi que sont nées plusieurs collections (Jour&Nuit, Contre-Vers, les cahiers du loup bleu, les parallèles croisées, Bandes d’artistes, Duos, DessEins, 2Rives). Chaque collection développe une certaine spécificité (textes courts, ou textes plus expérimentaux, ou textes longs, relations plastiques et poétiques immédiates, parfois partir de la pratique plastique même, etc.) et peut se développer grâce aux collaborateurs suivants : Claudine Bohi, Jacques Goorma, Haleh Zahedi et Arnoldo Feuer.
Pour ce qui est de la structure l’ensemble fonctionne sur mon activité d’artiste.

Lecture poétique de Germain Roesz à la Galerie Nicole Buck - partie 1, autour de son dernier livre La part de la lumière ainsi que quelques inédits - 28 septembre 2019.

Comment se porte le marché de la poésie ? Et celui de l’art ?
Vaste question. Il faudrait un livre pour y répondre. Pour l’art en général la substitution de l’œuvre comme possibilité de transformer le regard, de le porter plus loin, de respirer mieux, d’avoir des hauteurs de vue, et je pourrai poursuivre cette énumération, la substitution (comme on dirait d’une confiscation) donc de tout cela fait le lit de l’argent facile, d’une rentabilité immédiate, et d’une marchandisation de l’art. Les œuvres qui se constituent dans le long terme avec du côté de l’artiste tout d’abord l’approfondissement de son art s’effacent lentement de l’horizon ! Le constat que l’on doit faire c’est que la connaissance qu’ont les gens de l’art est parfaitement limitée à quelques connaissances médiatiques. Je défends l’idée que l’art que l’on voit est porté par une histoire plus profonde, plus dense, et parfois peu visible. C’est cette histoire que j’ai envie de porter et non pas celle qui est fabriquée à partir de systèmes de réception qui omettent l’épaisseur des débats, des conflits et des possibles. Et puis, pour l’art on voit bien que la légitimation (de manière générale) des œuvres se fait (ne se fait qu’) à partir de l’argent, du prix et de son corollaire la spéculation. L’enrichissement qu’on doit tirer d’une œuvre ne tient pas au bénéfice monétaire qu’elle peut rapporter mais à la force de ses représentations, des idéaux qu’elle véhicule, des modifications de pensée, des ressentis qu’elle produit en nous !

Angles couleur 10, recto, 30,7x26,1 cm, 2023.

Angles couleur 10, verso, 30,7x26,1 cm, 2023.

Mais ta question a débuté avec marché de la poésie. Et curieusement j’entends marche de la poésie, une sorte de cheminement qui opte pour les différences, un chemin pour monter plus haut. La poésie, si l’on cherche à la fréquenter dans sa diversité échappe parfois à une institutionnalisation, et d’une certaine manière à l’argent. Je connais peu de poètes qui vivent de leur poésie (contrairement à la littérature du roman en général). Évidemment ce constat doit se faire en signalant un paradoxe. Pour ma part je pense que le fait que les poètes ne sont pas assujettis à l’argent leur donne (et montre) une force de liberté sans égal. Cependant cela signifie aussi (parce qu’ils n’en vivent pas) que la lecture de la poésie est restreinte, que les médias ne la parlent pas assez, ne la convient pas justement pour permettre, ce qui est ma ligne de combat, de montrer sa diversité de sens, de lieux qu’elle entrevoit, d’écarts qu’elle fait par rapport à l’hypercapitalisme qui nous avale, qui avale tout d’ailleurs. La poésie qui m’intéresse est diverse, mais c’est toujours celle qui est authentique, je veux dire qui se tient dans une singularité. Un ou une poète ne se doit pas à la totalisation du monde, à faire croire à sa compréhension d’un tout qui nous échappe, mais bien de témoigner de la multiplicité des constellations de pensées, de réflexions. Claudine Bohi a cette phrase que je trouve d’une justesse absolue, la poésie est la chair de la philosophie. Et c’est bien pour cela que certains philosophes, et non des moindres, nous disent que ce qui compte le plus c’est la poésie. Il y a, dans l’association des mots, lorsqu’elle est réussie, une urgence brûlante qu’il faut, qu’il faudrait pouvoir montrer. Il faut ajouter à mes remarques, et le marché de la poésie place St Sulpice qui a lieu chaque année le prouve qu’il y a plus de 300 éditeurs de poésie en France. On les dit petits éditeurs ! Cet attribut est inadéquat, ils sont justement la sève même de la poésie, ces petits éditeurs en plus d’éditer des livres, de faire découvrir des poètes, de permettre à certains d’avoir enfin un lectorat, d’organiser des lectures, de se battre avec l’aide des libraires pour que les livres soient disponibles, font le travail en profondeur que l’histoire ne devrait pas oublier.
Pour ce qui est de Les Lieux dits il y a un lectorat de plus en plus important. Cela s’est fait avec les poètes et les artistes eux-mêmes. Par le bouche à oreille et grâce aux recensions dans diverses revues qui ont relayé le travail que nous faisons.  

