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Max Alhau, Aperçus-Lieux-Traces

Une contribution des débuts, puisque cette critique a été publiée en février 2013.

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L’œil du marcheur

Le paysage est-il poème ? Ou bien est-ce le poème qui devient paysage ? Et que nous disent les paysages de notre être au monde et du passage du temps ? La figure du marcheur est récurrente dans la poésie de Max Alhau.  Avec Aperçus-Lieux-Traces, un ensemble de proses poétiques, il poursuit son cheminement.

L’alternance de la neige et du vert sur le sol devient réflexion sur l’ampleur d’un regard où se croisent l’imaginaire de l’enfance et l’étonnement. La mémoire des lieux visités, où le village de montagne succède aux grandes métropoles,  ravive le sentiment de la perte et du transitoire.  Sur les chemins qu’il parcourt, le poète se met en quête de leur histoire et de scènes où il entraperçoit les promeneurs qui l’ont précédé.  Face à deux bouleaux plantés dans un jardin, il interroge leur mémoire d’arbres, confrontés aux mutilations infligées par les hommes  à ce qui les entoure.

Max Alhau scrute l’épaisseur du monde, cherche à la percer dans un incessant questionnement au miroir du  paysage. La silhouette solitaire du marcheur qui traverse ces proses incarne au fil des pages notre humanité fragile et éphémère.  Elle se déplace dans des étendues dont le poète perçoit les recoins et les envers, posant un regard à la fois intérieur et extérieur.  Deux facettes se conjuguent, qui amplifient, élargissent le champ, se doublent l’une l’autre de tonalités et de nuances. Il est vrai que, désormais, franchir la frontière relève d’un acte blanc où la notion d’invisible l’emporte, jointe à celle d’uniformité.  L’œil franchit les frontières et rejoint le prisme où se superposent temps, passants d’époques différentes, couleurs et perceptions. Il ouvre à la conscience d’une profondeur cachée, multiple, qui échappe au marcheur seulement voué à la pressentir, parce qu’il est tributaire de l’éphémère. Terre à la renverse, dérivant vers d’autres siècles, muette et extatique, c’est bien toi qui te présentes à nous dans la cendre et le feu.

Mais tout peut aussi se confondre dans un élan qui transforme le malheur en sentiment d’allégresse,  comme dans « Petites proses montagnardes », début de la partie intitulée Lieux.  Les montagnes, ce qui fut terre d’asile, lieu de prédilection du poète, offrent une forme de rédemption.  Les limites semblent s’abolir au marcheur ébloui, sans qu’il oublie les lignes qui demeureront impossibles à franchir. Une fois encore le regard  s’ouvre et s’enivre ici de la démesure salvatrice de ce qu’il parcourt : arrêté en chemin, tu as peine à croire que la beauté du paysage étouffe ta peur, écorne ta tristesse qui s’enracine en toi à la pensée d’un nouvel exil.

Le regard s’arrête puis s’en va, comme le marcheur.  Si le départ est inéluctable, l’œil de la mémoire en défie les lois.  Et si le temps impose un passage au crible,  des images d’absents jaillissent : dans le trouble de la nuit se dessinent de légers traits de cette silhouette, quelques attitudes fugitives dans un lieu lui aussi mouvant, témoignage resurgi d’un exil dont on mesure la dureté.  La nuit aussi offre ses territoires à l’exploration de l’œil du songe, tourné vers les souvenirs rescapés qui s’y réfléchissent.  

À nous autres, aveugles au clair regard, Max Alhau découvre des échappées muettes inscrites au creux des arbres, dont il écoute la rumeur, leur droite dignité face à leur destin, fût-il celui de racines déterrées.  Il rappelle à l’humilité de ce qui se trace en sagesse si loin derrière nous : Si l’on était que le souvenir d’un temps dont on ignore tout... Il donne ici au lecteur un ensemble de textes que l’on lit et relit, continuant d’en explorer facettes et échos encore inaperçus. 

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