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Coralie Poch, Tailler sa flèche

La force de l’image-titre…

Et dès les premiers textes, l'émotion de reconnaître ce moment où la poésie agit.

 Je suis entrée par là
par le silence du cheval
par le verre à moitié vide
et j’ai reconnu le poisson
sur ton dos
 son œil ouvert
sur ma plus grande nuit. 
(…)
j’ai soulevé – c’était facile- la montagne
sa présence de mère
et j’ai pleuré. 

Coralie Poch, Tailler sa flèche, éditions La tête à l’envers, 2022.

Le lecteur est invité dans un univers qui semble chiffré, peuplé de signes récurrents - le poisson, le cheval, le sel, la montagne, la robe-. L’initiation à ce monde se fait par les images, alliances du concret et de l’abstrait, de l’onirique et du réel, du trivial et de l’étrange, marquées par  la tradition poétique qui a nourri l’écriture.

 J’irai dans l’écriture
entre deux oiseaux nus
tombant à pic
toujours sauve 
(…)

Ces rapprochements fulgurants ne relèvent pas du  procédé, mais caractérisent cette écriture qui nous fait accéder à son propre agencement du monde et à son ressenti charnel, dans la justesse d’une vision.

Tu mélangeras
les pluies et les mots sans savoir
on plantera notre infini ici
sur cette herbe sèche qui appelle tous les vents
(…)

Grâce au choix d’écarter la poésie narrative, ce n’est pas la perte d’un être essentiel, ce n’est pas le temps interminable d’un amour qui se défait, d’êtres qui se disjoignent, qui sont évoqués dans un discours, mais la souffrance crue, le tourment, qui sont donnés à éprouver par les flèches des mots. Vivre, c’est être un corps, qui endure, exulte, s’apaise, se fondant  dans les éléments du monde où il évolue jusqu’à se confondre avec eux. 

Mon corps s’est replié
coquille
tu ne sais plus me défaire
je fais l’équilibre sur les mains ne cherche plus
à te plaire mais je regarde quand même si
en bas de l’escalier
je m’entends dire :
la lumière qui reste
emporte-la. 

« Tailler sa flèche », n’est-ce pas le travail même du poète ? Affûter les mots, pour toucher le lecteur au plus juste, donner à éprouver son propre ressenti, plutôt que de raconter ou de discourir ?

L’arrondi du matin m’attendait
c’était le visage de ma mère
je me suis couchée dedans
toute nue 
(…)

-------------

Tailler sa flèche
au bord du lit
et n’avoir plus rien
à défendre
au bord du lit
jeter le mur par la fenêtre
(…)
tout ce qui vient de l’élan
nous suffira

Les phrases sont comme émises dans un souffle, portées par les vers courts, qui les déroulent jusqu’au bout de la strophe, dans le rythme d’une parole spontanée. Ce qu’il y a de vivant dans l’écriture - la voix, l’oralité-  est perceptible sur la page.

J ’écoute
ce qui en moi n’écoute pas les autres
et réclame
l’inverse d’une maison

un espace où passe le ciel

un cercle qui parle avec les vents. 

Les encres de Jean-Marc Barrier scandent les phases du recueil ; taches, traits et points inscrivent sur la page le jaillissement, et accompagnent  les trajectoires. En exergue, une citation de René Char, extraite des « Feuillets d’Hypnos », journal intime du temps de résistance, gardé longtemps secret, où sont tirées au jour le jour les leçons du vécu. « Dans nos ténèbres il n’y a pas une place pour la beauté. / Toute la place est pour la beauté. » Lui aussi porteur d’une « Leçon de ténèbres », le recueil  se place sous l’égide de cette formule. « Les mots sont des flèches qui nous aident à traverser le vivant, à être vivant » dit Coralie Poch. C’est dans cette violence, avec rapidité et précision, que sa poésie nous atteint. En plein cœur.

Présentation de l’auteur

Coralie Poch

Coralie Poch enseigne le français à Lodève. Elle enseigne le français à Lodève et coanime depuis plusieurs années l’émission de poésie les arpenteurs poétiques sur RPH et anime des ateliers d’écriture.

Elle a publié Le bruit des cailloux aux éditions La voix du poème en 2015, et Tailler sa flèche aux éditions La tête à l’envers en 2022 qui a obtenu en décembre 2022 la mention spéciale du Prix Rimbaud décerné par la Maison de Poésie/ Fondation Emile Blémont

© Crédits photos éditions La Tête à l'envers.

Bibliographie 

Le Bruit des cailloux, avec des encres de Laurence Bourgeois, éditions La Voix du Poème, 2014.

Tailler sa flèche, encres de Jean-Marc Barrier, Editions La Tête à l’envers, 2022.

Poèmes choisis

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Réginald Gaillard, Hospitalité des gouffres

A quelle aventure le poète invite-t-il le lecteur, en lui faisant signe par le mystère de cette alliance de mots ?

Hospitalité des gouffres, de Réginald Gaillard (Ad Solem), qui a reçu en 2021 le Prix Max Jacob, ex aequo avec Mon livre, de Patrick Laupin (le Réalgar), ainsi que le Prix Paul Verlaine de l’Académie française, est le troisième volet d’une trilogie poétique,  comportant L’attente de la tour (2013) et L’échelle invisible (2015). Une trilogie qui est aussi un édifice. Car l’auteur est un bâtisseur.

De recueil en recueil, une architecture se dessine, sur les fondations des scènes d’enfance. Nommées « Kinderszenen », elles empruntent à Schumann le titre donné aux pièces musicales écrites pour évoquer la persistance de l’enfance et son empreinte dans sa vie d’adulte. Ces « scènes d’enfance », non seulement constituent le terreau de l’écriture et de la vie, mais définissent aussi les choix d’écriture.

Il s’agit donc de scènes,  qui ne sont pas racontées ni décrites, mais données à voir  et à éprouver, comme les états, les sentiments, les expériences, par visions, images furtives, éléments du réel  mêlés de façon troublante à ceux de la mémoire ou de la rêverie. Cette écriture restitue la densité des moments, leur charge émotionnelle, suscite l’empathie : le propre de la poésie.

Réginald Gaillard, Hospitalité des gouffres, Editions Ad Solem, 2020, 128 pages, 17 €.

Comme un indice, le premier texte du recueil, faisant signe à Apollinaire, est un souhait devenant prière, l’image de ce qui va s’opérer grâce à la poésie :

Vienne le jour nouveau qui efface la nuit
Et que disparaisse enfin le doux tumulte

des voix fausses, car elles égarent l’esprit,
instaurent le règne d’un silence funèbre ;

que fonde le givre que partout je dépose,
quand tout semble mort en mes terres. Alors,

alors, se lèvera le léger bruissement
d’une robe où enfant je me réfugiais

aujourd’hui de terre rouge salie,
mais, demain, transfigurée de lumière. 

 

Les distiques, les  quatrains, en vers libres,  les poèmes courts, de quelques vers, les versets, livrent de façon à la fois  pudique et violente, le cœur de l’émotion, du ressenti, d’un seul trait.

Qui pleure oublié dans l’ombre d’un coin ?
Un enfant de ferme désormais seul- mais fort –

Renfermé dans la cour de l’école ;
Un orphelin qui perdit dans le pli serré

 de la peau du temps, celle qui était sa terre,
sertie de sang. Elle file en continu… 

 

Les choix typographiques, la ponctuation (usage du tiret, des points d’interrogation), l’élasticité entre la phrase et le vers, l’enjambement, préservent  et restituent la spontanéité de la pensée.

Qui de nous deux rejoindra
l’autre pour lui donner

le baiser fougueux du pardon ?
- J’ai besoin de la ramure de tes bras…. 

 

Le recours permanent au concret et au visible font de l’image et des correspondances l’expression naturelle de l’écriture.

Quand même le ciel serait lacéré
Par nos ombres meurtrières,

Recousons-le avec les fils ténus,
Et même usés, de nos poèmes 
(…)

 

Les onze textes  du  prélude  constituent un territoire auquel l’ensemble du poème se réfère. Ils complètent, renchérissent, ou constituent des variations sur ce thème (presque au sens musical) des Kinderszenen de L’échelle invisible. Ces scènes contiennent tous les enseignements pour la vie à venir.

L’état d’innocence de l’enfance  est  bouleversé par le premier drame,  il est le théâtre de l’ouverture du premier gouffre : la mort de la mère. 

Il n’est plus temps de tricher,
De prendre la pose et de faire miroiter ;
De croire au merveilleux, aux fables.
Les chevaux ne sont plus de bois – las…

 La cloche de l’école a sonné – elle est fêlée.
A son bruit les jeux de l’enfance ont fui

-  Je n’avais guère plus de six ans.
Maintenant, on meurt pour de vrai. 

 

Voici  livrée l’expérience d’initiation à la cruauté de la condition humaine : l’élan vital est désormais en permanence menacé par ce qui pourrait le briser. Ce qui est le sort partagé de tous, l’éternelle hésitation.

Evoquée dans les précédents recueils, dans une distance subtile, la mort de la mère confronte l’homme  en devenir à ce qui sera le tourment de sa vie : l’injustice du sort et la nécessité  de croire, malgré le silence et le doute.

Ces scènes fondatrices ouvrent  sur les trois parties centrales, aux titres ostensiblement connotés.

Acedia, Dies irae, effata : les termes appartiennent au champ de vocabulaire de quelqu’un qui fréquente les Ecritures, en est nourri, dont la vie, comme le poème, est imprégnée par la foi chrétienne. Pas d’effusion explicite à ce sujet à la manière des romantiques, mais l’évidence d’une coloration mystique assortie de signes, de références, comme si, discrètement, allusivement, le poète se disait résolument constitué par cette vision de l’existence.

