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A l’heure de la décolonisation de l’esprit

Ce livre, une référence dans le monde entier, a mis vingt-cinq ans à nous parvenir en français. Pourquoi ? Il s’agit pour Ngugi wa Thiong’o d’expliquer les raisons d’un choix politique et radical porté au cœur même de la langue : le choix de renoncer définitivement à l’anglais. Et d’écrire en kikuyu, du moins en ce qui concerne ses écrits fictionnels. Ainsi, Ngugi réfute les choix de la Négritude type Senghor autrefois ou bien ceux plus récents des romanciers de la francophonie pour affirmer la nécessité, de son point de vue, du retour à la langue natale en vue de décoloniser l’esprit, la langue, l’imaginaire, la vie. La poésie du langage. Ngugi est le premier écrivain africain à avoir adopté cette position radicale, violente même ; il est le premier a avoir rejeté la prémisse de la domination coloniale, et de la continuité de cette domination dans notre présent, la domination par la langue. Choix radical donc, sur le plan politique et littéraire, humain. Choix radical aussi, véritable choix d’engagement quand la publication de ses fictions en kikuyu revient à choisir de se couper du lectorat mondialisé. Pouvoir lire maintenant en français cet adieu à la langue anglaise écrit dans la langue considérée comme langue de domination par son auteur est salutaire, cela montre que peut-être nous commençons à comprendre que la venue d’une langue dans le cadre colonial n’est pas venue d’un don, bien plutôt subtilisation de langues au profit d’une autre. Et ce point de départ est aussi entame d’une discussion, pour nous lecteurs, sur le rapport entre langues et littérature, langue dominante et poésie à l’échelle du « village global ». Il reste un zeste de Tintin au Congo dans la déferlante de l’anglais. Sauf que nous sommes tous devenus des congolais.