Lecture poétique de Germain Roesz à la Galerie Nicole Buck - partie 2, autour de son dernier livre La part de la lumière ainsi que quelques inédits - 28 septembre 2019.

Y a-t-il des lieux alternatifs qui permettent à un art et/ou à une écriture non « institutionnalisés » d’être aisément accessibles au grand public ?
Je crois justement que les dits petits éditeurs sont ces lieux alternatifs. Beaucoup d’entre eux sont aussi poètes, et de nombreux poètes œuvrent dans des professions totalement diversifiées et font eux-mêmes promotion de la poésie par des manifestations, des rencontres, des lieux, des revues. Ils le font souvent avec peu de moyens dans une sorte de sacerdoce souvent incompatible avec la théorie de la rentabilité mercantile envahissante. Ces lieux sont à protéger, à sanctuariser. Bien entendu, je regrette que la poésie ne soit pas davantage convoquée dans la sphère médiatique, qu’on ne donne pas assez la parole aux poètes. Dans la poésie contemporaine toutes les questions qui traversent la société en général sont présentes, mais ne le sont pas forcément sous l’angle d’un simple constat, ni sous la forme d’une solution impérative. Les questions sont présentes comme un écart, comme une suspension qui donne au sens la priorité fondamentale. La poésie n’est pas la communication, elle vise plus haut pour montrer un espace plus élargi, toujours plus large que la réduction capitaliste, que la réduction de la pensée dominante. D’autre part elle permet pour qui la fréquente d’accroître sa conscience quant à l’histoire, quant à l’écologie, quant au corps, quant à l’amour, quant à l’altérité, quant à l’invention d’un à-venir partageable. Cette conscience que donne la poésie appelle évidemment la curiosité des lecteurs, et plus fortement encore un engagement qui ne délègue pas au tout technologique la prise en mains de nos vies.  

Lisière, acryl past. s. arches, 23,5x29,4 cm, été 2023.