Dans L’Echelle invisible, ces termes étaient déjà présents, dans une partie intitulée « Acédie et colère ». Dissociés ici, ils marquent  la conscience d’une progression.

Acedia , titre de la 1ère section centrale, est un mot qui désigne le péché de négligence de soi, de sa vie spirituelle, mais aussi l’ennui  (au sens de lassitude et de tourment) de vivre.

Dans cette section se trouvent les poèmes de  la tentation du renoncement, du désintérêt pour les luttes vitales et les combats. Toute une gamme de sentiments liés à cet état sont évoqués, la mélancolie, l’indifférence, le détachement  de la vie. On est proche  parfois du spleen baudelairien.

Aridité

Lente progression du chaos, tu peines
Parmi les pierres, dans le râle des vents,
A la vie  contraires. Douceur, chaleur

Ne sont de mise. Ô calvaire
Quand l’attention se fait aride,
Quand l’aigreur calcine le figuier. 

 

A jamais me tairai

Pourquoi es-tu si seul et cette maison si vide
Quand même t’entourent tes frères,
Mineurs de fond, âpres et brillants travailleurs ?

Pourquoi plus rien ne te tranche en deux,
Ni la brûlure des baisers interdits
Ni la trahison joyeuse des amis ?

Tu glisses, lent – et l’ennui bâtit sa demeure. 

 

La deuxième partie, Dies irae,  le jour de colère, le chant de la mort dans la liturgie chrétienne, tant de fois traité comme un motif,  devient un espace poétique exploré comme celui d’un homme aux prises avec sa foi, ses doutes, et ses pulsions,  et dans lequel il va côtoyer  d’autres gouffres,  les habiter,  et peut-être y sombrer .

Car la mort qui « repasse » est nommée à nouveau, ainsi que les autres abîmes,   les « vilenies », les « noces sombres », le ciel « bouché par la ouate noire/ du souvenir malade des absents »,

Dans cette partie cependant, un combat est mené, l’homme cherche à dépasser l’acédie.  La révolte, la colère, infusent leur énergie.

Je vole au ciel le murmure de sa promesse
jamais tenue 

 

Dies irae IV

La nuit est tombée ; commence la vie.
Seuls restent éveillés les guerriers en armes

Qui vont, chant sur les lèvres, vers leur mort,
La peur au ventre, la peur d’être indignes.
Epreuve du feu, du sexe ; brasier de la langue
- Que ne suis-je devenu prêtre, ou soldat 

 

La progression continue de s’accomplir dans la troisième partie centrale, Effata. Jean-Yves Masson, dans son éclairante préface, rappelle le contexte et le sens de ce terme : « Ouvre-toi » est le mot prononcé par le Christ pour amener à la parole un homme sourd et muet, et le geste qui l’accompagne, dans l’Evangile selon saint Marc.

L’ouverture à la parole poétique et à ses pouvoirs,  c’est une injonction que le poète se donne à lui-même, à cet effort d’écrire, de nommer ce que l’habitation des gouffres lui a appris.

Un seul geste suffira

(…)
Malgré tout, malgré l’abîme flamboyant, toute
honte bue, au calice calciné, maintiens sauve

 la pure possibilité de reconstruire en dur,
l’innocente circonstance de revenir

vraiment au monde, renouvelé par un geste !
Car seul suffira un geste à effacer l’affront
                      Effata ! 

 

C’est la partie dans laquelle le dialogue du poète avec sa foi est le plus explicite, où l’image presque physique du Christ traverse les poèmes, le moment où il recherche la main amie qui va le conduire et l’aider.

Une lumière pâle

Persiste dans le crâne une lumière pile
infime mais tenace. – Calme, n’ayez crainte…

Tant que je la verrai luire, tout au fond, 
Sans heurt je marcherai. Et que jamais

Ne me menacent, ni me saisissent
Les ténèbres qui  rôdent, alentour et ici. 

 

Par degrés, nous avons été conduits du fond du gouffre  à la lueur puis à la lumière, à la « promesse du soleil ».

Enfin, à la fois comme un aboutissement et comme un mouvement de côté,  dans la dernière section, les « éléments épars pour une poétique », montrent un moment où le poète est au travail, où l’écriture a pris toute la place et donné du sens, et a presque éloigné le doute.

Les « éléments épars pour une poétique » apportent les éléments pour un art de vivre.

Le gouffre devient l’espace où l’écriture transcende le vécu. Le combat pour ne pas sombrer trouve dans le gouffre lui-même la matière de l’écriture.

La lueur des gouffres

J’avance en aveugle, me dirige à l’instinct.

Ainsi seulement je vois et connais des gouffres
 la lueur hospitalière. C’est parce que je ne sais rien,
ne vois rien ni n’entends comme les autres
que tout m’apparaît possible, sous un autre jour, 

comme si je croyais, naïf,
en quelque efficacité de la parole,
à augmenter la matière du réel
à accroître le désir des regards. 

 

Rimbaud est présent, comme un exemple et un secours. (Adieu, Une saison en Enfer)

J’espère l’usage, l’usage inconnu

Ecrire, contre tout écrire, tenir le pas gagné,
Arraché aux gravats qui s’amassent dans la tête
(…)
J’aspire à la nage, j’espère l’usage ; l’usage inconnu
D’une langue qui osera tout, tout autrement,
(…)
et qu’enfin je voie

et qu’enfin je sente
et qu’enfin je sois

et dans le monde et du monde
étiré entre terre et ciel

entre le chant de la chair
et celui des morts. 

 

C’est le moment de la résolution, aux deux sens du terme : le poète est déterminé, et il a résolu son tourment par l’écriture.

Le dissimulé

-  Que cherchez- vous ainsi comme un fou ?

-  Ce qui demeure dissimulé, là, que je sens, mais qui échappe à mon regard. Ma chasse n’est pas folle ; elle est elle-même le sens.

 

Ce recueil, dans la continuité des deux autres volets dont il est l’aboutissement, construit  l’histoire d’un chemin d’écriture qui est aussi une leçon de vie. L’oxymore  du titre est aussi une métaphore de la contradiction qui habite l’être humain, entre l’élan vital et le désespoir.

Une « postulation simultanée », associée à cette puissante et archaïque image du gouffre, rejoint « L’expérience du gouffre » baudelairienne, analysée par Benjamin Fondane. Attente de la « tour », « échelle » invisible, hospitalité des « gouffres » : que les mots des titres ne nous trompent pas. Le mouvement est bien celui de l’élévation.

Hospitalité des gouffres trouble et réconforte. Un partage d’humanité auquel seule peut parvenir la haute poésie.

 

Présentation de l’auteur

Réginald Gaillard

Réginald Gaillard est un poète, écrivain et éditeur français né en 1972 à Béthune. Il est le fondateur et l'actuel directeur de la revue NUNC et des éditions de Corlevour

© Crédits photos YouTube I KTOtv.

Bibliographie 

Poésie
  • 2021 : Ne pas revenir, accompagné d'encres de Chantal Giraud Cauchy, Livre pauvre, Collection Daniel Leuwers.
  • 2020 : Hospitalité des gouffres, préface de Jean-Yves Masson, Ad Solem (Prix Mac Jacob 2021 ; Prix Paul Verlaine de l'Académie française)
  • 2015 : L’Échelle invisible, préface de Fabrice Hadjadj, Ad Solem
  • 2013 : L’Attente de la tour, postface de Pierre Oster, Ad Solem
  • 1994 : Polymères, Éd Ludovic Degroote
Prose
  • 2017 : La Partition intérieure, Éditions du Rocher (roman)
Essai
  • 2021 : Eboulis et moraines, Éditions Corlevour (fragments, notes & articles)

Poèmes choisis

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La Maison de la Poésie Jean Joubert et ses partenaires en période de “distanciel”

Comme tout le monde, en raison de la crise sanitaire, nous avons été confrontés à l’arrêt brutal des activités en mars 2020. Au beau milieu du Printemps des Poètes, un de nos temps forts de l’année,  comme tous les lieux culturels, nous avons dû fermer dans l’urgence, renoncer à notre programmation, annuler, reporter…et réagir, inventer. Imaginer d’autres formes pour continuer à faire partager et circuler la poésie. 

Le Printemps des Poètes 2020 avait commencé dans une sorte d’insouciance : affluence à l’ouverture avec « l’anthologie orale et éphémère » sur le thème de l’année, (le bienvenu Courage ! ), public nombreux pour Soulages intime au Musée Fabre, Poésie chinoise : modernité, à la Médiathèque centrale Emile Zola, Jeunes pousses irlandaises, Laura Tirandaz (avec le théâtre des 13 vents), Génération poésie debout, avec Francis Combes et ses jeunes poètes. Et tout à coup, report des rencontres…Ariel Spiegler et Etienne Paulin, Jean D’Amérique, Pierre Vinclair, Estelle Fenzy…à plus tard, à bientôt… Comment réagir ?

 

Jacques Guigou dit quelques unes de ses strophes choisies dans ses derniers recueils. À Montpellier, Maison de la poésie Jean Joubert. Soirée "Deux poètes et la mer" (avec Jean-Louis Kéranguéven), 24 janvier 2019.

Nous avons la chance et la force d’avoir de nombreux partenaires, (musées et médiathèques, centres culturels) et nous avons eu l’impression d’une réaction collective très rassérénante.

