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A propos de Claude Vigée

   Claude Vigée (93 ans le 3 janvier dernier) est un immense auteur dont une anthologie de l’œuvre poétique vient d’être opportunément publiée (1). Né à Bischwiller en Alsace, Claude Vigée a enseigné quarante ans la littérature comparée en Nouvelle Angleterre et à l’université hébraïque de Jérusalem avant de venir s’installer à Paris où il vit actuellement. En 1996, il avait déjà obtenu le Grand prix de poésie de l’Académie française et, en 2008, le prix Goncourt de la poésie.

     Que retenir de son œuvre importante de poète, essayiste, conteur, diariste, traducteur (notamment de Rilke), marquée par un grand éclectisme, car ses livres sont souvent des ouvrages patchwork mêlant différents genres littéraires ? Pour Claude Vigée, l’écriture est une nécessité vitale. « Il s’oppose à une conception du poème comme objet esthétique affranchi de son ancrage existentiel », note Anne Mounic dans la préface à la publication de ses œuvres complètes (2). « C’est le fond rural alsacien, relayé ensuite par la poésie biblique, qui donne à la poésie de Claude Vigée cette vigueur existentielle ancrée dans la substance terrestre de l’être ». D’où, chez le grand auteur juif, « une aptitude au réel et cette méfiance à l’égard de l’abstrait, fruit d’une expérience composite, qui fonde la vigueur de ses poèmes ».

     S’il fallait rapprocher Claude Vigée de certains poètes contemporains, on pourrait donc citer Reverdy, Bonnefoy, Jaccottet ou encore Guillevic. « Rien n’arrive, sinon/Etre présent au monde », résume laconiquement Claude Vigée dans un de ses poèmes. « La poésie, dit-il encore, passe parfois à travers les pires horreurs de l’histoire, et permet d’éprouver malgré tout l’extase sur les décombres » (dans Le fin murmure de la lumière, éditions Parole et Silence, 2009). « Les poètes, dit-il, ressemblent à ces chevaux de halage que j’ai vus remonter le cours du Rhin dans mon enfance : ils soufflent et ils souffrent, mais obstinément ils marchent en traînant leurs bateaux chargés de charbon ou de graviers jusqu’au terme du long voyage de la vie ».

     Claude Vigée a trouvé dans la Bible sa référence et sa source. Les figures de Jacob, Job et Jonas ont notamment marqué son imaginaire. Dans son œuvre, il nous montre ce que peut être l’espérance lorsqu’elle survit, « malgré nous, malgré tout », au lucide et terrifiant constat de « la démence meurtrière des hommes ». L’œuvre poétique est alors, selon lui, au service d’une aventure  qui la dépasse infiniment : transmettre la vie. « Le secret de l’arrachement/c’est ce parfum qui subsiste/et œuvre avec patience/sous la neige hors du temps/comme le cri du rouge-gorge/caché au cœur de l’hiver/dans la floraison blanche/de l’amandier invisible », écrit Claude Vigée, en décembre 1995, à Jérusalem.

         Face au doute et à la désespérance qui hante les auteurs dont l’œuvre est fondée sur le refus et la négation, Claude Vigée oppose l’affirmation d’une confiance lucide dans la vie et dans le langage. « Qu’est-ce donc que la poésie » ? interroge-t-il. « Un feu de camp abandonné/qui fume longuement dans la nuit d’été/sur la montagne déserte ».

 

(1)   L’homme naît grâce au cri, poésies choisies (1950-2012), Points Seuil, 336 pages, 7,8 euros.

(2)   Mon heure sur la terre, poésies complètes (1936-2008), Galaade éditions, 925 pages, 39 euros.