Tu enseignes l’art, à l’université. Comment, et pourquoi ? Tes étudiants lisent-ils de la poésie, est-elle associée à leur démarche artistique ?
Je n’y enseigne plus. Je suis aujourd’hui professeur honoraire. Cependant, j’ai gardé pas mal de contacts avec de nombreux étudiants. Certains sont passés par un cours de poésie sonore que j’avais créé. Ils ont pu y découvrir les figures historiques, et parfois ont été confrontés à des poètes vivants au cours de rencontres inoubliables (avec Bernard Vargaftig, Odile Cohen Abbas, Patrick Beurard Valdoye, Julien Blaine, Serge Pey, Patrick Dubost, Henri Meschonnic, Bernard Noël, et j’en oublie). Ils ont été amenés aussi à écrire de la poésie, et surtout à la dire, à la produire en public. Nous avons pu ainsi faire plusieurs spectacles au sein même de l’université et même à l’extérieur. Pour des étudiants en arts plastiques et en arts du spectacle cette initiation poétique et expérimentale a été fertile. Ensuite, c’est un chemin personnel. Il faudrait pouvoir donner beaucoup d’exemples personnels. J’ai le souvenir de textes poétiques dits et proférés par mes étudiants qui étaient extrêmement justes et émouvants, qui parlaient autant de leurs engagements politiques que de leurs ressentis les plus intimes. Cela montre bien que d’ouvrir une porte permet d’en ouvrir bien d’autres. L’exemple le plus proche concerne Haleh Zahedi qui a fait une thèse sous ma direction, qui est une artiste remarquable et qui vit aujourd’hui à Bruxelles. Elle gère la collection bandes d’artistes (justement une des collections qui associent œuvres plastiques arrivant au départ et poèmes en échos à celles-ci). Cette collection compte aujourd’hui 110 duos artiste/poète.
Ajoutons qu’aujourd’hui nous ne sommes pas loin de 500 ouvrages publiés depuis le début de l’aventure de Les Lieux Dits.  
Tu publies des poètes accompagnés par des artistes plasticiens. Comment sont-ils associés ?
Au départ l’association était faite par moi, et grâce à la connaissance du milieu artistique et poétique que j’avais. Aujourd’hui, c’est devenu plus complexe grâce aux collaborateurs de Les Lieux Dits, mais aussi grâce aux artistes et poètes sollicités qui me rendent attentifs à telle ou telle œuvre, à telle ou telle forme poétique. Cela finit par relever d’un jonglage difficile à tenir.
Cela a aussi créé une synergie (un nombre considérable de manuscrits, des propositions tout azimut, une demande à laquelle je ne peux plus répondre) passionnante, épuisante. Dans les associations qui se forment la question du désir est essentielle. Les poètes ont, la plupart du temps, à choisir parmi des propositions artistiques et donc des artistes qu’ils découvrent (qu’ils ne connaissaient pas forcément). L’idée est évidemment qu’ils répondent sans procéder à l’illustration de la peinture, du collage ou du dessin. C’est cela qui est passionnant parce que du côté du peintre par exemple la demande est de répondre dans une contrainte en toute liberté, et du côté de la poète ou du poète la demande est contrainte pour un nombre de pages, par un format spécifique, etc. mais aussi dans une totale liberté. 

Performance Germain Roesz Fondation Fernet-Branca. 13 février 2015.