En « distanciel »…
Filmer, enregistrer, constituer des archives

Avec le Musée Fabre et le Musée Paul Valéry, a tout de suite été mise en place la solution des tournages vidéos pour  les rencontres, visites poétiques, lectures concerts, qui ne pouvaient avoir lieu « en présentiel », devant du public.

Estelle Fenzy, Alain Andreucci et Claire Menguy, ont été filmés au Musée Paul Valéry, la visite poétique et musicale Pour saluer Frédéric Bazille, avec le comédien Stéphane Laudier et les musiciennes Isabelle Mennessier et Héloïse Dautry, au Musée Fabre,  et les lectures Saison contemporaine : Bloch/Bordarier/Arnal  enregistrées en studio par des comédiens.

A la Maison de Heidelberg, nous avons filmé les lectures bilingues, par Nadine Gruner et Stéphane Laudier, comédien, du poète Hans Magnus Enzensberger.

Peu enthousiastes à recourir aux « visios » et aux vidéos par téléphone, nous avons fait appel au vidéaste Gérard Corporon, pour réaliser de petits films dans notre lieu. Nous avons créé notre chaîne Youtube, et nous avons ainsi constitué une collection de précieuses archives, où l’on peut voir et écouter James Sacré, Jean D’Amérique et Lucas Prêleur, Raphaël Segura, Pierre et Patrice Soletti, le musicien Ramon Prats,  la poète Rosa Pou, Jean-Marie de Crozals, Sylvie Fabre G, la violoncelliste Claire Menguy, et les enregistrements partagés avec nos partenaires.

Partager, échanger, faire savoir

La poésie n’est pas un divertissement que l’on peut différer, elle est une nourriture et un partage quotidien. Les réseaux sociaux et le blog de la Maison de la Poésie Jean Joubert  ont été des outils essentiels car ils nous ont permis de garder le contact, la visibilité,  et de continuer à communiquer avec tous les passionnés qui suivent nos activités. Nous nous sommes rendu compte que ce public de l’ombre, du « distanciel », nous serait toujours fidèle. Nous avons donc utilisé largement nos pages Facebook, créé de nouvelles pages sur le blog, et ainsi étendu notre audience. Nous avons remarqué bien sûr la forte consultation des revues en ligne, des sites, des blogs.

Maison de la Poésie Jean Joubert. Printemps des Poètes. Nul chemin dans la peau que saignante étreinte. Concert littéraire Jean D'Amérique et Lucas Prêleur Partie 5 : à James Noël, Makenzy Orcel, James Saint-Félix, et d’autres allié(e)s contre les codes.

Publier

Notre blog, très consulté, est devenu aussi pour un temps un outil de publication. 2020 a vu la disparition de l’un de nos plus grands amis : le poète  Frédéric Jacques Temple. En 2021, qui aurait été l’année de ses 100 ans, nous n’avons pas voulu renoncer à lui rendre hommage. J’ai alors demandé à une vingtaine de poètes, amis proches, d’écrire ou de nous confier un texte pour saluer sa mémoire. J’ai reçu, immédiatement, des merveilles. Quel réconfort ! La publication, sur le blog, pour le Printemps des Poètes 2021, a connu un immense succès. Les éditions Méridianes et Domens nous ont alors proposé de publier en volume cet ensemble de textes, et c’est ainsi qu’est né  Dans le soleil de tes mots .

Une autre publication a été très consultée : les « Poèmes pour le confinement », réunis par le poète Claude Adelen, soucieux de donner à chacun, chaque jour, un peu de la nourriture poétique qui a été la sienne tout au long de sa vie. Merveilleux partage avec un érudit et un amoureux de la poésie dans toutes ses époques et métamorphoses. Un projet de publication en volume est également en cours.

Figurent aussi sur le blog les textes écrits par les lauréats des « Nouvelles Voix d’Ici », notre dispositif d’encouragement à la création, ainsi que les textes écrits par les participants à l’atelier d’écriture. Le poète Patricio Sanchez, animateur, a continué ses séances en visioconférence.

Maison de la Poésie Jean Joubert, Printemps des Poètes, En mémoire de Frédéric Jacques Temple par James Sacré.

En « présentiel » … Les festivals

Festival Voix Vives à Sète

Fidèles du festival porté par Maithé Vallès-Bled, nous n’avons pas participé en 2020 au festival Voix Vives, faute de volontaires pour tenir le stand, en ces temps incertains et risqués.
En revanche, nous étions bien présents en 2021, pour présenter sur notre stand les publications de nos adhérents, et pour des lectures sur le podium de la Place du Livre. Renouer avec le plaisir de la rencontre, de l’échange direct…

Festival de poésie sauvage à la Salvetat-sur-Agoût.

Quel beau nom ! Il correspond tout à fait à l’esprit libertaire de cette manifestation qui se déroule pendant les belles journées de la fin août, presque entièrement à l’extérieur, dans divers lieux (jardins, bords de rivière, merisier…) dans ce village des Hauts-Cantons de l’Hérault où  Jean-Marie de Crozals, un « fou magnifique », selon l’expression de Jean-Pierre Siméon, parrain du festival 2021, fait vivre à tous sa passion de la poésie. Poésie en pleine nature, dans le partage spontané. En 2020, ce fut un havre d’insouciance dans cet été d’incertitude. En 2021, une jubilation, autour de la parole enthousiasmante de Jean-Pierre Siméon.

Printemps des Poètes. Habiter poétiquement le monde à la Maison de la Poésie Jean Joubert. Lectures par Maud Curassier. Partie 4 : Le monde contemporain : Laurence VIELLE,  JMG LE CLEZIO, Philippe JACCOTTET.

Festival des Sources Poétiques, à Saint-Chély d’Apcher.

Nous soutenons ce nouveau festival porté par le poète Benjamin Guérin au cœur de la Lozère en novembre. Heureux de partager cette aventure.

Le Marché de la Poésie

Après vingt-huit mois d’absence, nous nous donnons tous rendez-vous place Saint Sulpice, le lieu de fête de la poésie où tant de rencontres et de projets se nouent.

 Cette traversée  de crise sanitaire n’a pas été infructueuse. Une évidence :La poésie est partout. En « distanciel », elle est restée présente. Redevenue vivante, elle montre sa nécessité, son incontestable vigueur, sa capacité à exister sous toutes les formes, par tous les temps. Merci à tous ceux et à toutes celles qui la font vivre, livresque, numérique, de vive voix.

Printemps des Poètes. Habiter poétiquement le monde à la Maison de la Poésie Jean Joubert. Lectures par Maud Curassier Partie 3 : Le monde moderne :  Rainer Maria RILKE, Marina TSVETAIEVA, ELUARD, MICHAUX.

Printemps des Poètes. Lectures de poèmes de l'anthologie-manifeste "habiter poétiquement le monde" par la comédienne Maud Curassier, à la Maison de la Poésie jean Joubert. Partie2 : Le monde post-romantique Henry David,  Thoreau Nerval, Emilie Dickinson.




Enza Palamara, Ce que dit le nuage

A force de contempler ce qu’elle contemple, l’âme  devient ce qu’elle contemple.

Cette phrase du philosophe Plotin est à méditer pour saisir où se situe la « quête spirituelle » d’Enza Palamara.

Enza Palamara, universitaire spécialiste des œuvres de Baudelaire, Bonnefoy et Guillevic, passionnée par les liens et les correspondances entre peinture et poésie, a publié aux éditions Poesis un ouvrage, « inclassable » comme l’on dit. Fruit d’un travail accompli durant une laborieuse convalescence, dans lequel des dessins au fusain ont donné naissance à des mots, puis à des fragments poétiques, il se présente comme un triptyque encadré par un prélude et un postlude qui livrent les clés et l’analyse de cette aventure singulière de découverte et de reconquête de soi.

Les éditions POESIS, fondées en 2015 par Frédéric Brun, « se consacrent à la relation poétique avec le monde, au-delà des mots et de tout genre poétique. »

Enza Palamara, Ce que dit le Nuage, Editions Poesis.

C’est dans cette mystérieuse zone que se développe le travail d’Enza Palamara.

Chercher le Pays de l’âme, ce pays où, selon Plotin, cité par Bonnefoy dans L’arrière-pays, livre essentiel pour Enza  Palamara :

Personne ne marcherait comme sur terre étrangère

est le sens de ce travail guidé par une impérieuse intuition, venue de l’enfance.

Avant le voyage proprement dit, voyage en trois étapes qui sont aussi trois chants, le prélude nous informe sur la démarche et la genèse. Nous allons assister à une expérience d’élévation au sens baudelairien, en suivant l’itinéraire de la guérison de l’âme lors d’une convalescence, corps et esprit éprouvant de manière similaire et distincte le retour à la vie.

Dès le prélude, nous sommes invités à partager l’aventure d’un voyage déjà accompli, à le revivre avec l’auteur. Les phases en sont élucidées avant même que l’on ne s’y engage.

La force qui la conduit passe par le dessin au fusain, dans les trois carnets qui jalonnent ce chemin intérieur : L’assomption du Moi, Le Rapatriement du monde, Le Chant de l’âme, et dans le « postlude », épilogue poétique.

Expérience mystique ? Des formules comme «L’assomption du Moi», «Le chant de l’âme», pourraient le laisser penser. Enza Palamara cherche le point où se rencontrent mysticisme,  métaphysique, et poésie, mais dans la plus simple expression.

