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Alexandre Romanès, Le Luth noir

Il est Tsigane et écrit de courts livres à la fois poétiques et méditatifs. « Lire Alexandre Romanès, c’est connaître l’épreuve de la plus grande nudité spirituelle ». Christian Bobin le dit dans sa préface à Sur l’épaule de l’ange, un précédent ouvrage de l’auteur (Gallimard, 2010). « Juste une voix, ajoutait-il,et surtout le ton de cette voix : une corde de luth pincée jusqu’à l’os, luth dont il a joué dans sa jeunesse ».  

Alexandre Romanès, Le luth noir,
éditions Lettres vives,
 73 pages, 15 euros.

Ce luth, qui donne son titre au nouveau livre d’Alexandre Romanès, fait encore entendre sa sonorité au fil des pages. Mais elle est désormais plus sombre, emportant le poète dans « le royaume neigeux de la mélancolie », même s’il reste attentif aux « sonorités pleines de tendresse du luth baroque ».

 Alexandre Romanès n’est vraiment pas un auteur comme les autres. Avant d’être poète, il est un « enfant de la balle », fondateur du cirque qui porte son nom, Tsigane de son état. Et donc assez désespéré sur l’avenir de son Peuple de promeneurs (titre d’un autre de ses livres, Gallimard, 2011) car, dit-il, « être Tsigane/c’est ajouter une difficulté à la difficulté ». Aussi n’hésite-t-il pas à affirmer : « Quand mes filles seront vieilles/ma tribu n’existera plus ».

 Si les méditations, notations ou réflexions d’Alexandre Romanès nous intéressent et nous concernent, c’est parce qu’elles nous parlent – au-delà du sort spécifique des Tsiganes -  de notre condition d’homme dans un monde qui tourne de moins en moins rond. Alexandre Romanès, lui, a rompu les amarres avec ce monde. « Tous ces mots qui ne veulent rien dire/tous ces actes qui ne servent à rien/et ces gens si nombreux, si bruyants/où rien d’important n’entre dans leur tête/et ces livres qui ne possèdent même pas/une phrase qui vous touche ».

Désespéré, oui, pour toutes ces raisons. Mais aussi parce que la mort rôde. « J’irai rejoindre les plus pauvres/ceux qui n’ont que le ciel/et je dirai moi aussi je cherche/le silence et la nuit pour pleurer ». Sa bouée de sauvetage ici-bas, c’est la poésie. Celle des auteurs qui l’ont subjugué : Christian Bobin, Lydie Dattas, Marceline Desbordes-Valmore. De ces deux femmes, il dit qu’elles ont « le cœur plus sensible et plus tendre/que du papier d’Arménie/et un courage d’acier ».

Enfin, il y a ses cinq filles. Ses vraies raisons de vivre (Alexandra, Rijenka…). « J’ai perdu  la première de mes cinq filles.  Si  je dois en perdre encore une/je mourrai avec elle ».