C’est au fond deux libertés qui se joignent pour ouvrir un espace inconnu (cela concerne la collection 2Rives que dirige Claudine Bohi, la collection DessEin et Duo que je dirige, la collection Bandes d’artistes que dirige Haleh Zahedi). Les autres collections sont davantage dans l’espace du seul texte poétique, mais toujours sous l’angle de la liberté (J. Goorma pour les cahiers du loup bleu et Jour&Nuit ; Arnoldo Feuer pour Parallèles croisées). Pour les cahiers du loup bleu nous sommes dans un texte qui oscille entre 30 et 50 pages, et le loup (bleu) qui figure en 4èmede couverture est choisi par moi dans tous ceux que j’ai en réserve et pour lesquels j’ai sollicité de nombreux artistes (je crois qu’à ce jour il y a trente deux artistes différents qui ont proposé les loups).
Existe-t-il une dynamique sémantique spécifique préétablie entre l’écrit et l’image lorsqu’ils sont réunis dans un recueil ? Qu’apportent l’un à l’autre, et vice versa ?
Heureusement que la dynamique sémantique n’est pas préétablie. Le sens est justement dynamique. Il roule de l’un à l’autre, il fait - par ces allers et retours - comprendre ou le texte ou la peinture, à chaque fois différemment. Il s’agit toujours de faire confiance à l’artiste et au poète. Comme peintre et comme poète j’ai bien entendu des préférences, et au départ je choisissais des artistes dans mes champs de référence. Je faisais de même pour les poètes. En éditant de plus en plus le champ s’est agrandi, les amitiés se sont accrues et diversifiées. La dynamique s’est installée comme un refus des clans, comme une ouverture salutaire à la diversité. En ayant aussi observé (pour mon travail théorique) scrupuleusement le fonctionnement des duos je peux évoquer rapidement une sorte de typologie (qui relève d’une sémantique). Il y a des duos qui associent deux différences, qui les mettent en lutte, en duel pour produire un événement particulier. Il y a des duos qui fabriquent un autre qui pourrait à terme avoir un fonctionnement autonome, une signature singulière. Il y a des duos qui en saisissant leurs points de force et en observant leurs faiblesses s’associent pour une œuvre augmentée. Il y a ceux qui juxtaposent, d’autres qui s’observent et se répondent comme font des musiciens de jazz qui improvisent. Ils y a ceux qui s’écartent de ce qu’ils font fréquemment, et souvent alors dans leur pratique personnelle quelques choses évoluent. Il y a ceux qui s’agglomèrent en connivence, en reconnaissance d’un terrain commun, d’un partage d’idées et d’idéal. La période de l’Ut Pictura Poésis est évidemment dépassée. Lorsqu’on y associe la formule du poète Simonide de Céos « la peinture est une poésie muette, la poésie est une peinture parlante » on peut penser qu’il y a une équivalence. Dans le temps d’aujourd’hui il me semble que l’association image (qui n’est pas une image) et poésie, lorsqu’elle n’est pas illustrative, fait advenir un territoire nouveau, ou qui était inaperçu. Cela veut dire à mes yeux que le projet est d’inscrire une série d’échos tout comme fait une pierre lancée à la surface de l’eau fait des ondes. Ces ondes provoquent un ensemble et déterminent dans le même temps des complexités singulières. Voilà le projet de ces associations, ambitieux mais magnifiquement stimulant.
Et maintenant, quels sont tes projets ?
Il faudra que je fasse comprendre que la structure artisanale de la maison d’édition doit encore continuer ainsi, mais ce sera au prix de nombreux refus d’éditer. J’ai trop de demandes aujourd’hui, et je dois me restreindre pour des raisons de temps, et bien sûr de budget. Mais le plus important est le temps. Si Les Lieux Dits sont ce qu’ils sont aujourd’hui, je le rappelle, c’est grâce à l’amitié indéfectible de ceux qui m’aident mais aussi à cette énergie que j’ai encore. Je veux dire que la volonté de tenir haut (cela n’empêche nullement de se tromper parfois) la forme poétique et plastique nous isole, et fait croire quelquefois qu’on ne répond pas à la demande de l’autre. Cela produit une grande solitude. Je veux dire que rester dans une authenticité de pensée isole, que de mettre l’exigence au cœur de notre travail produit une grande solitude et fait souvent souffrir. Mais, c’est à ce prix que nous gagnons à mieux faire comprendre ce que c’est que l’art. Pour ma part c’est un travail théorique que je fais dans mes textes (souvent publiés dans des catalogues) consacrés à des artistes où je m’impose de parler des origines souterraines de leurs œuvres, des partis pris nés de rencontres fortuites, improbables et encore de leurs engagements de vie. Je l’ai tenté aussi pour la poésie dans un essai au titre provocateur Où va la poésie ? chez Vibration éditions où j’évoque plus de 50 poètes de notre temps. Bien sûr, personne ne sait où va la poésie mais témoigner de sa diversité permet de comprendre aussi qu’on peut saisir l’art non pas dans ses imprécations impératives mais bien dans une structure dynamique et contradictoire qui active l’intelligence (comme celle d’être en bonne intelligence avec les autres).
Tu me demandes mes projets, j’aurai tendance à dire à ralentir, mais de ce ralentissement qui permet de mieux faire comprendre, de mieux réaliser aussi mon travail de poète et de peintre, et peut-être, pour un temps encore, de mieux accompagner les poètes qui déjà ont publié chez Les Lieux Dits. J’en suis à chercher une rareté de sens, une qualité de monde inaperçu qui ne sera pas que le miroir du virtuel, une exigence qui nous mettra encore en relation avec la vraie nature des choses (un tactile surprenant, une caresse réelle, un sens revivifié dans un monde si inquiétant). Cela relève bien sûr d’une position éthique. L’enjeu est énorme et la vie n’y suffira plus, mais reste comme un témoignage de ce qu’on peut, comme être humain, pour continuer à faire tenir debout ce que nous appelons humanité.

STRASBOURG, PRESQU'ILE MALRAUX : PARCOURS SONORE EC(H)O, 30 janvier 2020, intervention du poète GERMAIN ROESZ durant la conférence de présentation du parcours sonore (poésie/musique) par l’agence d’ingénierie culturelle CAPAC.