 

Au cœur du Nuage 
ou de la vaste me
tu retrouves
les horizons qui te sont chers 
et tu poursuis 
ton œuvre
toujours attirée
au-delà de toi-même
Tu presses le Nuage 
tu sillonnes la vaste mer 
comme si 
ton humble et pur 
élan d’amour 
voulait atteindre 
l’univers
tout entier

 

Enza Palamara se livre à un travail de décryptage de ces messages venus du plus profond de soi.

 

Don qui se multiplie
Jaillissement
d’une source intérieure
intarissable

 

Le mode de travail est celui des « carnets », de la prise de notes.

C’est d’abord, dans un état de faiblesse physique dû à la maladie, pour imager son ressenti, pour noter par des croquis les messages qui lui parviennent. Les dessins n’illustrent pas les textes, c’est l’inverse : le texte naît de la note prise au fusain, dans l’urgence, d’une intuition venue du subconscient. Des dessins figuratifs accompagnant les « balbutiements ». Un retour à l’enfance  pour approcher une vérité, sans chasser les maladresses, en en  faisant même des outils.

 

Qui fait surgir
de mes doigt
ces images
semblables à celles 
qui illuminaient mon enfance ?

 Résurrection 
des émois
les plus tendres

 

À la recherche de son « vrai lieu », de sa patrie, l’âme parcourt un chemin où la guident les poètes qu’Enza Palamara désigne comme ses « figures tutélaires » : Baudelaire, Nerval, Bonnefoy, Jaccottet…

Les poèmes sont courts, comme  les vers qui les composent. Le rapport entre la phrase et le vers est celui d’une hésitation, d’une rupture presque du rythme de la pensée, qui s’esquisse, puis se constitue, et s’énonce : `

 

Arbre
annonciateur
de chemins cachés
chemins de lumière
Chemins
qui répondent
à un appel

 

C’est ainsi que nous feuilletons un livre illustré, aux images simples, parfois naïves, «coloriées» dans la dernière partie, le « postlude », où elles deviennent  enluminures, au moment où le message devient de plus en plus lumineux. Nous suivons l’auteur dans cette expérience régressive, comme vécue dans les limbes, acceptant gestes et mots d’enfant. Revenue d’un monde frontalier de la conscience, elle se livre à un déchiffrage et une transcription de ce qu’elle appelle «messages», et qui semblent des «prises de conscience» après l’égarement de la maladie.

La lecture, image et texte, est double et simultanée.

 

Le monde
des hauteurs
et son visage
souriant

 

Quel est ce Nuage protecteur et maiëuticien ? Il doit beaucoup, nous dit Enza Palamara, au Nuage de l’Inconnaissance, livre d’un mystique anglais anonyme du XIVéme siècle, qui évoque l’itinéraire ardu d’une élévation spirituelle.

 

Séjour mouvant 
qui ne cesse d’advenir
dans un espace 
sans limites

 Demeure ouverte
et légère
bâtie sans cesse
par des battements
d’ailes

 

Acteur d’une réconciliation entre les hauteurs et la terre, il offre un havre où éprouver la relation au cosmos.

 

Dans le Nuage
l’existence
est une danse
une contemplation 
en mouvement

 Planète
en mouvement
Le Nuage
t’offre
toutes les métamorphoses

 Vivre dans un nuage
n’est-ce pas
habiter
un vrai lieu ?

 

Sommes-nous dans un conte, une fable, un jeu de cartes ésotérique ?

Des personnages s’imposent, font signe, conduisent sur le chemin d’une révélation ou d’une prédiction, porteurs de forces. Le Roc, l’Arbre, le Ruisseau, la Dame, le Mage sont croisés et identifiés dans le troisième volet,  Le chant de l’âme, et leur message est élucidé.

 

L’Arbre 
Le Roc 
attestent
ta présence

 Tu es au monde 
et tout 
au monde 
résonne en toi

 Et les fleurs ?
Tu as souvent
l’étrange sentiment
d’être
de la même étoffe 
que les fleurs

 Elles te disent
que tu es
tout ce que tu as vu

 

À l’idée d’habiter poétiquement le monde répond l’idée d’une âme constituée de ce qu’elle a vu et qui l’a enchantée.

 

La terre entière est devenue ma patrie
Tu portes en toi 
les paysages aimés

 Les infinis visages 
du vivant
se sont inscrits 
dans ton être

 Ils se manifestent
dans leur mystère
et leur intimité

 

Au terme de cette recherche hasardeuse et pourtant guidée…

 

Errante
Par les nuages

 Les chemins
S’ouvrent
Légers  

 Chemin 
sans chemin
où tu marches
sans laisser de traces

 

 …surgit la récompense :

 

Tu bois
à la source même
la transparence
du matin

 Tout comme
au premier jour 
tu accueilles 
les couleurs
du monde

 

Le lecteur est invité à devenir compagnon de route de ce  voyage troublant  à l’écoute du Nuage, vers un retour à la vie, par un retour en enfance.

Présentation de l’auteur

Enza Palamara

Enza Palamara est une poétesse, grégée de lettres, qui a enseigné à l'université de Tours et à l'Institut français de Naples. Elle est spécialiste des œuvres de Baudelaire, Bonnefoy et Guillevic.

Poèmes choisis

Autres lectures

Enza Palamara, Ce que dit le nuage

A force de contempler ce qu’elle contemple, l’âme  devient ce qu’elle contemple. Cette phrase du philosophe Plotin est à méditer pour saisir où se situe la « quête spirituelle » d’Enza Palamara. [...]




Impressions de lectrice sur quelques ouvrages de Marilyne Bertoncini

Avant le récit-poème poignant d’une aventure orphique née de ce que l’on appelle « un fait divers », La noyée d’Onagawa, (Jacques André éditeur, 2020), j’avais lu les ouvrages de Marilyne qui ont impulsé sa démarche : « assembler ce qui peut être le corps de la mémoire en ses pièces éparses ».

Une aventure d’écriture que l’on a envie de suivre, de livre en livre.

Dans Mémoire vive des replis, (éditions Pourquoi viens-tu si tard ? 2018) lu en premier, je me suis trouvée au coeur d'une puissante métaphore, et j'ai aimé aussi faire lecture des photos-images qui métaphorisent cet acte créateur de déplier/ déployer la mémoire par la force de la poésie.

Il y a un mot très ancien: "remembrance" qui contient dans ses phonèmes la chair du souvenir. C’est un terme qui convient à cette démarche. Reprendre conscience et possession de toutes les dimensions de l'être. Le passé revient visiter le présent. On pense à Proust bien sûr pour cette expérience existentielle de coïncidence entre les perceptions qui abolit l'épaisseur du temps. L'étoffe mémorielle se déplie et révèle l'être. La puissance, le pouvoir de la poésie sont éprouvés.

Marilyne Bertoncini, Sable, éditions Transignum, 2018.

J'habite ma vie comme un rêve
où les temps s'enchevêtrent

---------------

Vie est ce rêve qui me dessine
sur la vitre où la pluie trace
d'éphémères chemins brouillant
mon reflet dans le paysage

---------------

images d'eau sans consistance
ondoyant entre deux espaces

 

 

Des strophes qu'on a envie de garder en soi, comme un poème d'Apollinaire.

J'ai retrouvé cette démarche dans L'anneau de Chillida  (L’atelier du grand Tétras 2018)

 

"Le dialogue avec les formes est plus important
que les formes elles-mêmes"       (Eduardo Chillida)

 

D'emblée, l'exergue nous emporte dans cette aventure.

En dialoguant avec la forme et le mouvement de l'anneau qui  toujours se dérobe, s'enroule et se renouvelle, le poète joue avec sa propre vie, l'interroge, la situe. La métaphore de l'anneau, la relecture des représentations mythologiques du monde, la convocation des figures mythiques fondent là aussi une entreprise existentielle, une quête de sens.

La poésie est une langue qui permet d'atteindre les grands mystères. J'aime que les poètes la situent à ce niveau. C'est là où, lectrice de poésie, je me sens  grandie. La lecture ne se termine pas, le livre revient, on le reprend. Signe fort.

Marilyne Bertoncini, L'Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, 2018, 80 pages.

Crépuscule inversé
la nuit s'évanouit
dans l'éclat du poème

 

J’ai continué le parcours dans cet univers avec  SABLE   (Editions Transignum 2019), avec des  reproductions des œuvres de Wanda MIHULEAC. Poème traduit en allemand par Eva Maria BERG.

SABLE est un nom de femme, le nom d’une femme. Fable poétique, Sable évoque une histoire, celle d’une victoire sur l’empêchement de la parole, l’histoire d’un cri, racontée à trois voix : celle de la poète, Marilyne Bertoncini, celle de la plasticienne, Wanda Mihuleac, celle de la traductrice en allemand, Eva Maria Berg. On peut ajouter la dédicataire, la mère de la poète, dont le destin croisé constitue la trame.

Avant d’accéder au texte, nous sommes confrontés à deux premières œuvres de Wanda Mihuleac, instaurant l’unité chromatique qui sera aussi celle des mots, et l’univers troublant d’un élément, le sable, abritant l’insolite, et même des signes inquiétants : en couverture, les lettres rouges du mot SABLE nous avaient alertés.

Au fil des pages, nous allons rencontrer à la surface ou à demi enfouis dans cette matière figurée comme le lieu de projections mentales, un globe oculaire, une main d’or, des lettres en désordre, les étranges petites sphères des gouttes d’eau… Il ne s’agit pas bien sûr d’illustrations, mais plutôt d’un commentaire visuel du poème.

