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Anthologie de la poésie belge — 2

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JACQUELINE DE CLERCQ

Bruxelloise, Jacqueline De Clercq publie son premier opus de poésie, La Demeure des Aulnes, en 1991, aux éditions In’hui ; l’ouvrage reçoit le prix M. Van de Wiele décerné par l’Association Charles Plisnier. Paraissent ensuite, La Comptine du temps, Le Cormier, 1994, Courts circuits, haute tension , L’Arbre à Paroles, 1996, Le Dit d’Ariane, Orizons, 2008, Achaba & L’un parle de binche, l’autre du mandé, (recueil collectif) E.M.E. 2010 et nombre de contributions dans des revues de poésie françaises et belges. Les conférences présentées lors de colloques internationaux de littérature sont publiées dans les actes de ceux-ci : chez Ponts/Ponti, Milan, 2012, Orizons, Paris, 2008, Karthala, Paris, 2003 & 2016.

 

ÉPHÉMÉRIDES

« Le végétal nous dévoile »

Ghérasim Luca

il a plu cette nuit

à une feuille sans vie

de glisser sous

ma porte

il pleut sur les tombes

Fête des Défunts

le jour & les ombres

s’effacent

il pleuvra comme

sans fin. Infiniment me

plaira, Sol Invictus,

ton retour

∗∗

AUTOMNE

FIGU(R)ES D’AUTOMNE

elles

ont la forme

de petites couilles,

sont

dures et

vertes et

pendouillent

aux

rameaux défeuillés du figuier

  • leur manière de faire la figue à l’hiver !

∗∗

AUTOMNE

SCÈNE DE CHASSE À L’ENVERS

agglutinés derrière la clôture

du jardin, des chasseurs et

leurs chiens donnent

de la voix

en face

perchés sur le portique

des agrès, six couples

de faisans,

parfaitement alignés

les hommes gueulent,

les cadors aboient

pas une plume des

volailles ne tressaille

l’air s’emplit de menaces

Allez ouste !... Cassez-vous !...

Foutez l’camp, emplumés de malheur !...

cris, hurlements

glapissements rageurs

le calme campagnard trépasse

les volatiles demeurent

résolument immobiles

de guerre lasse,

les niguedouilles repartent,

bredouilles

LE TIR AU PERCHÉ EST INTERDIT SUR UNE PROPRIÉTÉ PRIVÉE

bien informés,

les gallinacés.

 

∗∗∗

RONY DEMAESENEER

Né en 1973 à Bruxelles. Bibliothécaire-documentaliste, chargé de cours en Histoire et technique du livre, anciennement libraire de livres anciens et d’occasions, Rony Demaeseneer est également auteur et collabore à plusieurs revues de critique littéraire. Chroniqueur, il anime régulièrement des rencontres littéraires dans le cadre de festivals et salons du livre. Il a collaboré au Dictionnaire Rimbaud (2014) aux éditions Robert Laffont dans la collection Bouquins. Depuis 2015, il anime les Dîners littéraires bruxellois à la Maison de la Francité. Il a publié en 2019 un récit poétique et familial entre Bruxelles et Prague, L’habitude (presque) rassurante des départs aux éditions Eléments de langage.

 

EXTRAITS DE « A MAINS BASSES »

…ils s’aimèrent en contrebande…

…ils s’aimèrent par les mains, sur des banquettes de bistrot, dans les arrière-salles, à l’abri des regards délibérément indiscrets des habitués qui ricanent à l’ombre des mousses brunes, sur les accoudoirs de trams aux destinations inconnues qui pourtant traversent leur ville, dans l’échancrure de chambres louées à l’heure, en plein midi pour échapper à celles qui, inévitablement, vous bousculent, vous hèlent, vous touchent, ils s’aimèrent en contrebande, sur les bancs paresseux de parcs désertés où n’urinent plus que les délaissés, transpirant sous le soleil quand il y en a, mouillant leurs cols de salive et de l’odeur de leurs mains dégraissées par l’envie de palper l’autre, d’en dévoiler la complicité pour peu qu’elle ne soit pas trop voyante, enfin donc ils s’aimèrent sur les autels d’églises désacralisées…

