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AFRIQUE(S)

 

Matin

 

Une ampoule
baigne un
petit lit touffu
de son tulle jaune
et sale une forêt
de tecks nuages
emprisonnés bras
tendus vers le ciel.
Des enfants çà et là
mêlent aux roches
leurs rires aux tissus
étalés l'éclat de leurs
regards. L'eau moirée
d'un ruisseau de ses
aiguilles d'or tisse
sur ses pupilles
sa bouche et tout
son corps exposé
ce que le vent
d'un coup dissipe
en plein ciel de
fortune.

 

 

La ville

 

Tel un bœuf au labour
le vent raye la terre
sèche à l'infini.
Le regard happe
les boules d'épines
les lambeaux de
poussière pâle
que le soleil ronge
en un ballet strident.
Il aperçoit la ville au loin
éclat de craie sur
l'horizon tremblant
halo rouge coiffé de
palmiers immémoriaux.
Ses narines sa bouche
ses poumons en plein ciel
palpitent de bonheur.

 

 

Zénith

 

À l'ombre fendue
d'un palmier séculaire
chèvres noires et
haillons de latérite
attendent patiemment
qu'au loin roule
le feu.
Bourré de
rires hagards un
camion talonné par
un nuage de sang
traverse l'univers
écrasé
des boules d'épineux
emportées par
le vent. À sa bouche
craquelée
perle brillante et
pure une goutte
de sel que la soif
enflammée dans
l'air sec polit.

 

Paysage

 

Il arrache ses vêtements
et les jette dans le fleuve.
Il arrache sa peau et la
jette dans le vent. Il
arrache ses muscles
ses nerfs et ses tendons
nacrés et les enfouis
dans le sable. Il casse
un à un ses os et
allume un feu de joie.
Il brûle ses dernières
pensées. Ses mains
volètent dans l'air du
matin et ses yeux se
posent sur un paysage
de rêve dans lequel
s'enfonce un petit
chemin verdoyant. 

 

La poule

 

Dans la poussière rouge
un vélo dévide au rythme
grinçant du pédalier un fil
torsadé pris dans la dentelle
des flamboyants des filaos
ou l'ombre arrondie des
larges feuilles de teck.
Un homme en pagne de
terre agrippé au guidon
d'une main crispée retient
les lourds sacs de bois
à cheval sur le porte-bagage
surmontés d'une poule au
cou pelé inspectant la
forêt. Au bord de la piste
un enfant joue avec un
petit singe. Dans les hautes
branches des macaques
observent la scène
toutes dents acérées.

 

 

Le village

 

Hutte à moitié cachée
torchis de latérite et
de palmes tressées
bougainvilliers en feu
à l'ombre épaisse et
noire la fumée d'une
pipe dents d'une vieille
femme accroupie ridée
drapée de temps les
yeux dans le manguier
fruits lourds et fond
de ciel tendu sur le
village écrasé de
chaleur. Il avance à
pas lents craignant
de tout briser le
sommeil des enfants
le murmure des grands
arbres le cri d'un invisible
oiseau. Un petit cochon noir
bataille sur le seuil avec
un papier gras succulent
et juteux.

 

 

Nuit

 

Fumée des acacias en
plein cœur du couchant
lames de nuages noirs
posées sur l'horizon pour
contenir la mort et le feu
et l'esprit des forêts sur
les braises solaires. Chant
lancinant des femmes
rythme des peaux frappées
sol vibrant sous les talons
en lignes au claquement
des mains les oiseaux se
sont tus la vie enfin s'éveille.
D'un coup la nuit est là
les regards s'illuminent
les insectes paradent sous
la lampe-tempête la musique
se dilate et glisse vers le fleuve.
Sur un lit de feuillage il
contemple le ciel
sillonné de possible.