La scène d’enfance évoquée par le premier texte soulève les souvenirs et nous savons que le poème va s’inscrire dans l’exploration mémorielle que, de livre en livre, poursuit Marilyne Bertoncini.

L’évocation d’un élément, d’un paysage, est aussi l’évocation d’un être et de sa présence au monde.
Chargé depuis toujours de symboles et de signes, associé à l’écoulement du temps et à sa dilapidation, le sable est ici un élément ambivalent qui, composant avec la beauté du ciel et des vagues, est aussi celui qui enfouit, cache, étouffe.

Marilyne Bertoncini lit Sable lors d'une lecture performance à la galerie Depardieu à Nice, avec Narki Nal.

Cette matière des métamorphoses et des secrets possède une force insidieuse et imprévisible. Les similitudes font advenir des paysages qui sont aussi des situations mentales. La correspondance des formes aboutit à une confusion des éléments :

 

O corps de Danae enseveli sous l’or
du désir   sable  devenu

meuble et fluide manteau instable
là pénètre       la  dissout
flamme           palimpseste
d’elle-même

Dans l’éternel inchoatif des nues qui passent en reflet
Des dunes grises de la mer et des vagues de sable
(…)

La dune mime l’océan
les nuages y dessinent de fuyants paysages
dont l’image s’épuise dans l’ombre vagabonde
d’un récit ineffable

 

 (à rappeler ici la citation en exergue de Yogi Milarépa :

« sachez donc qu’allée et venue
Sont comme des songes,
Comme des reflets de la lune dans l’eau. »)

 

 

Dans ce paysage qui est aussi intérieur, la métaphore femme/sable est d’abord celle de sa destinée : friabilité, effacement, enfouissement, étouffement.

 

Elle est allongée comme la dune aussi
nue
ses pieds touchent la mer
(…)

et la bouche d’Elle sans cesse tente
le cri qu’étouffe toujours
le sable qui volète

Marilyne Bertoncini, Sable, Editions Transignum, 2018.

La page 44 donne le pouvoir aux allitérations, en français comme un allemand, installant une sorte de paysage sonore ; les similitudes de sonorités entraînent des similitudes de sens qui invitent au déchiffrage de la « fable » :

 

Effacement -ce ment-  ça bleu
Les sables meubles et sans traces
Et la femme sans face         sang

 Elle veut naître
être   n’être rien de plus
mais l’ogre de sable-ocre dévore sa parole

 Sie will geboren werden
Sein   nur sein  nichts sost
Aber der Oger aus Ocker-Sand verschlingt ihre Worte

Wanda Mihuleac et Marilyne Bertoncini, performance réalisée à partir de Sable.

L’effacement gagne les œuvres plastiques jusqu’à l’abstraction, conjurée par le palimpseste de la dernière œuvre de Wanda Mihuleac.

Dans la dernière page du poème, on assiste, comme à un dénouement,  au surgissement, à l’émergence d’une parole qui a déjoué le bâillon :

 

Je déboule dévale le long du flanc de Sable
(…)

Je déboule dévale du giron de la dune
(…)

Je suis fille de Sable
mais les mots
                 m’appartiennent

        Je crie 
                     J’écris.

 

Histoire d’une émancipation vers la création et d’un refus de l’effacement, Sable est aussi un hommage à la mère, confondue avec les paysages et les éléments qui ont constitué l’être.

Présentation de l’auteur

Marilyne Bertoncini

Marilyne Bertoncini : poète, traductrice (anglais-italien), revuiste et critique littéraire, membre du comité de rédaction de la revue Phoenix, elle s'occupe de la rubrique Musarder sur la revue italienne Le Ortique, consacrée aux femmes invisibilisées de la littérature, et mène, avec Carole Mesrobian, la revue numérique Recours au Poème, à laquelle elle collabore depuis 2013 et qu'elle dirige depuis 2016. 

Autrice d'une thèse, La Ruse d'Isis, de la Femme dans l'oeuvre de Jean Giono, et titulaire d'un doctorat, elle a été vice-présidente de l’association I Fioretti, pour la promotion des manifestations culturelles au Monastère de Saorge (06) et membre du comité de rédaction de la Revue des Sciences Humaines, RSH (Lille III). Ses articles, essais et poèmes sont publiés dans diverses revues littéraires ou universitaires, françaises et étrangères. Parallèlement à l'écriture, elle anime des rencontres littéraires, Les Jeudis des Mots, à Nice, ou les Rencontres au Patio, avec les éditions PVST?, dans la périphérie du festival Voix Vives de Sète. Elle pratique la photographie et collabore avec des artistes, musiciens et plasticiens.

Ses poèmes sont traduits en anglais, italien, espagnol, allemand, hébreu, bengali, et chinois.

 

bibliographie

Recueils de poèmes

La Noyée d'Onagawa, éd. Jacques André, février 2020

Sable, photos et gravures de Wanda Mihuleac, éd. Bilingue français-allemand par Eva-Maria Berg, éd. Transignum, mars 2019

Memoria viva delle pieghe, ed. bilingue, trad. de l'autrice, ed. PVST. Mars 2019

Mémoire vive des replis, texte et photos de l’auteure, éd. Pourquoi viens-tu si tard – à paraître, novembre 2018

L’Anneau de Chillida, Atelier du Grand Tétras, mars 2018 (manuscrit lauréat du Prix Littéraire Naji Naaman 2017)

Le Silence tinte comme l’angélus d’un village englouti, éd. Imprévues, mars 2017

La Dernière Oeuvre de Phidias, suivi de L'Invention de l'absence, Jacques André éditeur, mars 2017.

Aeonde, éd. La Porte, mars 2017

La dernière œuvre de Phidias – 453ème Encres vives, avril 2016

Labyrinthe des Nuits, suite poétique – Recours au Poème éditeurs, mars 2015

 

Ouvrages collectifs

- Le Courage des vivants, anthologie, Jacques André éditeur, mars 2020

- Sidérer le silence, anthologie sur l’exil – éditions Henry, 5 novembre 2018

- L’Esprit des arbres, éditions « Pourquoi viens-tu si tard » - à paraître, novembre 2018

- L’eau entre nos doigts, Anthologie sur l’eau, éditions Henry, mai 2018

- Trans-Tzara-Dada – L’Homme Approximatif , 2016

- Anthologie du haiku en France, sous la direction de Jean Antonini, éditions Aleas, Lyon, 2003

Traductions de recueils de poésie

-Soleil hésitant, de Gili Haimovich, éd. Jacques André (à paraître 2021)

-Un Instant d'éternité, bilingue (traduit en italien) d'Anne-Marie Zucchelli, éd. PVST, 2020

- Labirinto delle Notti (inedito) nominé au Concorso Nazionale Luciano Serra, Italie, septembre 2019

- Tony's blues, de Barry Wallenstein, avec des gravures d'Hélène Bauttista, éd. Pourquoi viens-tu si tard ? , mars 2020

- Instantanés, d‘Eva-Maria Berg, traduit avec l’auteure, éditions Imprévues, 2018

- Ennuage-moi, a bilingual collection , de Carol Jenkins, traduction Marilyne Bertoncini, River road Poetry Series, 2016

- Early in the Morning, Tôt le matin, de Peter Boyle, Marilyne Bertoncini & alii. Recours au Poème éditions, 2015

- Livre des sept vies , Ming Di, Recours au Poème éditions, 2015

- Histoire de Famille, Ming Di, éditions Transignum, avec des illustrations de Wanda Mihuleac, juin 2015

- Rainbow Snake, Serpent Arc-en-ciel, de Martin Harrison Recours au Poème éditions, 2015

- Secanje Svile, Mémoire de Soie, de Tanja Kragujevic, édition trilingue, Beograd 2015

- Tony’s Blues de Barry Wallenstein, Recours au Poème éditions, 2014

Livres d'artistes (extraits)

Aeonde, livre unique de Marino Rossetti, 2018

Æncre de Chine, in collection Livres Ardoises de Wanda Mihuleac, 2016

Pensées d'Eurydice, avec  les dessins de Pierre Rosin :  http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-pierre-rosin/

Île, livre pauvre avec un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Paesine, poème , sur un collage de Ghislaine Lejard (2016)

Villes en chantier, Livre unique par Anne Poupard (2015)

A Fleur d'étang, livre-objet avec Brigitte Marcerou (2015)

Genèse du langage, livre unique, avec Brigitte Marcerou (2015)

Daemon Failure delivery, Livre d’artiste, avec les burins de Dominique Crognier, artiste graveuse d’Amiens – 2013.

Collaborations artistiques visuelles ou sonores (extraits)

- Damnation Memoriae, la Damnation de l'oubli, lecture-performance mise en musique par Damien Charron, présentée le 6 mars 2020 avec le saxophoniste David di Betta, à l'ambassade de Roumanie, à Paris.

