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A CAPPELLA

Pose moi comme un sceau sur ton coeur,
comme un anneau à ton bras,
car l’Amour est fort comme la Mort, 
la passion , cruelle comme le Shéol.
Ses flèches sont des éclairs de feu,
un brasier divin, une flamme de Yahvé

(Cantique des cantiques,VIII,6) 

 

 

C'est surtout dans sa tenue de mort que je le voyais. Une fois dans l'année, le jour du Grand Pardon, il chantait dans ce vêtement, qu'un jour pour toujours il porterait, dans cet habit, ce Sarjenes, qu'on lui mettrait avant de l'enterrer. Ce jour-là, comme tout cantor, il chantait. Il chantait Dieu, il chantait l'homme, il chantait pour que les hommes soient pardonnés. 
La liste de tous les péchés, répétée tout au long de la journée, n'était pas ce que j'écoutais. Ce que j'écoutais, c'était la voix qui les énonçait, une voix qui faisait de moi le pire qui soit. Car le plaisir qu'elle me donnait était loin de me mortifier ; celui que je prenais,  permis à l'opéra, avait ici l'attrait de l'interdit. En ce lieu même du sacré, j'adorais une voix qui chantait ce qu'on ne doit. Elle chantait le péché commis en public ou en secret, par mégarde ou de plein gré, par des mots ou des pensées ; le péché commis par obstination ou légèreté, par passion ou calculé ; le péché profanant le nom sacré, celui connu ou ignoré et peut-être avant tout celui que je commettais.
D'idolâtrer, allais-je être lapidée, brûlée, étranglée ou décapitée comme le texte le promettait ? Pas une fois, je ne suis morte dans l'année ; j'ai même continué à être inscrite dans le livre de la vie !
Moi, pas lui.
Fut-il puni de si bien chanter, assassiné d'autant charmer ?
Peu après m'avoir mariée, sa voix se tut : il n'était plus dedans.
Qui y était ? Je ne le sus que bien après, quand plus personne n'y chantait,  quand plus aucun absent n'y était.