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ALFRED BRUYAS

 

Long et pâle visage. Le peintre
a reconnu celui qui erre parmi les mots
des monologues, les buissons secs, hachés de traits
blessant ciels et gravures. Plume sur le chapeau. Voyage
à travers siècles et brouillards. Quinte de toux.
Qui donc d’un œil hagard hors des miroirs s’incarne,
se désincarne, et sans réponse. Il croit savoir

qui est le spectre et qui est l’Autre, comme
à la fin de la nuit, dans l’aube humide les paysages
reconstruisent leurs jeux et gonflent leurs volumes.
Nez aquilin. Les yeux surtout, le visage interroge. Est-ce
le sombre, le taciturne, le stratège ? Il entend

marcher dans la voix, l’eau clapote au milieu d’un rêve.
Puis une nuit, est-ce un théâtre ? son gilet vert.
Un Danemark de neiges, de sang, de soliloques. Devant lui,
l’homme assis le regarde. Parfois aussi,
l’espace d’un instant nous voyons, croyons voir
ce double périlleux qui nous hante.
Craignant au moment du sommeil qu’il ne verse
le poison doux des mots à notre oreille.

Ses mains fines et longues. Pour tenir un cigare.
Je songe à Mallarmé. Maintenant je regarde
à mon tour, assis dans un coin d’atelier. Les jours
se sont enfuis. L’hiver
sème ses confettis moins sur la ville
que sur nos vies par les hautes verrières,
plus une étoile, hiver sec et voix blanche,
trottoirs blancs. Que suis-je donc sous le nuage épais,
que sais-je ? que vaut notre savoir ? de la bouilloire
alors s’élève, près de la table
parmi tant de pinceaux, un sifflement moqueur.