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À vol d’oiseaux, de Jacques Moulin

Il fallait compter, dans le domaine des arts plastiques, avec les oiseaux de Georges Braque, il faudra aussi compter, dans le domaine poétique, avec les oiseaux de Jacques Moulin…

    À tant décrire les oiseaux, Jacques Moulin dit quelque chose de notre présence au monde et des limites de la poésie. Son acharnement à capter la réalité des oiseaux l'amène à prononcer quelques sentences qui, si elles ne vont pas jusqu'à percer le mystère du réel, en égratigne quand même la surface : "Le poème chantourne. Dit-il au bout du compte ce que la buse enferme dans son manège ? Le poème toujours bute sur son froissement d'ailes - caresse du rêve".

    Jacques Moulin fait preuve d'un sens aigu de l'observation. Mais sa poésie n'est pas simplement descriptive, elle dépasse la plate observation pour déboucher sur une pensée universelle. À partir des oiseaux, Jacques Moulin dit les saisons et le monde des hommes : "Un train s'étire / les calcaires gardent en leurs fonds souvenirs d'Eux" ou "Le cormoran habite toujours par là / il attend sous le filin des grues / elles s'élancent / L'oiseau demeure". Cette permanence vient contrebalancer cette interrogation lancinante : "Y aura-t-il des fleurs d'orchidée pour la Noël". Et il n'hésite pas à présenter une vision érotisée du réel : "Assailli par les nonnettes sœurs agiles / leur bandeau noir accuse le crâne prend allure / de pubis joliment retroussé".

    Mais cette poésie est faussement libre car Jacques Moulin ne néglige pas la forme fixe. Le rondel (qu'il modifie parfois légèrement dans son architecture) côtoie le vers libre. Si j'ai bien compté, le recueil en compte une vingtaine. Curiosité sans doute que ce retour à cette forme qui renvoie à Charles d'Orléans même si on a pu assister à un retour du rondel à la fin du XIXème siècle. Mais pas seulement : la forme fixe fonctionne comme un piège pour mieux saisir ces oiseaux. C'est que Jacques Moulin est attentif aux procédés poétiques ; ainsi avec l'allitération dans un poème consacré à la corneille, ou avec la métaphore filée qu'il renouvelle en comparaison dans ce poème où il dresse un parallèle entre la pie et le tube de correcteur… Les chemins de la poésie sont impénétrables ! Plus sérieusement, seul compte le talent du poète et sa capacité à redonner vie aux vieilles formes et aux vieux procédés…

    À noter également les dessins très épurés d'Ann Loubert qui évitent la redondance ou la simple illustration. Une réelle réussite.