A Casa di a Puisia : entretien avec Norbert Paganelli

Dans les temps difficiles des divers confinements est née, à Ajaccio, l’idée d’une maison de la poésie – Casa di a Puisia -  portée par le poète Norbert Paganelli. C’est  une maison de la poésie qui n’a d’autre siège que la « maison bleue » de son président, Jean-Jacques Colonna d’Istria, également éditeur. Une maison qui pourrait être nomade, bien qu’enracinée dans une langue, une culture, et un territoire, la Corse. Son objectif : promouvoir la diffusion de la poésie sous toutes ses formes, animer et d’accueillir les manifestations poétiques de Corse et d’ailleurs pour contribuer à son rayonnement.

Très active dès sa naissance, elle organisait en 2021, dans le cadre du Printemps des poètes, un concours en français et en langue corse, qui a donné lieu à la publication d’un recueil, Désirs, et à la remise de deux prix, cérémonie touchante à laquelle j’ai eu le plaisir d’assister : en effet, a casa di a puisia  lançait également, dès la fin 2021, une série de rencontres mensuelles, dont je fus, avec Jean-Pierre Siméon, la première invitée.

Recours au poème ne pouvait que consacrer son dossier du printemps à cette naissance, en donnant la parole à Norbert Paganelli, en évoquant également son anthologie de la poésie corse, le prix créé par la Maison de la poésie – sans oublier la belle revue I Vagabondi de Jean-Jacques Colonna d’Istria, et l’hommage à la regrettée Marie-Ange Sebasti, corse dans l’âme.

Comment est née l’idée d’une Maison de la Poésie de la Corse ?
Il y a de cela cinq années, je m’étais étonné d’une absence de structure de ce type en Corse alors qu’il en existait un peu partout en terre continentale. Avant d’aller plus avant dans ma réflexion, j’ai interrogé un certain nombre de maisons de poésie pour voir comment elles fonctionnaient, sur quelle structure juridique elles étaient assises, quels étaient les difficultés rencontrées mais j’en étais resté à un vague projet.

Quel a été l’élément déclencheur pour vous inciter à passer à l’action ?
En novembre 2019, j’ai eu le plaisir de rencontrer, avec l’éditeur Jean Jacques Colonna d’Istria, l’organisateur du festival poétique de Trois Rivières en la personne de Gaston Bellemare. Ses premières paroles furent : « Mais comment se fait-il qu’il n’y ait pas de Maison de la Poésie en Corse ? ». Je lui ai bien-sûr répondu que l’idée était dans l’air mais qu’il n’y avait rien de concret pour le moment. Après notre rencontre, j’ai longuement échangé avec Jean-Jacques Colonna d’Istria qui m’a convaincu qu’il fallait maintenant passer à la phase opérationnelle en lançant l’initiative.
Dès lors qu’avez-vous fait ?
Nous avons pris contact avec les services de la Collectivité de Corse qui ont été particulièrement réceptifs à notre volonté et nous ont incité à lancer de suite le projet. « Nous attendions que quelqu’un le fasse, bravo, allez-y on vous soutient ! » Nous avons, en sortant, travaillé les statuts et monté un premier programme d’actions. Nous étions en janvier 2020 et n’avions que quelques jours pour déposer notre dossier afin de solliciter une aide financière, nous avons tout bouclé en quelques jours.
C’est ainsi qu’a démarré la Maison de la Poésie ?
Le COVID a largement contrarié notre projet puisque durant l’année 2020 pratiquement tout ce que nous avions prévu a dû être annulé ou reporté...Ce fut catastrophique etnous pensions jeter l’éponge ! Nous avons renouvelé une demande d’aide après des services de l’Action culturelle et avons obtenu satisfaction pour l’année 2021, ce qui nous a permis de réaliser un certain nombre d’actions.
2021 est donc la première année de vie effective de votre structure...
Oui, le prix annuel de poésie a obtenu un réel succès avec plus de 250 participants venus de pays divers. Une sélection des meilleurs textes a donné lieu à la réalisation d’un ouvrage qui sortira des presses courant janvier, deux sentiers de la poésie sont réalisés dès le début de l’année prochaine, nous avons pu organiser deux cabarets poétiques en fin d’année...L’essentiel a pu être réalisé. On peut donc considérer cette année 2021 comme un véritable baptême du feu d’autant plus que notre identité visuelle est maintenant fixée et que notre site internet sera bientôt en ligne.
Comment fonctionne la Maison de la Poésie de la Corse ?
Elle repose sur un conseil de 33 membres venant d’horizons divers : des poètes, bien sûr mais aussi des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des professeurs, des directeurs de revue qui définit les orientations annuelles et une équipe restreinte qui les met en œuvre. Si cette équipe est composée de personnes s situant dans la même aire géographique (on comprend aisément pourquoi), le conseil est composé de personnes vivant en Corse et de personnes vivant sur le continent.
Quels sont les principes qui fondent la démarche de la Maison de la Poésie de la Corse ?
Il y en a quatre qui seront toujours présents à notre esprit :
L’ubiquité : nous avons souhaité ne pas disposer de locaux propres afin de pouvoir intervenir en plusieurs lieux et vous savez combien l’intérieur de la Corse est souvent difficile d’accès ! Avoir des locaux nous aurait conduit à privilégier obligatoirement une ville ou une micro- région alors que nous souhaitons que la poésie puisse rayonner partout !
L’aspect multiforme de la poésie : nous souhaitant mettre sur un pied d’égalité toutes les formes de poésie car notre rôle n’est pas d’enfermer la création dans une seule pratique. nous accorderons autant d’importance au slam qu’à la poésie visuelle ou aux traditionnels Chjam’è rispondi
La transversalité des pratiques créatives : il n’est pas sain que les poètes ignorent les peintres, les musiciens, les sculpteurs, les photographes, nous voulons mettre un terme à cette sectorisation des activités qui débouche sur un appauvrissement. Les deux prix qui ont été remis aux vainqueurs des prix sont d’ailleurs des œuvres picturales, c’est un symbole mais il y aura d’autres convergences entre les pratiques.
La médiation : comme toute pratique créative, la poésie nécessite des clefs de compréhension, il est du devoir de la Maison de la Poésie de rapprocher le grand public des créateurs en encourageant explications et mises en perspectives. Seuls ceux qui détiennent déjà ces clefs défendent l’idée que l’œuvre d’art n’a besoin d’aucune explication, qu’elle s’impose d’elle-même. Pour cette raison nous développerons des ateliers de création qui tenteront de mettre à jour certains mécanismes et nous faciliterons l’acquisition des techniques d’expression.
On peut avoir le sentiment que la Maison de la Poésie de la Corse est une structure identitaire qui n’a d’autre but que de s’intéresser à la poésie insulaire. Est-ce le cas ?
Soyons clairs : c’est la maison de poésie de la Corse et en cela elle cherchera toujours à illustrer et à défendre la culture et la création insulaire, que celle-ci s’exprime en corse ou en une autre langue. Par contre, ce serait mal nous connaître que d’imaginer une quelconque fermeture. Nous sommes, non seulement ouverts à toutes les formes de poésie, mais aussi ouvert au monde. D’ailleurs peut-on, un seul instant, imaginer une pratique créative qui ne le soit pas ?