Présentation de l’auteur

Jacques Rancourt

Né au Québec en 1946, il vit à Paris depuis 1971, est poète, traducteur et essayiste. À la suite d’une maîtrise de lettres sur la revue Le Pont de l’épée , d’un doctorat sur la poésie africaine et antillaise de langue française, ainsi que sa participation en 1973 à la rédaction de l’important panorama de Serge Brindeau La poésie contemporaine de langue française, il a publié nombre d’essais et anthologies consacrés à la poésie de langue française. Directeur du Festival franco-anglais de poésie et de la revue internationale de poésie et d’art visuel La Traductière de 1983 à 2014, il a par ailleurs traduit les poètes de langue anglaise John F. Deane (Irlande), Susan Wicks (Angleterre), Alex Skovron (Australie) et Toh Hsien Min (Singapour), les poètes latino-américains Néstor Ulloa (Honduras) et Alejandra Mendez (Argentine), de même que le poète israélien Amir Or et la poète japonaise Shizue Ogawa.

Comme poète, depuis La journée est bien partie pour durer parue en 1974, Jacques Rancourt a publié une trentaine de recueils de poèmes, livres d’artiste et recueils de haïkus. Il a reçu le prix européen de poésie Dante 2018 pour l’ensemble de son œuvre.
Comme essayiste, son dernier ouvrage, La traversée des langues – Essai sur le fonctionnement des langues à travers le monde, a paru aux éditions Armand Colin en 2023.

Bibliographie

POÉSIE
La journée est bien partie pour durer (Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1974)
L’eau bascule (RmqS, Méry-sur-Oise, 1974)
Le soir avec les autres (Paris, sept poèmes avec gravures sur bois d’Alix Haxthausen, G.D.,
1978)
Le pont verbal (Paris, SGDP, coll. « Poètes contemporains » , 1980)
Les choses sensibles (Montréal, l’Hexagone, 1989)
Les quinze apôtres (Paris, avec dessin de Michel Mousseau, 1989, réédité avec quinze
nouveaux poèmes en 1994 sous le titre Les trente apôtres)
L’eau (poème, H.C., avec sept lavis d’Yves-Marie-Heude, 1994)
La condition terrestre (Charlieu, La Bartavelle, 1995)
The Distribution of Bodies (choix de poèmes et traduction de John F. Deane, Dublin, Dedalus
Press, 1995)
Gravitations (édition bilingue, traductions de John F. Deane, avec eaux-fortes de Michèle
Dadolle, Paris, Signum, 2001)
La nuit des millepertuis (Montréal, Trois / Paris, le Temps des cerises, 2002)
L’instant prodigue (Amay, l’Arbre à paroles, 2003)
Comme un huart (poème avec gravures d’Atsuko Ishii, Paris, Transignum/Daniel Leuwers,
2004)
La pluie des pluies (Grenoble, le Pré carré, 2005)

Savoirs (deux poèmes avec dessins-collages de Claudie Laks, coll. « Eventails » Daniel
Leuwers, 2005)
Cicatrice (poème avec traduction de Jan Owen et cinq collogravures d’Irène Scheinmann,
Transignum, coll. « 5/5 », 2005)
Un amour isocèle (trois poèmes avec gravures d’Atsuko Ishii, Belgique, Tandem, 2005)
Les pièces du paysage (sept poèmes, dessins et collages de Sarah Wiame, traductions de Sarah
Wicks, Paris, Céphéides, 2006)
Sculptures sur prose (neuf poèmes, dessins de Wanda Mihuleac, traductions de Jan Owen,
Paris, Transignum, 2007)
Parbleu (poème, avec acrylique originale d’Erolf Totort, Paris, Transignum, 2008)
Sans partir du début (poème, avec et à partir d’œuvres graphiques de Wanda Mihuleac,
Transignum, 2010)
Veilleur sans sommeil (préface d’Henri Meschonnic, Montréal, Le Noroît / Paris, le Temps
des Cerises, 2010)
Paysages et personnages (Montréal, Le Noroît, 2012)
Quarante-sept stations pour une ville dévastée (Le Noroît, 2014)
Suite en rouge mineur (livre d’artiste, illustré par Wanda Mihuleac, Paris, Transignum, 2017)
Au sortir de l’eau (livre-coffret de quinze cartes postales au format A5, avec photographie au
recto, haïku et graphisme carte postale au verso, Paris, Transigum, 2019)
La vie au sol, haïkus et photographies, préface de Christian Noorbergen (Paris, Transigum,
2019)
Ailleurs est partout chez lui, haïkus avec encres de Marie Falize, préface de Zéno Bianu
(Montélimar, Voix d’encre, 2020)
Paysajes y personajes, traduction du recueil Paysages et personnages par la poète argentine
Marta Miranda (Buenos Aires, Leviatán, 2020)

