À l’envers, et autres poèmes

 

 

 

A L'ENVERS

 

 

 

droite dressée face à moi - occupant tout l'espace tu voudrais faire basculer l'horizon de la chambre - défaire l'agencement qui endigue le cours de notre tête à tête - limite la circulation tendue de notre sang 

nous avons hésité à l'orée - juste avant de s'autoriser - nous avons parlé à demi mots de fantasmes confus - nous n'avons rien dit de ce que nous imaginions au delà - en dedans - rien dit de nos désirs

tourner autour avant de prendre les devants - s'empêcher de penser avant de partir au hasard de cet autre chemin - de changer d'hémisphère - derrière les hauts murs de nos réticences la nuit a la densité de l'or 

droite dressée face à moi - plantée là au dessus de moi - tu incarnes la révolte contre le bon sens - tes doigts blanchis par l'effort - plantés dans mes épaules - tu t'élèves et retombes - le plaisir puis la douleur - à contre temps de moi - les mâchoires serrées autour d'un gémissement

nous avons joué à cette frontière - précédant le langage - évitant la parole - avant de passer en deçà et de construire un tête à tête autour de vertèbres malléables - tendues en toi comme pour te tenir toute entière 

tu t'es retournée - pour nouer avec moi cette entente de chair et de sang - nous avons tourné le dos au visible - tourné nos yeux vers un dedans - nous sommes retournés en nous mêmes au fondement reconnu de toute pression du sang - sur nos membres et nos gestes présents 

droite dressée face à moi - tendue autour de tes vertèbres douloureusement - toute entière crispée sur cet intérieur du corps ouvert - traversée par ta présence advenue - tu as rompu nos liens avec l'espace pour nous projeter jusqu'à l'envers du décor 

tout s'organise maintenant autour de l'intérieur - où tout se dit sans la voix - où droite dressée face à moi tu es l'axe nouveau du monde - qui incline au sens dessus dessous 

 

 

 

***

 

 

 

MÊME SI

 

 

 

Et si même c'était la fin de ces détours sans répit. Si s'éteignait l'esprit d'où naissent les méandres - mordre la poussière - peut être trouverais tu dans la métaphore le baume pour le corps endolori ? - peut être le trouverais tu en mordant la poussière ? - à la fin d'une course folle - tortueusement s'éloignant dans la platitude de l'attente. 

Si même c'était la fin de mon courage - restera une écharde - je perds la force de m'acharner sur une plaie - peut être une boucle sans fin butera t elle - un jour - dire tourne en boucles -  un martyr voudra bien s'abandonner à ma spirale - à ma place - sur la voie toute droite tracée par une bonne idée ? - dire se refuse trop souvent malgré lui - tout cela déboucherait il - entrainé doublement par l'ignorance et l'errance - dire se voue à l'erreur - sur une voix qui clairement se donnerait ? - dire et dérober les mots aux mains où s'inscrivait le temps - où débutait l'histoire.

Si même mon temps venait à finir - le pas s'entend à distance déjà - faudrait il déplorer de se taire ? - subsiste, et son écho revient - si venait à tourner court à l'heure des mauvaises raisons d'abandonner, le désir ? - scande le cours de la pensée  - si le temps épuisé l'avait quitté -  le pas ne renonce à rien de ses rêves de conquêtes - faudrait il pleurer l'esprit déchu ? - être défait surtout de ce glorieux épuisement - oublier de lire entre les lignes - qui vit à ma place - contourner les détours de l'esprit emprunté - à la place du désir.

 

 

 

***

 

 

 

PAUSE

 

 

 

Mon amour réside seule dans une vision
Seule dans l'espace où s'est figé le monde
Déjà absente à cette heure où le vent a soufflé
Où le vent à laissé sur son front
Une pensée
Alerte dans ce monde figé

Mon amour pense les yeux ouverts
Ses lèvres et ses mains miment des mots
Tout un langage fait de failles
Et d'errance 

Ce qu'elle dit ce qu'elle montre :
Les sables du désert, aveuglants et brûlants
La neige et la blancheur du vent
- L'index en mesure précède l'œil et l'idée
Mon amour ôte la vue aux savants
La main voit avant eux ce monde de voyants -

- Tout est né d'une bouche abyssale
Tout se dissout dans une mémoire sans fond -
Mon amour est passée derrière un voile
D'un geste d'un seul geste
Sans retour possible
On a fait cesser son temps de vivante
Pour qu'elle se fonde dans l'espace figé de cet autre monde 

Mon amour légèrement
A incliné la tête -
Une mèche est tombée
Et ses cheveux se sont répandus
Pour faire avec la pierre étendue
Une fresque faite pour son image
Mon amour légèrement
A aider la pierre à mûrir 

Et le ciel est un suaire
Au dessus de mon amour
Il pose mains ouvertes
Paumes offertes pour le corps qui s'incline
Pour le front qui se donne 

Et le ciel où se dépose
Le front de mon amour
Est un suaire pour son visage de vivante
Tout à son travail d'ombre et de lumière 

 

 

 

***

 

 

 

TOURNER LES MOTS

 

 

 

Je dois tourner les mots dans ma bouche
Polis comme galets de la plage
Le ressac et la rondeur des heures passées
À s'enrouler dans un temps sans fin 

Enfant j'ignorais qu'il fallait mourir cent fois
Qu'il fallait revivre cent et une fois avant de pouvoir dire 