-

…une bière fraîche qui pétillera de toi…

…où serai-je quand tu auras disparu, dans un parc, assis peut-être sur un banc au soleil, sur une digue peu fréquentée tenant la main et le cerf-volant d’Arthur, sur une plage balayée par un vent léger sous un ciel gris, que ferai-je quand tu n’y seras plus, boire au comptoir d’un bistrot, sous une tonnelle devant une bière fraîche qui pétillera de toi, sous l’auvent de notre cour fleurie où tu es venue pour ta dernière sortie, dans les bras de celle qui sera enfin ma femme, dans les bras d’une autre, dans ceux de mon fils qui pleurera sans comprendre vraiment, qui rira pour un rien, dans un hoquet d’innocence, qui serai-je quand je me rendrai compte de ton absence, un seigneur, une ordure, un fumiste comme tant d’autres, un renégat, un trompeur, un trompé, une rumeur effacée…

-

désespérant de mettre la main sur…

…cherchant sur les rayonnages de ma bibliothèque un livre qui pourrait te rappeler à moi mais n’en trouvant aucun, désespérant de mettre la main sur celui qui me donnerait le goût de te ressusciter, de relever le son d’une voix qui ne fit que hurler, que je n’ai jamais entendue chuchoter le moindre mot d’amour, un seul encouragement aurait suffi peut-être à briser le vacarme d’une gorge avide de cris, de beuglements qu’aucun livre décidément ne pourrait faire taire

 

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PIERRE WARRANT

Né en 1963, Pierre Warrant vit et travaille à Bruxelles. Poète, photographe et voyageur par passion, il publie dans diverses revues littéraires et de poésie depuis 2005 (Recours au poème, Bleu d’encre, L’Arbre à Paroles, Terre à ciel). Il a contribué aux Anthologies « A claires voix » (Editions de l'Arbre à Paroles) en 2013, « La poésie française de Belgique / une lecture parmi d’autres » (Editions Recours au Poème) en 2015 et «Tétras Lire 1988-2018: l'Anthologie» (Editions Tétras Lyre) en 2018. Il est membre de l’Association des Écrivains belges de langue française et a collaboré à la revue du Journal des Poètes dont il fut membre du Comité de Rédaction jusqu'en 2018. Son premier recueil « Altitudes » a été publié en 2013 aux éditions Tétras Lyre. Il a reçu le prix triennal de poésie Nicole Houssa 2015 de l'Académie Royale de Langue et de Littérature Française de Belgique. Son deuxième recueil « Confidences de l’eau » a été publié en 2016 aux éditions L'Arbre à Paroles. Il a reçu le prix biennal de poésie Maurice Carême 2017. Son troisième recueil « Le temps de l'arbre » a été publié en 2020 aux éditions du Cygne.

 

Poèmes – Septembre 2021

1.

t’ont-ils confié ce qu’ils disaient entre eux

ils parlaient de choses

que tu ne pouvais comprendre

de chemins indécis

de clairières trop lointaines

ils recueillaient des signes sur la table

pour préserver l'aurore et le silence

en s'arrêtant sur une feuille

et tant de nuits penchées à la fenêtre

tu les voyais border le ciel de flammes et de pétales

ce n’était pas une parenthèse

rien de tout cela ne leur appartenait

leur travail était ici et faisait d’eux des hommes

sinon leurs yeux et leurs poitrines

que garderas-tu de tous ces noms

la cendre de la pluie ?

le poids d’une rose qui les vit naître ?

les mots d’une femme tombés de leur visage ?

une trouée une brûlure

le bruit des choses inquiètes

qui s’accomplissent et se prolongent ?

peut-être la mélancolie du vent

quand ils s’en vont un peu plus loin

blessés par la lumière

courbés en toi chassés d’eux-mêmes ?

2.

à l’autre bout de ton silence

je me mêlerai à l’eau de ton visage

au rire de ta présence

j’accrocherai des confidences

aux pierres posées sur ta patience

à tes joues fraîches comme l’enfance

j’écouterai la femme et le ruisseau

la bouche de nos aurores

l’ombre féconde de nos fatigues

ensemble

nous laverons nos mains dans la lumière

le vent léger dans les cheveux

l’ivresse ouverte à l’invisible

notre maison avec les fleurs

sera offerte aux heures passées

aux rêves d’éternité

aux jours à venir sous le feuillage

je t’écrirai un seul poème

pour approcher ce qu’il dira de toi

et les mots au repos

tomberont plus loin

entre chacun de nos espaces

 

 

∗∗∗

PASCAL FEYAERTS

Pascal Feyaerts vit dans le Hainaut où il exerce le métier de bibliothécaire et a écrit à ce jour six recueils de poésie (Acanthe et Coudrier) et un recueil de nouvelles (Chloé des Lys).  L’année 2010 le voit finaliser un spectacle musico-poétique avec la violoniste et compositrice Marielle Vancamp : Sur un nuage. Pour lui, le poète se doit de créer de la transcendance.