- Sable, performance, avec Wanda Mihuleac, 2019 Galerie

- L'Envers de la Riviera  mis en musique par le compositeur  Mansoor Mani Hosseini, pour FESTRAD, festival Franco-anglais de poésie juin 2016 : « The Far Side of the River »

- Performance chantée et dansée « Sodade » au printemps des poètes  Villa 111 à Ivry : sur un poème de Marilyne Bertoncini, « L’homme approximatif » , décor voile peint et dessiné,  6 x3 m par Emily Walcker  :

l’Envers de la Riviera  mis en image par la vidéaste Clémence Pogu – Festrad juin 2016 sous le titre « Proche Banlieue»

Là où tremblent encore des ombres d’un vert tendre » – Toile sonore de Sophie Brassard : http://www.toilesonore.com/#!marilyne-bertoncini/uknyf

La Rouille du temps, poèmes et tableaux textiles de Bérénice Mollet(2015) – en partie publiés sur la revue Ce qui reste : http://www.cequireste.fr/marilyne-bertoncini-berenice-mollet/

Préfaces

Appel du large par Rome Deguergue, chez Alcyone – 2016

Erratiques, d’ Angèle Casanova, éd. Pourquoi viens-tu si tard, septembre 2018

L’esprit des arbres, anthologie, éd. Pourquoi viens-tu si tard, novembre 2018

Chant de plein ciel, anthologie de poésie québécoise, PVST et Recours au Poème, 2019

Une brèche dans l'eau, d'Eva-Maria Berg, éd. PVST, 2020

 

(Site : Minotaur/A, http://minotaura.unblog.fr),

(fiche biographique complète sur le site de la MEL : http://www.m-e-l.fr/marilyne-bertoncini,ec,1301 )

Autres lectures

Marilyne Bertoncini, Aeonde

Petit livret, grand livre. Encore une fois, après La dernière œuvre de Phidias, Marilyne Bertoncini fait appel à la dimension mythique pour dire la condition humaine.

Les 101 Livres-ardoises de Wanda Mihuleac

Une épopée des rencontres heureuses des arts Artiste inventive, Wanda Mihuleac s’est proposé de produire des livres-objets, livres d’artiste, livres-surprise, de manières diverses et inédites où la poésie, le visuel, le dessin [...]

Marilyne Bertoncini, Mémoire vive des replis

Un joli format qui tient dans la poche pour ce livre précieux dans lequel Marilyne Bertoncini fait dialoguer poèmes et photographies (les siennes) pour accueillir les fragments du passé qui affleurent dans les [...]

Marilyne Bertoncini, Sable

Marilyne Bertoncini nous emmène vers la plage au sable fin, vers la mer et ses vagues qui dansent dans le vent pour un voyage tout intérieur… Elle marche dans [...]

Marilyne BERTONCINI, Mémoire vive des replis, Sable

Marilyne BERTONCINI – Mémoire vive des replis La poésie de Marilyne Bertoncini est singulière, en ce qu’elle s’appuie fréquemment sur des choses matérielles, pour prendre essor, à la façon [...]

Marilyne Bertoncini, La Noyée d’Onagawa

Chant du silence du fond de l’eau, celui où divague le corps de la femme de Yasuo Takamatsu. Flux et reflux du langage devenu poème, long discours sur le vide laissé par la [...]

Marilyne Bertoncini, La noyée d’Onagawa

Cette suite poétique, à la construction musicale, points et contrepoints, bouleverse et interroge. Inspirée d’une dépêche d’AFP, elle fait osciller le lecteur entre plusieurs réalités, temporalités et espaces. Continuité et rupture, matérialité et [...]




Estelle Fenzy, Gueule noire

Gueule noire nous tient sous le charme du conte.

On connaît l’attirance et la proximité de l’écriture d’Estelle Fenzy pour ce genre si proche où la poésie éclate dans le fantastique et s’en nourrit.

Le conte dit ce qui effraie, fascine, enchante, rassure. Il initie l’enfant au monde et à la vie : c’est l’un des choix d’écriture qu’a fait l’autrice pour nous entraîner dans son retour en enfance.

L’artiste Colette Reydet accompagne de ses monotypes le travail d’Estelle Fenzy, développant par l’image tout ce qui apparente le texte à cet univers. Le monotype de la couverture donne le ton : le colosse et l’enfant, à la lisière d’une forêt archétypale.

L’histoire est instructive: le texte d’Estelle Fenzy a donné à Antoine Gallardo l’idée d’une nouvelle collection de la Boucherie Littéraire, « Sur le billot pour tous » (Le billot étant la collection de La Boucherie où « on ne peut pas se défiler »), collection où vont trouver place « des textes à lire à tous les âges et à tous les moments de la vie », chaque publication étant accompagnée du travail visuel d’un artiste (plasticien, auteur BD, photographe, illustrateur).

 

Estelle Fenzy, Gueule noire, monotypes Colette Reydet, Editions La Boucherie littéraire, 2019.

 

 

 

Lisant Gueule noire, on parcourt ce qui pourrait être aussi bien un album pour enfants, au double niveau de lecture tapi sous l’apparente simplicité.

Usant du vers court souvent assonancé, sur un rythme de comptine, Gueule noire nous fait donc entrer dans un conte d’enfance, le titre en situant le contexte et en désignant le héros.

Surgit d’abord la figure fière, héroïque, du mineur de fond, celle qui est associée aux grandes luttes sociales, au travail dangereux, physique. Gueule noire : dans la crudité de cette expression, il y a la noblesse de ce labeur, la fierté des métiers de la mine.

Le grand-père était « gueule noire », c’était son métier, le livre fait de « gueule noire » un personnage, au centre de la légende familiale.

Gueule noire, le colosse mineur de fond, est le premier personnage du conte, l’ogre bienveillant.

D’une grande densité, l’écriture « croque » les scènes avec une saisissante efficacité évocatoire, inspirante pour Colette Reydet :

 

Alors tu surgissais
les bras levés en arc
dans de grands rugissements
L’assaut était terrible
mêlait rires et cris

Nous avions l’avantage
du nombre
Mais tu restais debout
solide comme un chêne

un enfant suspendu à chacun
de tes poings

 

A cet homme, mineur hors de la mine, le poème rend hommage, avec respect et affection, dessinant les éléments d’un portrait à hauteur d’enfant, à qui rien n’échappe :

 

Je revois
du siège pliant
la toile tendu
la bourriche
presque immergée
ton large dos penché
comme en prière
sur l’eau

De la berge
montagne qui pense
tu prenais soin des heures
du silence à défendre

peut-être
d’une sorte d’éternité

 

Le poème Super 8 nous avertit ; il y a un léger tremblé dans la mémoire, qui brasse passé réel et passé fantasmé :

 

Dans ma mémoire
Ça fait comme ces
films
Noir et blanc
Qui sautillent un peu

 

Une histoire familiale est évoquée, dans une série de scènes reliées par la figure du grand-père, un journal de souvenirs peuplé de personnages à la fois archétypaux et uniques : Man’za, Mémé Gaby…

 

Man’za
Avait toujours été vieille
Sa main droite appuyée
Sur ses reins courbés

 

…un journal de moments de vacances collectés par la mémoire sociale et familiale (la pêche, le jardin, la fête foraine, le Tour de France, les cabanes avec les cousins). On feuillette l’album photo ouvert dès le premier texte :

 

Un portrait de soleil

L’été au jardin

Je ne me souviens plus
de ton visage animé vraiment

mais de cette photo

 

Et, au fil des textes, on va penser aux photographes du temps de l’argentique, qui ont su révéler la profondeur des scènes de la vie quotidienne. Pouvoirs de la photographie, mémoire collective, inconscient collectif…

Cette enfance est datée par des « marqueurs d’époque », pour lui faire rejoindre un temps universel : le caractère révolu du temps d’où l’on vient est commun à toutes les enfances ; quelque chose de ce temps-là, avec certains être aimés, a disparu, et lui donne son prix.

 

Au chaud
de la lessiveuse
nous écrivions
nos prénoms
sur les carreaux
pleins de buée

-------------

Tu soignais
une Panhard sublime
qui faisait ta fierté

------------------

Ta maison ressemblait
à toutes les autres

Trois pièces en enfilade
les cabinets loi
au fond de la cour
(….)

Et
la gueule
la gueule noire
profonde
le trou béant imaginé
cerné de crocs sanglants

 

Le pays d’enfance est parcouru, c’est un espace-temps de bonheur simple et fort, dans le climat d’affection d’une famille unie. Sans linéarité, une histoire se construit, faite d’instants dissociés, de ressentis puissants, partagés par la grâce de la poésie :

 

Dans tes yeux
les terrils
ce n’étaient pas ces déchets
montés du fond
ces débris en colline
plus tristes que le ciel


C’étaient
des seins d’ébène
de la poudre de volcan
soufflée d’un sablier brisé

 

Le très beau texte La première à mourir, dans un dialogue émouvant, évoque en quelques vers la condition de mineur et son histoire, un temps où planent le risque et la tragédie. On sait ce que faisait un pinson dans une cage à la mine. Sa mort alertait sur la présence de grisou ; son rôle terrible était, par cette mort, de sauver. L’ogre ému de la fragilité donne dans ce rapprochement la mesure de son affection.

 

Dis Pépé
si t’avais encore travaillé
si t’étais pas silicosé
tu m’aurais emmenée

Je serais descendue
galibot à la fosse
comme tu l’as été
puis remontée le soir
le visage plein de suie
de fatigue

Oh ma douce
si petite
fragile et fille
Tu n’aurais pas
été  galibot
Tu aurais été
le pinson dans la cage

Tu aurais été la première à mourir

 

La matière de l’enfance est délicatement travaillée par le conte, la comptine, la berceuse, où l’écriture cisèle l’émotion dans la simplicité :

 

Jardin sandalettes
tendre petit frère
tribu de cousins
Maman belle

Papa vivant

 

Cette évocation pudique des « souvenirs lumineux d’une enfance en pays noir », qui se termine avec la maladie et la mort du colosse,

 

en trois semaines

balayé

Une herbe sèche
vaincue par le vent

 

a la puissance poétique des chansons

 

que les enfants chantent
lorsqu’ils sont heureux.

 

Merci à Estelle Fenzy et Colette Reydet pour cette escapade en pays d’enfance, territoire partagé, pays qui n’est jamais perdu, temps retrouvé.

