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Anne-Lise Blanchard, Le soleil s’est réfugié dans les cailloux

Anne-Lise Blanchard : une poésie « engagée »

Mettre des mots sur les maux. Les chaos du monde contemporain mobilisent aujourd’hui des poètes. Une forme de poésie engagée refait surface ici et là.

Dans Bleu naufrage, élégie de Lampedusa (éditions La Sirène étoilée) le Rennais Denis Heudré  a ainsi voulu rendre toute leur dignité aux migrants disparus en mer, faire part de sa propre émotion devant les drames actuels en Méditerranée (« La mer, même pas en deuil/arbore son bleu des beaux jours ») et aussi dénoncer l’impuissance ou l’indifférence du monde occidental. Cette forme d’engagement on la trouvait aussi chez Yvon Le Men après les terribles catastrophes subies par l’île d’Haïti (Sous le plafond des phrases, éditions Bruno Doucey, 2013).

Les guerres cruelles qui sévissent aux quatre coins de la planète suscitent aussi le sursaut. A commencer par la  guerre en Syrie qui amène Anne-Lise Blanchard à prendre fait et cause pour les chrétiens d’Orient. Elle le fait à la suite de déplacements sur place dans le cadre d’une organisation humanitaire oeuvrant précisément pour ces chrétiens persécutés. En août 2014, elle découvre ainsi  les villes fantômes de Gousaye , Homs et Maaloula. « Cette dernière, rappele-t-elle, est une bourgade syrienne connue du monde entier parce qu’on y parle encore la langue du Christ, l’araméen ».

 

Anne-Lise BLANCHARD, Le soleil s’est réfugié dans les cailloux, Ad Solem, 105 pages, 16,90 euros.

Anne-Lise BLANCHARD, Le soleil s’est réfugié dans les cailloux, Ad Solem, 105 pages, 16,90 euros.

Dans son livre, des phrases en italique sont placées en regard des poèmes. Elles émanent de témoignages recueillis sur place, en Syrie, au Liban ou au Kurdistan irakien, se faisant à la fois l’écho des déclarations guerrières des milices islamistes (à commencer par Al Nosra, la branche syrienne d’Al Qaïda) et de la volonté des chrétiens de pouvoir revivre un jour sur la terre de leurs ancêtres. « Ce sang répandu, il me fallait en rendre compte, comme de la dignité et de la spiritualité vivante », explique le poète.

Les poèmes d’Anne-Lise Blanchard sont lapidaires, épurés, comme si la guerre entraînait aussi les mots à trancher dans le vif. « Sous les gravats/un dessin d’enfant/page froissée/d’une frêle vie/dont les murs/ne recueillent plus/les rires ». Pour Cristina, 3 ans, arrachée des bras de sa mère par les djihadistes, elle écrit cette berceuse : « Le jour s’est fait nuit/nuit de longue prière/chante mes entrailles/sans commencement sans fin/berçant l’abîme/de ton petit corps/Cristina mon bébé/fleur oiseau/l’impossible trace/qui se dérobe/dans l’innommé ».

Le sort des enfants, de bout en bout, bouleverse le poète. « Sans fracas les enfants d’Alep/se faufilent entre les brûlures/venues du ciel ». Anne-Lise Blanchard cite Nelly Sachs et Anna Akhmatova. Elle se met dans leurs pas pour témoigner de l’horreur et tenter de soulever les consciences. Livre coup de poing. Mais où pointe, malgré tout, l’espérance. « Le rebond/ d’un ballon/à Qafrun/et c’est l’été recommencé ».