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Alain Suied : Le visage secret

 

Alain Suied est né en 1951 à Tunis. L’éditeur précise que « ses parents appartiennent à l’ancienne communauté juive de cette ville. Il n’a que huit ans lorsque sa famille part s’installer à Paris » où il meurt en 2008. Le visage secret est son 24ème recueil, le dernier composé de sa main. Il est ici précédé de trois lettres, brèves, d’André du Bouchet. La structure enfin de ce recueil repose sur deux parties inégales. La première fait un tout, en sept sous-parties. La seconde est ternaire et infime.

Si la poésie dit le monde, ou mieux : le rapport au monde d’un individu à une époque donnée, celle d’Alain Suied ne manque pas d’étonner. Le monde est réduit, ici, à sa quintessence ; l’homme même est totalement immergé dans des interrogations séculaires. La parole qui est donnée à lire relève d’une approche de l’absolu, de l’oracle murmuré sans bruit aucun, de la spiritualité sans illusion.

Autre étonnement peut-être : Alain Suied procède à la façon de Péguy, par cercles concentriques, mais, bien entendu, en moins charnel, en plus mesuré en terme d’embrassement, à la limite de l’effacement. Il écrit cette évidence : « L’absence n’existe que pour les vivants », ce qui laisse à penser les limites de l’espérance. Il écrit aussi le manque et les leurres.

Ce livre fore, en une suite de variations, comme pour une musique de chambre, « la terrible inadéquation / entre notre demande et le monde / entre les générations / entre l’appel et le secours / entre l’origine et son retour. » Cela n’empêche pas le poème d’amour où « ton regard devient mon horizon ». Mais le livre est rude en même temps que poli comme l’est un rocher par l’eau d’une rivière.

C’est un livre d’heures comme les aime Gérard Pfister, l’éditeur des magnifiques ouvrages des éditions Arfuyen. Un livre à tenir ouvert, un beau livre à partir duquel rouvrir la méditation de l’auteur. « Périr de lumière, tel est le sort / humain, dévoiler le secret // du jour ultime / et premier à la fois. » Le doute est à chaque page, quand même « les mots sont une trace / inutile ». Le présent est d’Alain Suied.

 

Extrait

 

Où est la trace du monde rêvé
dans le ventre maternel ? Où est la voix
et quel est le rythme de la rumeur
originelle, nous avons perdu, peut-être
la faculté de la partition, nous ne savons plus
peut-être, faire le départ entre nos idéaux
et nos insuffisances, trancher entre parturition
et patrie, entre le destin personnel et la commune
blessure de vivre et de partir ?
Il faut vivre, il faut vivre avec nos manques
ou admettre que le manque est aussi
notre destinations, notre part d’inconnu.
Où est la trace du monde espéré
dans nos yeux d’enfant ? Où est la voix
et quel est le sens de la parole
paternelle, nous avons perdu, peut-être
la Vérité de l’enracinement, nous ne savons plus
peut-être choisir entre nos révoltes
et nos renoncements, trancher entre élévation
et absence, entre le destin personnel d’un homme et la commune
blessure de vivre et de partir ?
Il faut vivre, il faut vivre avec nos égarements
ou admettre que la perte est aussi
notre destinée, notre part d’utopie.