 

 

 

 

 

Présentation de l’auteur

Estelle Fenzy

 Estelle Fenzy est née en 1969. Après avoir vécu près de Lille puis à Brest, elle habite Arles où elle enseigne. Elle écrit depuis 2013, des poèmes et des textes courts.

Publications en revues : Europe, Secousse, Remue.net, Ce qui Reste, Écrits du Nord (éditions Henry), Microbe, Les Carnets d’Eucharis, Terre à Ciel, Recours au Poème, Décharge, Possibles, FPM, Revu, Teste.

Publications

  • CHUT (le monstre dort) aux éditions La Part Commune (2015)
  • SANS aux éditions La Porte (2015)
  • ROUGE VIVE aux éditions Al Manar (2016)
  • JUSTE APRÈS aux éditions La Porte (2016)
  • L’ENTAILLE et LA COUTURE aux éditions Henry (2016)
  • PAPILLON aux éditions Le Petit Flou (2017)
  • MÈRE aux éditions La Boucherie Littéraire (2017)
© photo Isabelle Poinloup

Anthologies

  • SAXIFRAGE, dans Terre à Ciel, initiée par Sabine Huynh
  • MARLÈNE TISSOT & CO, éditions mgv2>publishing
  • DEHORS, éditions Janus (juin 2016)
  • LESSIVES ÉTENDUES, dans Terre à Ciel, initiée par Roselyne Sibille

Livre d’artiste

  • PETITE MANHATTAN, dans Le Monde des Villes, Brest 2, avec André Jolivet, éditions Voltije

Revue d’artiste

  • CONNIVENCES 6, éditions de La Margeride, avec aussi des poèmes d’Alain Freixe, des photographies de Rémy Fenzy et des peintures de Robert Lobet

Autres lectures

 

Feuilletons : Ecritures Féminines (1)

  Y a-t-un genre à l'écriture du poème ? Question sans doute aussi vaine que les polémiques passées autour du sexe des anges ! Il y a évidemment des thèmes, des points de vue qui ne peuvent [...]

Estelle Fenzy, La Minute bleue de l’aube

J’aime les premiers émois de l’aurore : les trèfles se tournent vers la lumière, les feuilles déploient un subtil verso ombré, les pétales des pâquerettes s’entrouvrent avec discrétion,  le rossignol lance une première trille glorieuse. L’aurore appartient [...]

Estelle Fenzy, La minute bleue de l’aube

Pensées, aphorismes, fragments, poèmes courts : il y a de tout cela dans la poésie d’Estelle Fenzy. Elle a l’art de capter à l’aube des instants minuscules pour en tirer des leçons de vie. [...]

Estelle Fenzy, Gueule noire

Gueule noire nous tient sous le charme du conte. On connaît l’attirance et la proximité de l’écriture d’Estelle Fenzy pour ce genre si proche où la poésie éclate dans le fantastique et s’en nourrit. [...]

Estelle Fenzy, Coda (Ostinato)

Le titre dit assez la composition musicale de cet ensemble de 45 courts poèmes, où tout est reprise, mouvement entre deux mots qui ouvrent et ferment chaque fragment : « fin » et « monde », répétés obstinément, rythmiquement. [...]

Estelle Fenzy, Le Chant de la femme source

Il manquait une hirondelle pour écrire notre histoire   C'était ça donc ! Grisé j'étais, sur le dos de l'hirondelle depuis le début de ma lecture ! J'avais bien senti le vent [...]

Estelle Fenzy, Boîtes noires

Les lecteurs d’Estelle Fenzy, qui ont l’habitude d’être surpris, le sont dès les premiers mots du recueil et plus qu’avant : « Mesdames et messieurs, attachez vos ceintures » ! S’agit-il d’un véritable vol ou [...]

Estelle Fenzy, Une saison fragile

Quel beau titre ! Inspiré, inspirant et suggérant d’emblée le sens de la nuance, de la vulnérabilité, de tout ce qui risque de défaillir. Avant même d’ouvrir le recueil, on sent une délicatesse à la japonaise à [...]




Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel

Vivre d’abord

Belle initiative du poète et éditeur Habib Tengour de publier, dans la collection Poèmes du Monde qu’il dirige aux éditions APIC à Alger, une nouvelle anthologie de poèmes de Frédéric Jacques Temple, Poèmes en Archipel.

Frédéric Jacques Temple, figure majeure de notre temps, a fêté cet été ses quatre- vingt-dix- huit ans, et vit dans l’incessant renouveau de la création poétique.

En l’an nonante de mon âge 
l’hiver est encore un printemps. 
Depuis que je suis vivant
le soleil est toujours levant.
Que roule ma barque longtemps 
avant que ma vie ne naufrage.

Poèmes en Archipel regroupe des poèmes écrits au fil du temps, publiés dans différents recueils, entre 1968 et 2017, et dont la recomposition en cinq grandes sections constitue « l’archipel » poétique au sens que René Char donnait à son propre recueil « La parole en archipel » : un ensemble d’îles de textes, isolées et indépendantes, que la mise à proximité éclaire d’un nouveau sens. L’anthologie personnelle de Frédéric Jacques Temple, parue en 1990 chez Actes Sud, adoptait, elle, l’organisation chronologique, qui était aussi celle du « nostos », le retour du grand voyageur à ses sources et ses racines.

Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel, Editions APIC (2019), Collection Poèmes du Monde dirigée par HABIB TENGOUR Avec une lettre-préface de Frédéric Jacques Temple et Sept questions à Frédéric Jacques Temple.

Ici, l’image de l’archipel, image marine, renvoie à une image céleste. La très belle lettre-préface de Frédéric Jacques Temple le précise : « Ces poèmes sont des témoins, des musiques, des traces, de ma présence sur terre sous l’immense archipel des étoiles ».

L’ouvrage nous invite à la relecture de l’œuvre selon un parcours nouveau, incluant des textes extraits de récentes parutions (2017, Dans l’erre des vents, éditions Bruno Doucey), et nous fait « visiter la vie » de l’auteur. Ainsi s’organise une autobiographie en poésie très émouvante, car y apparaît en filigrane la leçon retirée de toute une vie.

Poèmes de l’intranquillité, Poèmes de l’ailleurs, Poèmes de l’intime, Poèmes du pays natal, poèmes au cœur du monde... Cet ordonnancement trace la carte des grands thèmes : tourments de l’existence, voyages initiatiques, célébration des paysages, des éléments, amours – celui de la vie en premier lieu, paradis de l’enfance, réflexions mûries au cœur du monde au retour du monde entier. Dans cette nouvelle composition sont confrontés et mis en perspective des poèmes de tous les âges de la vie, rendant évidentes évolution et permanence.

 

Si vous tentez de savoir ce que je suis, je ne puis que conseiller d’interroger les poèmes qui, au fil du temps, ont formé mon journal de route.

 

Les choix opérés dans l’œuvre pour constituer cette anthologie dessinent l’autoportrait du poète et replacent le lecteur au cœur de cet univers et de cette expérience humaine transmise par la voix inégalable de la poésie.

 

J’ai ouvert les portes du monde pour l’aventure d’y vivre et l’y découvrir enfin.

 

Temple sait depuis toujours ce qu’est le rapport harmonieux et passionné entre l’homme et la nature. Le mot « écologie » est beaucoup trop galvaudé pour dire ce rapport. Enfant de Henry David Thoreau et de Blaise Cendrars, dont les ombres planent sur ce recueil comme sur toute l’œuvre, Temple célèbre cette osmose. Il ditsa chance d’avoir connu un monde aujourd’hui révolu, un état de la Terre où l’on pouvait éprouver dans son corps et son esprit les noces de l’homme et de la Nature.

Lourd de la nostalgie

Des anciens vagabondages
J’erre parmi les ronciers

Dans le sillage des couleuvres
  Abreuvées de rêves solaires

 

Imaginez des soirs furtifs comme des palombes, des aubes de moire, des envols de velours, des crissements. Imaginez dans le miroir des eaux glacées, des visages de jeunes femmes qui prennent aux heures leurs teintes : nacre, lavande, ou givre. Plus loin, au-delà des collines, au terme des rivières où s’éteignent les échos des bergeries, commence la frairie des oiseaux marins. Les fumées s’appuient aux herbes sur les grèves, sous le plafond des vents. Sans défaillance, la mer dévore et renaît. La nostalgie toujours prête au festin, porte des mots d’adieu, à tout jamais désespérés, sur les vagues du large. Telle est la joie, douloureuse, l’enivrante blessure.

Bonheur de retrouver dans ce recueil l’un des textes les plus importants de l’œuvre de Temple, « Un long voyage », épopée intime du retour aux sources, Anabase personnelle. Le paradis vécu dans l’enfance –amour des siens, beauté du monde, « sentiment du monde » -, a construit l’homme, forgé le poète, lui a donné pour toute la vie, comme des dons au sens magique, vigueur et appétit de vivre, amour passionné de la nature.

 

Ce fut un très ancien voyage sur des plateaux immobiles... 
Déjà les grives semaient l’automne,
Mais voici que naissaient dans les coulées de pierres blanches 
Les bourgeons de mon enfance
En toi resurgie. 
(....)
Cela venait avec l’amère pluie,
Cela germait des premiers âges
Les doux vagissements, les nuits de lait, les maternes onctions, 
Les langues de quiétude et les mots souverains,
Cela venait, de miel et d’onguents.