Baudelairien dans l’âme, soucieux du bel écrit et respectueux de l’histoire littéraire plus proche de nous il cite comme référence :  Karel Logist, Francis Dannemark, Marie-Clotilde Roose, Mimy Kinet, Phillipe Leuckx, Carl Norac, Eric Allard, Claude Donnay ou encore le français Christian Bobin pour n’en citer que peu.

Pascal Feyaerts est membre de l’Association des Écrivains belges de langue française, et expose parfois ses dessins essentiellement au fusain.

 

On ne sait plus

On était parole
Et on devient vent
On était Éole
Mais que faire du sang

Un épiderme
Nous rappelle
Que se vêtir de pierres
Se lester de sa présence
Donne naissance aux maisons
Mais ne dit rien
Sur l’origine des visages

*

Un visage on peut y entrer
Par effraction
Comme ça
Sans prévenir
Sans la moindre clé
Et s’y installer
Pour passer l’hiver
Entre deux rides

*

Tu sais écrire c'est écrire
des histoires que l'on met
à l'endroit ou à l'envers
on évite le silence pour
mieux y poser le verbe
mais le verbe dénonce nos errances
et on se retrouve réduit à l’absence

 

∗∗∗

FRANCOISE HOUDART

Françoise Houdart.  Poète et romancière belge, née à Boussu en Hainaut. Enseignante retraitée de l’enseignement supérieur. Anime des rencontres en classes, bibliothèques et autres cercles culturels autour de la lecture et l’écriture. Une œuvre poétique et romanesque couronnée de nombreux prix dont, en poésie,  le Gauchez Philippot, le prix Charles Plisnier pour Les profonds chemins, une nomination au prix Rossel pour Oublier Emma, le prix Louis Piérart pour, notamment, Tu signais Ernst K. et …Née Pélagie D.  et  le Prix de Littérature de la Province de Hainaut pour l’ensemble de son œuvre.  Tous ses romans ont été publiés par les Editions Luce Wilquin, aujourd’hui disparues.  Les  Editions Audace ont pris le relais en publiant son 20ème roman, Niokobok, écrit en soutien d’un projet humanitaire au Sénégal. Son dernier roman paru en avril 2021 a été publié par les Editions MEO.  

 

 

 

EXTRAITS DE « LE POURPRE DU JOUR »

J'ai pleins paniers de feuilles éteintes

petites vies chues en mes mains

petites morts ocres

familières

petits riens

L’automne à ta bouche

à le goût des noisettes

Je me sens écureuil

II

J’offre ma dernière enfance à l’investiture

du poème ainsi faut-il se déprendre

d’une présomption d’innocence

que la mémoire du jadis gardera intacte

et fervente

à la périphérie de la parole

III

Quand

nous seront rendues les ailes

Quand

au septième matin se dressera le jour

devant nos yeux fermés

comme montagne de clarté

Quand

nos ombres étourdies voleront si haut

qu’à toucher l’ultime octave du vertige

se consumeront avant que d’être les mots trop étroits

pour tant d’immensité

Quand

tout ce que nous aurons cru posséder sous le regard

et plus loin que la frontière du visible

tout nous aura été repris

et que nous seront rendues les ailes

alors

le temps sera venu de dénouer les pages

que retiennent les livres

et de les contempler

grands oiseaux

envolés des cimaises de nos mémoires

grands oiseaux

et nous

pierres immobiles soudées au même feu

nous

captifs à l’ancre du désir

nous

d’un battement d’ailes franchissant

la montagne

IV

Je convoque le monde

à témoigner de nous à l’échéance de nos souffles

lors qu’il suffit d’un seul oiseau

pour que la terre se souvienne

de l’arbre

et qu’ainsi ne cesse de s’accomplir le miracle

des saisons

Je convoque le monde

à l’humble repas de celui qui s’assied

sous l’arbre

et

partage son pain avec

l’oiseau