TRADUCTIONS
La Brèche – Break-Through (édition bilingue, poèmes de Lindy Henny, Paris, SGDP, 1981)
« Quatre poètes américains d’aujourd’hui », dans la revue Poésie 88 : Robert Creeley,
Denise Levertov, Galway Kinnell et August Kleinzahler (Paris, décembre 1988)
« L’imaginaire irlandais », dans la revue Poésie 95 : poèmes de John F. Deane, Seamus
Heaney et John Montague (Paris, décembre 1995)
« Poésie - Ecosse », dans le Journal des poètes : Tim Cloudsley, Jeffrey Burrows, Richard
Burton, Stan Bell, Basia Palka et Alistair Paterson (Bruxelles, n° 3, avril 1996)
L’ombre du photographe, édition bilingue, poèmes du poète irlandais John F. Deane
(Vénissieux, Paroles d’aube, 1996)
Portrait d’une feuille comme oiseau – Portrait of a Leaf as Bird (édition bilingue, sept
poèmes de Susan Wicks avec dessins et collages de Sarah Wiame, Paris, Céphéides, 2007)

The Attic, édition bilingue, poèmes du poète australien Alex Skovron, PEN Melbourne, 2013
Le musée du temps, poèmes du poète israélien Amir Or, en collaboration avec Aurélia
Lassaque (Paris L’amandier, 2013)
Dans quel sens tombent les feuilles, édition bilingue anglais-français, choix de poèmes
poèmes du poète singapourien Toh Hsien Min (Paris, Caractères, 2016)
Los espejos de Carlos/Les miroirs de Carlos, poèmes de Néstor Ulloa, poète hondurien (Paris,
La Traductière, 2018)

ESSAIS
« Livre II, Québec », in la Poésie contemporaine de langue française (Paris, SGDP, 1973,
sous la direction de Serge Brindeau)
Poètes et poèmes contemporains - Afrique-Antilles (Paris, ACCT-Saint-Germain-des-Prés,
1980)
« La littérature québécoise du XX e siècle » et « La littérature négro-africaine de langue
française » in Histoire littéraire de la France (tome XII, Paris, Editions sociales, 1980)
La traversée du paysage, essai sur la poésie de Maryline Desbiolles (Victoria, Australian
Journal of French Studies, et Nice, Grégoire Gardette éditeur, 1997)
De la traduction à la traduction de poésie (Montréal, revue Liberté, février 1993)
The Ethical Dimension of Translation (Melbourne, revue Etchings n° 6, 2009)
Trait d’union, anomalies et caetera (ouvrage en collaboration, Paris, Climats/Syndicat des
correcteurs, 1991)
Le poète et sa langue (Montréal, revue Liberté n° 292, juin 2011)
La traversée des langues – Essai sur le fonctionnement des langues à travers le monde (Paris,
Armand Colin, 2023)

ANTHOLOGIES
Poésie du Québec : Les premiers modernes (Paris, Poésie I n° 35) et La nouvelle poésie du
Québec (Poésie I n° 36, 1974)
Poètes de l’identité québécoise, suivi de Les voix nouvelles (Paris, Poésie I n° 96-98, 1982)
La poésie érotique du XXe siècle (Paris, la Pibole, 1980)
French Poets of Paris (numéro spécial de la revue The Chariton Review, Truman State
University, Missouri, USA, juin 1996)
Figures d’Haïti - 35 poètes pour notre temps (Paris, le Temps des Cerises ; Trois-Rivières, les
Ecrits des forges, 2005)
Antilles-Guyane : anthologie de poésie antillaise et guyanaise de langue française (Paris, le
Temps des cerises, 2006)

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