Antoine Azpitarte, Cinq poèmes
ENCRE
Lorsque la clarté des encres humides transpercera ta
glace volcanique et lactescente, loin des murmures de la
foule, une tâche d’univers expansifs miroitera sur les
vagues fragiles de ma respiration, de cette lettre et ses échos
pourchassés par les ombres languissantes tressées d’un dé
-à-coudre ! où se débattront les mots qui naîtront peut-être,
ces petites pattes noires et brillantes nimbées de Bilbaos
de fleuves Urumea…
sera un fin ruissellement derrière ces mains et ces feuilles ; le
rêve y dansera jusqu’à l’éveil paré pour un tardif Éden ; je
t’emmènerai – et dans la fraîcheur des ciels et de la large
Ilargia ; opiacée câline azyme toute laiteuse, oui !… le berger
sera un homme riche et viendra trouver la plénitude aux
abîmes, aux entrailles de tes yeux doux comme des vallées
dont les sources guériront encore... mon troupeau de milles
bleues obscurités...
l’irradiant…
∗∗∗
SAN SEBASTIAN
Au coin de la rue le libraire mourait dans des bars assassins.
Sa sève s’écoulait dans le souffle de la lumière. Le frotte-
ment était ténu. Il racontait si bien l’Histoire de Garcia
Marquez et les livres hallucinés, des liberticides contre les
ours des comptoirs, des anéantissements de nos consciences
qui subirent les nuages...
de notre enthousiasme…
Et toujours sur les ailes de la basilica del Coro, les
oiseaux juchaient... les songes d’or... Le temps argent
d’un fleuve altier qui remontait le courant s’ouvrait. Il
faisait son nid bien à l’abri des guitares de Castille. Il
emportait dans son portefeuille le souvenir des peignes
du vent...
ces falaises romanes…
Noirs de versets aux oreilles à l’orée d’un été clandestin
nous grimpâmes derrière l’Igeldo. Une nuit vallonnée
consumait ses cendres. Un sentier respirait des portées de
silences et d’ombres… quand nous attendions de nous y
éveiller, hagards sous une averse ! … des k des x et des z se
crashaient aux vapeurs de nos âmes…
ô le chant des pluies…
Anarkistak vous filiez du vin blanc, veniez au bas du
vent impossibles endormis... et parfois l’on se prenait à
vous aimer
∗∗∗
LE VILLAGE EUSCARIEN
La densité funeste s’y raréfiait comme… sur les ailes d’une
pierre envolée dans un silence – ce chant d’éternité bleu
marine envisageait le lampadaire qui me traversait, et où
s’extasiait le reflet d’une bourgade : une terrasse éployée de
roche phosphorescente. C’était mon village qui parait de
lumière vive,
la nuit cristalline et rêvant !
Elle s’y lovait. Nous dormions dans sa robe – nous y nocions
et brûlantes, les Oréades répandaient l’encens des Profondeurs
dont l’air bleu se dansait dans la brise ! et les parfums de la
myrrhe peignaient de jaune le torrent des Nymphes étoilées !
l’épaule de ces demeures glissant délicatement me raviva d'un
bonheur sponsal,
où la neige flamboyante m’épousait !
Et la rumeur du printemps arrondit aux narines la Calliopé
légère des chants d’oiseaux, les sentes sinueuses fraîchi-
rent ! le hameau frémit sur un pâturage de collines, de
fragilités – je reconnu la Fiancée au long de la chaste
enfance, qui dansa un jour à l'ascension de la paupière
lactée,
sur l'oreiller des reflets d'argent !
∗∗∗
ÉIRE
(à mon père décédé
sur le Lough Caragh)
- Le troupeau paissait sur ta peau aurorale et je mourais
rassasié je paressais parmi les lys suspendus au pay-
sage abyssal de mon délaissement oh laisse de tes
entrailles insondables et des collines de l’avenir…
ployer le nuage…
- Viens trouver les saumons doux d’amour et embrasser
mes grâces et boire mon lait sur l’abîme où le berger
demeure remonte aux sources des reflets une barque
t’y bercera vieil homme,
t’endormira…
Et ce nuage de bleu et d’or s’ouvrira sur l’immensité de
cette Terre nouvelle où tu t’éveilleras où la rivière et
le cygne atteindront la plénitude au clair de mes on-
des ces Naïades annonceront le fiancé des collines…
Ici vois !
