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Max Alhau, Marie Alloy, En cours de route

Tu es monté plus haut
que la cime des arbres :
ce n'était pas le ciel
mais un espace sans nom
qui te renvoyait
vers des visages enfouis
au creux de leur absence.

Prélude sans aucun doute
à quelque orage en germe
et qui mettrait le feu
à une traversée
aussi brève qu'illusoire.

Max Alhau, En cours de route, Peinture de Marie Alloy, L’herbe qui tremble 2018, 120 pages 14 €

 

Avec des mots simples que ne cherchent ni la rime ni l’espoir, l’homme Max Alhau pose son regard de l’autre côté. Le théâtre est désert. Les couleurs, formes et perspectives du rêve éveillé s’effacent. Les images s’éparpillent.

Ce qu’il reste, un mot laissé en blanc qui n’attend plus rien après.

Même l’avenir devient légende. 

Porté par l’intelligence d’une vie, celle des années lumière, Max Alhau nous offre là de belles pages blanches. Celles d’une  éternité qui commence à la source, avec le vent, avec ton visage, qui se poursuit avec le silence qui te nomme. Une éternité que tu habites, parait-il,  qui pourrait s’achever, éclair dispersé dans le ciel.

Pour ressentir ce qui se cache derrière l’absence (thème cher au poète), nous traversons des paysages, de vie et de papier, espaces sans nom, prémices de terres inconnues, admirablement représentés par Marie Alloy. Nous voilà happés par cette résonance entre la peintre et le poète. Nous sommes prêts pour la disparition des mondes.

Pour que l’écho aussi redevienne parole, pour qu’avant l’arc-en-ciel la pluie devance la lumière
Pour que toi aux confins du cosmos tu ne perdes jamais le goût de l’éternité.
Pour que tu sois, invisible, celle qui donne à l’aube le droit d’écarter à jamais la nuit.

Ce recueil est  celui d’un veilleur. Il sculpte nos interrogations et ses jeux d’ombre et de lumière éclairent l’exilé en nous, passagers absents de ce voyage. 

Quand les choses 
et les visages s’éloignent
il n’y a que les mots
pour barrer la route
à l’absence, à l’oubli
pour ouvrir la voie
à des terres fabuleuses
où les choses, visages
confondent la douleur

Pris par le mouvement de l’en-cours, chemin faisant sur les hauteurs de l’être, loin de nous la danse flamboyante des éphémères, si proche le vent et la lumière, les racines de la mémoire… nous approchons du réel.

Les forêts, les ruisseaux, les vallées, tout ce qui se nomme réalité, tout cela n’est plus qu’image traversant le regard intérieur, mirage approché de trop près.

C’est un autre paysage / qui s’impose transparent / comme à l’écart.

En cours de route fait vivre en nous l’enfant du silence. Il nous encourage à récolter l’invisible. l’auteur descend, grave, dans les profondeurs de la parole, sans jamais quitter les horizons. Ainsi nait une autre histoire. Celle qui se voile pour que l’autre se dise, joyeuse et libre, par la grâce solaire de la présence.




Dominique Sorrente, Les gens comme ça va

 

A l’adresse de mes « frères humains » (François Villon)
« Des gens comme ça va » si étranges parfois qu’il me, qu’ils nous ressemblent.
« Ainsi aller au cœur, en suite de poèmes, au plus près de la part secrète,
dans cette communauté de destin malmenée qui nous relie »

 

Ils sont les gens, les autres. On dit ça va. Un parmi. Écoutez le cœur. Et il y a pour eux. Le ciel pour cette joie.

Un mouvement en 7  chapitres pour peut-être dire où l’on va, seul avec les autres. Ce livre est né, nous dit l’auteur, au lendemain des attentats du 7 janvier 2015 à Paris.

Le poème sera la main tendue au bord du gouffre. Hymne fervent, Les gens comme ça va nous regardent. Le récit est riche, et si notre humanité nous échappe, laissons-nous entreprendre par ce voyage. Une première question, essentielle :

Dominique Sorrente, Les gens comme ça va, Cheyne, 2017, 87 pages, 17 €.

Dominique Sorrente, Les gens comme ça va, Cheyne, 2017, 87 pages, 17 €.

A quoi peut-on ressembler
sur l’autre versant des corps ?
Demandent les gens obstinément
à l’eau du fleuve. 

C’est le point de départ de cette marche où, singulier, nous allons nous côtoyer, nous deviner frères.

Parfois ils se reconnaissent,
parfois ils s’ignorent
peut-être se sont-ils trop longtemps perdus de vue (…)

Parfois, ils ont l’air ailleurs, dans un recoin du jour,
ils ont troqué
l’agitation sordide contre le silence des herbes,
ça fait toute une occupation.

Comme l’art de fixer sur le dos de la main
un bref instant de coccinelle. 

La ronde serait-elle enfantine, tant l’évocation de nos attitudes sonnent et trébuchent : jusqu’au ciel. Tel un mouvement, circulaire, encore un que l’ennemi n’aura pas, qui se retourne sur lui-même en un éclat de joie ?

Mais il y a pour eux : La neige aussi. Elle donne le droit / de traverser le champ, / parce qu’elle a recouvert / les territoires et les limites / et qu’on marche d’un pas appliqué / sans blesser les pousses.

Il y en a de toutes les couleurs, des gens comme ça va, un peu balourds, un peu fluets / tantôt sûr de leurs coups, tantôt / déboussolés. Chacun entrera dans la danse, construira son puzzle, fera tomber le masque et l’inattendu surgira.

Le poète, un parmi les gens comme ça va veille : Mi-février conversation  de près avec le mimosa …

Ici les gens deviennent plus proches. Espace de rencontre, le livre (si intense) nous relie. Le poète Dominique Sorrente espère avec nous. Ce matin c’est à toi que je parle. / Rien qu’à toi.

Ils ont trouvé sur une étagère du couloir
un livre que plus personne ne lit,
dans ce livre entre deux pages, une vieille image pliée 
où sont écrits ces mots en rouge et gris,
perdus dans une flamme : 
elle ne sait plus qu’aimer.

Ils en sont quittes pour un baiser durable.

Ils rient : encore un 
que l’ennemi n’aura pas.

Le ciel pour cette joie fait une roue dans l’eau.

Ils sont les gens comme ça va.

Ce recueil est envoutant, précis. Il écoute le cœur des gens. Avec  lui, nous avançons jusqu’au bord, léger de tout cet inconnu qui penche et nous appelle.