 

Le poète, « celui qui nomme », sait tout nommer : oiseaux, arbres, plantes, fleurs, bêtes, pierres... Il a de la nature une connaissance à la fois sensuelle, instinctive, et savante. Il connaît le nom et le destin de chaque chose. Sa passion pour ce qu’il appelle « l’Histoire Naturelle », merveilleuse appellation gardée de Buffon, est connue. Cette passion lui permet de goûter à toutes les sources de plaisir dont terre et mers regorgent, de ressentir et de transmettre toutes les sensations qui permettent à l’homme d’éprouver vraiment, car avec ses sens, la vie. L’homme est connaissance et sensations en action conjuguée. Une poésie revendiquée de la célébration et du chant, où « le rythme et la mélodie » sont essentiels, où les mots « ont une chair et une saveur ».

 

Les bruits sont nés dans les cendres du thym : 
Ongles, silex, insectes, râpes. Lune, 
D’absinthe enivre le blaireau,
Vin noir, baptise d’or le sommeil des cyprès. 
Viennent la flûte et ses crapauds,
Les tambourins et les crécelles, Griffes, velours, ailes, ciseaux, 
En moi la nuit, blanche baleine.

 

Instants est constitué de strophes où le rythme et les sons, vérité de la poésie, donnent à éprouver l’évocation :

 

Furtive
  une plume
tombe
  d’un nid
là-haut 
  dans le
grand
  arbre
Je pense.

 

Un souffle épique passe sur ces poèmes. Saluant de manière claire Homère ou Virgile, auxquels la puissance de l’écriture semble redevable, Temple écrit le chant épique de son Amérique mythique, celle des grands espaces, des peuples libres et fiers, de « l’âge humain de l’Amérique », dans l’admirable Via air mail, dédié au peintre Arthur Secunda, qui termine le recueil. Arma virumque cano... je chante rouge la mort de Sitting Bull, je chante Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, je chante le rude laboureur Abraham Lincoln... Publié pour la première fois en 1969, ce poème, repris dans l’Anthologie personnelle de 1989 (Actes Sud), reste dans l’œuvre du poète un texte d’une essentielle actualité.

Ce recueil est le témoignage d’une présence au monde intense, à partager par la grâce de la poésie.

 

Soleil
toi
rouge-cœur
je t’aime

 

 

Présentation de l’auteur

Frédéric Jacques Temple

Frédéric Jacques Temple est né en 1921 à Montpellier. c'est un écrivain et poète français. Son œuvre comprend des poèmes, des romans, des récits de voyage et des essais. On lui doit également des traductions de l'anglais.

Poèmes choisis

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Patrick Laupin : Le Dernier Avenir, Poèmes

 

 
Quelque chose d’impérieux, venu du plus profond, porte l’écriture de ce livre; la lecture ne peut que suivre le mouvement même de cette force, au fil des pages-poèmes qui lui donnent le rythme profond d’une respiration.
Saisi, le lecteur vit l’expérience poétique de l’intérieur, page à page, chacune centrée sur elle-même, chaque texte centré sur la page ; quelque chose de vivant palpite dans l’écriture.
Comme écrite d’une traite, cette œuvre du «  temps de la cueillaison » embrasse et brasse toute une vie dans le flux des visions, pensées, réflexions, souvenirs, images, sensations, qui constituent l’étoffe mémorielle. Sujet actif, incarné dans la phrase, le poète nomme, énonce, énumère ; il accomplit les tâches nécessaires à celui qui retourne dans sa vie car « il est l’heure de tout reprendre et de faire le vide dans la maison des démons » ; confronté à « la terrible urgence de tout relire à l’envers », il laisse monter en lui, affleurer à sa conscience, les images qui font signe. « La fin d’automne récite tout à l’envers ». Des pages hantées par l’enfance, la mort des êtres chers, la proximité de la folie, la passion pour la « chair parlée des choses » dans une langue saisissante qui joint l’abstrait au concret, le sublime au trivial : « J’écris ma langue Moyen Age Une langue du fond qui touche la folie muette et ne veut pas du poétisme ».
Tourmenté par la disparition, l’effacement, l’oubli, masques les plus terribles de la mort, le poète destine son écriture : « on voudrait laisser quelque chose pour quand on ne sera plus là. Le sens mystérieux des aspects de notre existence ».
Cherchant des réponses à la question « pourquoi écrire ? », il l’examine, en la vidant de la prétention dont elle semble toujours chargée : pourquoi ou plutôt pour qui écrire, dans quel but, et surtout à qui ? Répondre à cette question, c’est aussi dire dans quel sens va la vie. Une page très belle, sorte d’hommage éluardien, répond fermement, usant d’un résolu passé composé : « j’ai écrit » :
 
 
A la pierre ponce du lavoir A la fleur
maigre Aux vassalités A la fièvre Aux
têtes de chiens des démons Au Roi sans
Roi des chimères Aux dents féroces des
apprentis funèbres Aux barreaux de
chaise Graminées lentes Aux gamins
des premiers crayons A la rouille et aux
arbres qui étudient J’ai écrit J’ai pris
soin de nos vies
 
Ecrire est la seule chose à entreprendre, la seule nécessité : le monde sensible en est à la fois la matière et le destinataire.
« Ecrire, frêle isolement d’un remuement d’ailes, le monde sans sauvegarde, la dureté nominale des cieux… »
 
 
Les bruits
passent et filent à l’eau des regrets Tant
pis j’écris je commue ma peine dans
mes pages de carnet
 
 
Bouleversant toute cohérence narrative, la cavalerie des mots et des images aboutit dans un tournoiement à une page-sensation qui bouscule même la logique de l’association d’idées, en des moments proches de la transe.
 
Les mains crispées des petits mouchoirs à devise. Le calme écrin tremblé des cœurs épris de la mort. Fuyards qui n’ont plus qu’un sort Nacelles voyelles et consonnes Nudité lasse de la folie des gens Le mal pose bien mal ses griffes La vie n’a plus assez de lignes pour creuser sources et rideaux vétustes La laine pâle file des mailles fuyantes La mer fait aux nuages des têtes étranges Tout peut arriver Dans la main terrible du hasard courent pierres et visages Et tous les petits effacés dans les enclos de groseilles à saveur lisse Arrive automne La cavalerie légère du rouge des érables frissonne Triste on a froid au corps La trace des rayons se perd Les erreurs posent leurs frusques à la remise N’en veux à personne Toi qui faiblis debout en douceur traversé par les rancunes et les épées silencieuses
 
Ponctuation omise, les majuscules guident la lecture dans l’unité de la page, où les rapports entre la phrase et le vers sont contraints par le centrage du texte qui « garde les ressacs en marge ». La juxtaposition de phrases courtes et de phrases de grande amplitude instaure un rythme qui demande à prendre et reprendre son souffle. L’oralité gîte dans l’écrit. Quelqu’un parle à « voix haute ».
 
A mes pieds plusieurs aveux de regrets Les sept voiles que plus rien ne traverse et les natures basses qui offensent Où je sais la folie triste de l’enfant au poison des légendes quand il pose ses mains près de la fenêtre et se rétrécit dans le double miroir de son éclipse dévoré de connaître quelle partie de lui-même s’envole si loin vers
le ciel des comètes
 
La même énergie impulse la composition du livre : le poète prend son élan, se ravise pour partir « visiter l’air du temps » dans des pages sans concession où se glissent colère et parfois amertume, puis accélère le rythme, évoque, invoque, jusqu’à l’hallucination. L’écriture court vers un but, une résolution. Est-ce que l’on va voir défiler, et même revenir, les êtres, les lieux, les sensations, les émotions qui leur sont attachées, le « film » de toute une vie, la course fulgurante d’images qui envahissent dit-on la conscience des mourants ? Est-ce que l’écriture a ce pouvoir, de donner à ressentir, à partager, toute une vie, une âme ? Comme dans un assemblage cubiste, se côtoient sur la page tourments, obsessions, êtres croisés, choses vues, pensées, sensations, images d’un instant de vie que l’émotion tire de sa banalité…tout ce qui dans la rêverie, activité essentielle de l’esprit, nous rapproche du délire et de la vérité.
 
 
Ma vérité tiendra toujours un peu à l’hélice rose
des moulins du matin, des prières du
vent, à la vétusté des choses sur l’étal
d’un bazar, l’écorce d’érable ou de
tilleul, les ballots de laine, coton, soie
allégée, fichu par côté Et ton long
soupir d’épaule pour monter la pente
 
 
 
Avec « l’entêtement d’un éternel mendiant des fruits vrais », Patrick Laupin salue « l’enfant qui nous montre l’intérieur des choses », les enfants-poèmes rendus au langage, porteurs du Dernier Avenir. « Je parfais en rêve les enfants du silence. »
Seuls les oiseaux
et les enfants ont ce geste d’aumône
invraisemblable de retourner le temps
dans le refuge des âmes esseulées plein
vent
 
Compagnon halluciné de ce voyage intérieur, car « écrire c’est tendre une main miroir d’âme », le lecteur fait l’expérience de l’évidence poétique, éprouve «  la vie immédiate » par le pouvoir de l’écriture :
 
 
L’ombre des dieux déchus couronnés de Tristesse
Cette blessure Aspic furieux du vent du
monde gris Midi qui tremble Grand
nageur déjà noyé Ciel flottant à
nouveau immobile libre Et moi un homme
Avec ce qui reste Muet
d’astreinte Rêvant d’absoudre Rêvant
midi qui tremble au désir d’aimer
 
Le Dernier Avenir est le geste puissant d’un poète.
Un poète. Un homme. De chair et de papier.