∗∗∗
L’ASTRE AU FOND D’UN PUITS
Toujours tu survins au milieu des encres obscures comme les plumes blanches de l’aube
Toujours tu brillais comme l'astre au fond des eaux
La minuit n’en disait pas plus mais une onde de milles so-leils déchira ma douleur :
Ton enfance qui éveilla ma vie sur le pas incertain d’un doute
Et qui blesse cette nuit encore le bord de mes lèvres miroitantes de flammes où m’aveuglèrent !
Les promesses d’une grève mourant chaque matin dans les larmes.
J’y vis les reflets verts du Negev tombant en cascade de lumières sur le bitume des nébuleuses
La luminescence tressée des filets sur le sable sénégalais
J’y déchiffrais les petits caractères ge'ez inspirant un chœur de cierges blancs qui passa au travers le ciel…
J’y goûtais l’Extase et la Folie qui rentrent dans la terre le soir livrer leur secret
Une délectable petite éblouie de papier transportant son abîme au réveil
Et la fraîcheur euphonique des filles de la Naïade et du Soleil sur mon texte !
J’y entendais le dialecte des chèvres sèches
Et les craquements de papier de ma colonne à regarder les nuages craquants comme du papier quand revinrent
Leurs ombres surnaturelles humectant le bonheur des collines au mois d’avril,
Et les accents des rames sur l’aile de l’alpha-syllabaire rythmant la corne d’Afrique d’un écoulement léger
Ces sanglots qui réchauffaient la paupière de la Muse des poètes que l’on eut dite une algue écumeuse
Dont les reflets flottaient en écharpe d’Iris…
Je touchais l’ombre humide coulant comme des cheveux dans le silence
Et les notes de rosée se levant à mesure que s’avance encore la Nuit Noire du Froid
Le brûlot inversé d’Eubulie…
J’y touchais le mystère d’une respiration tressée d’Absen-ce entre mes doigts
En ressentais l’effroi lorsque son ventre glacial de bruire comme une dérangeante Pensée vide
L’azur était un fruit mûr gorgé de Clarté…
Et j’y respirais ces raisins piétinés pourchassés brûlés par la guardia
Et ce roseau brisé des musiciens battant aux vents de la Véhémence
Et les essences des villages des lacs des aubes nouvelles le Chaos au pied du phare paré d’éclats mystiques,
Il me revient le frémissement des miroirs
Où ton esquisse perlant précieuse se moulait aux prières d’oiseaux étranges qui grattent piquent encore la surface de ma prose
Y resurgissent mes pertes de conscience !
Je n’oublierai pas ces parfums puissants comme l'Absinthe
Dont la gorgée la plus petite éclatait une étoile jaillissante du plus grand Espoir l’espoir qui s’en vint
Quand tes sourires d’autrefois comme des vagues ruisse-laient des pays chatoyants des polyphonies…
Et allumaient du fond de mon trou les souvenirs d’un sommeil traversé d’air alerte dans mon crâne ô mon amour
Me voilà enseveli !
Et l’éternité me semble un outrageux désastre et me laisse inconsolable de ne sembler jamais détenir tes charmes…
Une amère sensation en monte dans la fumée
Ces oripeaux de lettres ces paysages s’évanouissent dans le ciel d’une fièvre toute puissante
Dont les lacets brûlants coulent des nuits de ténèbres et semblent s’enlacer au lait noir de l’envers des temps…
Pourtant
Jadis
Une nuit
Comme une précieuse guérison
Nous nous tressâmes jusqu’au jour et
Sur une terrasse de reflets de l’aurore sur la hauteur…
Tu frôlas mes lèvres...
De nouveaux échos de myriades façonnaient le matin d'un siècle d'or !
Le ciel était une étable qui n'a pas de mots.
* *
Le souvenir brûle à toujours. Miraculé des flammes, il se
joue comme
d’une harpe.
