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Aurel Pantea, une voix à part de la poésie roumaine

Aurel Pantea est maître de conférence à l’Université d’Alba Iulia, en Roumanie. Il est né le 10 mars 1952 à Chețani, le département de Mureș. Pendant ses études à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca,  il a fait partie du comité de rédaction de la revue « Echinox ». La critique littéraire roumaine considère sa poésie comme représentative de celle de la génération littéraire des années 80, qui comprend des écrivains affirmés de cette période du siècle passé. Il a publié 11 recueils de poésie. Il écrit et publie aussi des articles de critique littéraire et des essais.

Sa poésie a été couronnée de nombreux prix dont le plus important, le Prix  « Mihai Eminescu » (2018). L’esprit critique a découvert dans sa poésie œuvre des traits neo-expressionnistes. L’unité de sa poésie tient dans l'exploration du côté sombre, caché,  des êtres et du réel. Il est aussi rédacteur en chef de la revue culturelle Discobolul qui paraît à Alba Iulia.

Extrait du livre d'Aurel Pantea Œuvres poétiques (Maison d'édition parallèle 45), auteur et voix : Aurel Pantea (C) ; compositeur musique & guitare : Silvan Stâncel www.silvanstancel.ro (C) ; studio : Moving Records - Production musicale et autres Movingrecords.

Poèmes extraits du recueil Le destructeur, Limes, 2012.

Traduction de Sonia Elvireanu

Pour Katia

                                               

Les gens dans la rue, comme tu les sens, comme une pâte,

secrétés par une impulsion sans niveau, éloignés et terriblement inhumains,

avec des voix sortant d’un état

déplorable de l’imagination, ils sont la fin, le jour mort, la réalité sans appels,

faite de choses de dehors,

tu les trouves parmi les morts, tu les regardes avec de vieilles envies, ils apparaissent

dans le flux ophidien des sens, dans les contorsions, les apparitions embuées,

comme les sens longtemps non-exercés,

il vient un moment où tu as honte de ton propre corps, quand tu ne supportes plus

la lumière sur ta peau, quand de tes bras glisse

une bête qui abandonne,

le monde en nous, si on pouvait le soulever avec nos veines,

si on pouvait, dans l’impudeur, ressentir des clapotis et des tons

en résorption,

on regarderait avec notre peau,

on revient à la matière pure, sans lèvres,

avec de la terre et des propositions dans la bouche,

on devient un avec le mot de passe noir,

au début d’un jour qui ne peut plus naître,

après des transactions défigurantes les visages produisent

une lumière illicite, comme le milieu du jour des morts, là,

une terre ondulée comme l’émotion

nous dit notre vrai nom

   

***

 

Biographies éjaculées,

des voix sorties d’une bouche éfondrée, je reste dans mon propre âge

comme dans une corde,  mes veines et mes propositions sont des cordes,

un soleil coule dans les fins des langages.

Les instincts fument, des chœurs de femmes,

la mort passe et s’oublie.

Regarder au cœur du mal, là

il n’y a pas de cœur, seule une sérénité sulfureuse,

elle mange mon poème

                                                                  ***

 

 

Un vieil homme s’installe en moi, il occupe peu à peu tous les coins,

pour l’instant on vit ensemble, on a les mêmes vices, on aime les mêmes femmes,

mais il grandit des choses auxquelles je renonce, à certains moments,

quand le langage même a une ombre, j’entends des souffles fatigués

et alors je dis :

Mon Dieu me digère, mon Dieu a faim,

mon Dieu se drogue, mon Dieu insulte, il ne fait pas de raisonnements,

c’est un type direct, il te crache au visage, souffre,  ses langages immédiats sont

le mépris, l’amour, la vengeance,

il ne fait pas de politique, il la supporte et la défie, mon Dieu reste avec tous les

putains,

il reste avec les poissons et il les aime tous, et il dit que tous ressusciteront, et tous

auront un peu moins peur quand ils mourront, mon Dieu fait tous les jours

des exercices de mort et de ressuscitation sur ma peau, et je l’aime follement,

encore faut-il aimer, n’est-ce pas,

de mon Dieu la plupart parle avec supériorité, c’est un

Dieu plus difficilement à supporter, parce que, parfois, il pue,

et en plus, il a beaucoup de morts sur Sa grande conscience, et tous ne sont pas réconciliés,

mon Dieu me ressemble, il peut être laid et agressif, il est vraiment violent

et vicieux, en parlant de lui je le fais comme moi, ce serait un péché, mais

c’est ainsi que je le sens plus près, il naît dans mes faiblesses, d’habitude,

le rien y habite ou quelque chose si désintéressée de signification,

que ça ressemble à rien, mais il aime mon rien,

ça m’a toujours ébahi, il sait que mon rien

est la semance du destructeur qui veut me connaître muet

***

 

                                             À Cis et au berger Ioan Moldovan

Le grain de la conscience de la mort tombe profondément en nous,

toi et moi, nous sommes très loin et nous regardons

les champs de blé et les moissonneurs,

dans la grande mort la débauche augmente

la fleur prédatrice

***

                                                                   

Aujourd’hui, j’ai vu mon cœur, il battait très loin,

il me semblait que ce n’était pas mon cœur, à côté, près d’un appareil sofistiqué,

la femme médecin  aux yeux bleus m’a laissé écouter un instant

ses rythmes, j’ai entendu de gros torrents et un sifflement,

le temps se tourmentait en grandes fleuves, ce serait vrai,

a dit la femme médecin, si on était au milieu,

si on revenait dans son cœur, on verrait les souterrains

d’où vient le destructeur

 

 

 

Récital au Gala de la poésie roumaine contemporaine Alba Iulia en 2016.