Rouler les mots
Comme le sucre de l'enfance
Jusqu'à ce que la langue claque
Du plaisir d'entendre et de ressentir s'enrouler le temps sans fin
(Sur une disparition - une fuite vers l'oubli )
Dans le ressac et la rondeur des heures
Et le sucre et l'alcool à venir sans fin
A rouler dans la gorge
Jusqu'à l'espace creusé dans le souvenir
-les mots viendront une autre fois -

Tu sais bien quand tu te lèves le matin
Cette forme creusée par ton corps dans le matelas
Au cours des rêves de ta nuit
Tu sais bien cette forme s'estompera
S'effacera
Tu sais bien le lit  reprendra la plénitude de la matière
Pour accueillir à nouveau ton sommeil
Et tu t'enrouleras
Ivre comme galet de la plage
Dans le ressac et la rondeur des heures
A rouler les mots comme le sucre et l'alcool de l'enfance
Jusqu'à ce que l'espace se creuse 

Parfois l'amertume 

Je peux tourner les mots
Longuement
J'ai appris à remplir ma bouche
D'un plein de sucre et d'alcool et de phrases
Faits à la mesure de cette forme là qui creuse mes nuits
À proportion exacte de la fracture
Du vide
Et roulent galets polis par ma langue de brute
Dans les heures sans fin de la mémoire creusée
Dans le sucre et l'alcool de l'enfance
Ressac insaisissable 

À la fin l'amertume 

Songe qu'il suffirait de croire
D'inventer un récit
Un visage
Songe qu'un horizon
Une idée
Suffiraient à faire de ce vide que tu creuses
Un refuge 

Toujours l'amertume

Tourner les mots dans ma bouche
Jusqu'au coeur de la mémoire polie par la langue
Comme le sucre de l'enfance
L'ivresse enroulée sur son centre brûlant 

Le galet savamment usé par le temps sans fin du ressac
Jusqu'à cette forme transitoire et innommable
- le noyau creux d'un fruit inaccessible  interdit -
La langue claquera sur l'espace qu'elle a creusé
- L'étonnement douloureux du savant
Devant l'absence - son refus entretenu du vide - 

Et toujours l'amertume
Les mots viendront une autre fois 

 

 

 

***

 

 

 

DIALOGUE

 

 

 

Sur le battement même de l'aile éprouvée
Tu tournes une page noircie
Et tu ne reviendras pas
La pierre est immobile
Maintenant que tu es passé

"Ma poitrine est cette plaine
Ou s'échouent les soupirs
Et ou le granit luit sous les lames de la lune"

Tu parles la langue venue d'une nuit noire et d'un sommeil profond
Ça n'est pas la rosée qui résonne dans la fracture du matin
Ni le vol lointain de la lumière
Ce sont les sanglots pris par un gel estival
Qui se brisent sous le pas de marcheurs imaginaires 

"Chacun de mes membres est un voyage
Porté par une matière véloce
Et par la volonté d'un nuage enfoui
Je verrai le soleil à chaque heure du jour et de la nuit"

Ça n'est pas le jour qui encense les êtres éphémères
Sous la voûte de la lumière et jusqu'à l'horizon renversé
Ce sont des voix qui font trembler l'onde de la mémoire
Et s'abandonnent savamment à l'oubli 

"Je suis une crypte toute entière dédiée
Au présent des torrents que j'entends siffler
Sur le flanc de la montagne et dans l'herbe allongée sous le vent
Des torrents lents et audacieux
Sur mon ventre et au dedans de mes cuisses
Jusqu'au plus profond de la terre qui remplit ma bouche"

Tu parles une langue que je n'entends pas
Que je ne comprendrais pas
Tu parles à ma tempe qui bat
A partir de ton silence irrémédiable 

"Je suis pierre tombée
Modelée par la terre
Traversée par une vie sans dimension
Écrite maintenant par d'infimes tâtonnements affamés  
Je suis terre sans commencement ni fin "

Tu retentis dans le lointain quand je m'interroge à haute voix
Ou bien quand dans le silence de l'attente de toi
Je cherche à te toucher en lançant un mot à l'aveugle

En explorant l'obscurité d'un geste de la main autour de moi
Tu es cet écho enfoui qui répond à mes gestes
Mais quand je dis les mots que nous savions ensemble
Tout reste suspendu entre ma main et ta demeure 

"Mon corps s'inscrit sur les marées d'un lac lunaire
Peau chair et sang traversent des orages infimes
Portés par une nuée compacte
Mon corps inscrit sur la terre imite la dispersion des étoiles"
 

"D'abord raidit tout entier autour d'une sève noire
Comme une statue aux yeux levés vers le ciel
Je restai prostré, pensif comme le marbre
Puis je laissai le rêve d'un tout autre
Renouveler les formes de mes membres
Modeler la glaise qui avait fait de moi un marcheur"

- oh que tu restes en moi -

Là où se dresse ton nom
Viennent chaque jour une aurore
Un crépuscule
Mais jamais ne participent à l'alchimie qui recompose ta présence
Tu restes indifférent à l'épopée des jours et des nuits
Aux récits confiés par le vent à la pierre érigée là où tu te tins
Et j'accueille une ombre encore quand le feu du soir s'éteint
Un passant dans le monde juste avant la nuit noire
Une ombre évanouie déjà quand mon étreinte veut l'approcher 

-oh que tu te dresses encore en moi
Quand la nuit creuse le temps que je vis -